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Billet de blog 7 juin 2016

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Histoire d’un crime

La Commune Saint-Nicaise, si prometteuse incarnation de Nuit Debout à Rouen, est devenue une utopie et un symbole de l’incurie de nos édiles. La police a procédé ce lundi 6 juin 2016 à l’expulsion des Communard-e-s. Mais Nuit Debout s’obstine et de nouvelles communes sont à inventer. Billet de solidarité, écrit à quatre mains, sur une base de Bertrand Rouziès.

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En vous retirant tout on vous a tout donné ;

tout est permis à qui tout est défendu.

Victor Hugo

     C’est donc le 6 juin 2016,  jour J d’un singulier débarquement policier, et un mois après l’investissement de l’église désacralisée et civiquement consacrée, que la préfète de Normandie, Nicole Klein, aura choisi pour mettre fin à la Commune Saint-Nicaise. Le matin, à 8 heures 30, un dispositif policier invraisemblable et auquel on est désormais habitué‒ ici, la Brigade de recherche et d’intervention (BRI), chargée de lutter contre le crime organisé, la brigade des Stups avec un chien renifleur, la BAC et une quinzaine de fourgons de CRS, une centaine d’hommes en tout ‒ a verrouillé le quartier Saint-Nicaise. L’escouade de la BRI a surpris dans les bras de Morphée les sept pauvres Communard-e-s qui se trouvaient là. Ils avaient fêté la veille ce mois d’occupation avec leurs camarades et quelques habitants du quartier. La force publique avait reçu comme consigne de procéder avec modération, pour ne pas envenimer les choses et rassurer les habitants. Rues bloquées et journalistes interdits : tout s’est passé très rapidement et dans le calme, presque naturellement pourrait-on dire. La préfète aura habilement donné des gages à la fois au ministère de l’Intérieur, par un déploiement spectaculaire, et à la mairie, par une résorption en douceur de l’abcès révolutionnaire. Certains riverains, restés sur leur quant à soi jusque-là, assistaient courageusement à la curée depuis leurs fenêtres. Quelques représentants d’associations locales, invités depuis un mois par les Communard-e-s à constater par eux-mêmes les intolérables déprédations auxquelles ils s’étaient livrés, ont pointé le bout du nez, parfois sourire aux lèvres, quand il n’y avait plus rien à constater.

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Evacuation de Saint-Nicaise © Stéphanie Péron

Les dangereux terroristes, les ignobles vandales qui avaient osé nettoyer cet entrepôt municipal à demi abandonné, qui avaient posé des verrous pour empêcher les pillards de continuer à se servir et les collégiens de s’exposer aux chutes de pierres, qui avaient entrepris, avec les riverains réellement soucieux de sauvegarde du patrimoine, d’inventorier et de protéger les trésors méconnus de cet édifice religieux hors norme, qui avaient commencé de planter un jardin collectif, qui étaient près d’achever la réparation du toit du presbytère avec des ardoises de récupération, qui envisageaient de relever la boise médiévale, le fameux banc à palabres pour la défense duquel tout un quartier s’était soulevé au XVIIe siècle, tous ces nuitdeboutistes désœuvrés, dépolitisés, et ultraviolents ont été repoussés dans les marges d’où on n’aurait jamais dû les laisser sortir. On va maintenant pouvoir s’opiomaniser en paix devant les hypnotiques passes en arabesques des dieux du stade ! 

Trêve d’ironie : l’aventure citoyenne de Saint-Nicaise fut sérieuse et exemplaire, conduite par une jeunesse responsable et éclairée. Une conférence sur la démocratie athénienne était programmée ce lundi soir. Elle n’a pu avoir lieu. Il y aurait certainement grand intérêt à la reprogrammer dans l’Hôtel de Ville : le maire en tirerait grand profit. Des contacts étaient pris avec des chercheurs de l’Université de Rouen pour associer sociologues et historiens, linguistes et archéologues à l’étude et à la sauvegarde du patrimoine, tout comme à la réflexion politique sur l’avenir de nos démocraties et les luttes sociale. Et la semaine dernière, malgré un manque cruel de coordination avec des syndicats et des associations réticents, le SNESUP-FSU, qui réunissait son congrès national dans la Maison de l’Université, avait apporté un soutien officiel aux valeureux nuitdeboutistes et avait accueilli quatre étudiant-e-s dans une commission où ils partagèrent avec les enseignant-e-s-chercheur-e-s leurs analyses politiques, leurs expériences, leurs projets et leurs espoirs. De tout ceci, qu’adviendra-t-il ? 

Illustration 2
Un visiteur à l'entrée du presbytère-31 mai 2016 © Pascal Maillard

Après que la police, aidée des pompiers, eut achevé, un peu avant midi, de sécuriser les lieux, déjà sécurisés par les Communard-e-s, les services municipaux, aux abonnés absents depuis des années, sauf quelques visites de routine, pour voir à quel rythme l’église s’écroulait, sont réapparus, dirigés par un édile fier comme Artaban, histoire de « faire le ménage », déjà fait par les Communard-e-s. Le reste de l’après-midi aura été consacré à murer tous les accès de parpaings bien laids, « sur ordre de la préfecture », car les maires, en état d’urgence, sont désormais tenus d’obéir aux préfets, tout comme les présidents d’université n’ont plus de mot à dire sur la présence de la BAC sur les campus. D’ailleurs, aux prochaines élections municipales, nous conseillons aux abstentionnistes rouennais déçus par la politique politicienne de voter directement pour la préfète, car elle aura fait en quelques heures le travail que la municipalité, en dépit des moyens administratifs et matériels dont elle dispose, n’était pas parvenue à faire depuis la fermeture de Saint-Nicaise en 2002. Le maire socialiste, Yvon Robert, sorti de l’ENA de la même promotion Voltaire que notre président, avait certes montré par le passé qu’il était totalement transparent. La preuve est faite, à présent, qu’il ignore tout des Lumières.

Qu’il est fort le symbole, qu’il devrait titiller la fibre révolutionnaire du peuple de France : la Commune de Paris s’est éteinte dans un bain de sang, au pied d’un mur, le mur des Fédérés, ces Fédérés qui, dans une ultime irrévérence, refusèrent de s’asseoir dans le cimetière du Père Lachaise. Point de sang à Saint-Nicaise, l’un des derniers bastions encore tenus par Nuit Debout en France, si ce n’est une hémorragie intérieure, une mutilation d’enthousiasme pour toutes celles et tous ceux qui s’appuyaient sur cet élan formidable pour sauver une magnifique église de la prédation immobilière et en faire une école de la citoyenneté à venir ! Point de sang, certes, mais nous avons le mur, le mur en parpaings qu’une caste politique idéologiquement vide érige entre elle et le peuple, qu’elle ne représente plus, dans l’espoir de le tenir en lisière. Autre terrible symbole de pierre : la mairie socialiste a fait murer une ancienne soupe populaire où il reste plusieurs centaines de kilos de denrées consommables... Mort aux pauvres ! Scandale absolu et irrémissible : après les adolescents et les militants, les socialistes mettent en prison même les aliments.

Illustration 3
Saint-Nicaise murée - 6 juin 2016 © LAM

Il nous reste le cimetière, le cimetière symbolique des idéaux bafoués par des élus parjures et inconsistants, mais aussi le cimetière réel de l’église elle-même, qui s’étendait juste au sud, à l’emplacement de l’actuelle rue de l’aître Saint-Nicaise, où reposent, sous l’asphalte, les nobles restes de la boise.

Il nous reste le généreux combat des communard-e-s de Saint-Nicaise, symbole du mépris de l’État pour une jeunesse oubliée et précarisée, pour les SDF qu’on ignore, les étudiants qu’on désespère, et pour bien d’autres encore…

Il nous reste la preuve ironique que ceux qu’on nomme les « casseurs » ont plus d’intelligence, de conscience politique et de cœur que nos gouvernants et les tristes perroquets et chiens de garde de nos grands médias.

Il nous reste cette voie tracée par la Commune Saint-Nicaise qui devrait initier un grand mouvement citoyen et politique de réappropriation de tous les Communs, ces communs qu’un État néolibéral saccage ou privatise, au lieu de les préserver pour les mettre au service de toutes et de tous.

Il nous reste la conviction chevillée au cœur et au corps que la solidarité vraie ne s’éprouve que dans la lutte contre l’injustice.

Il nous reste enfin la définition de trois objectifs politiques à atteindre. L’état d’urgence est un coup d’État permanent contre nos libertés : il faut y mettre fin ! Le 49.3 est un coup d’État contre le parlement : il faut une nouvelle constitution ! La loi Travail est un coup d’État contre la démocratie sociale : il faut en obtenir le retrait !

Nous ne devons pas oublier ce triple crime politique et moral commis par des socialistes au pouvoir, comme nous n’oublierons jamais l’étoile qui brille dans les yeux des Communard-e-s. Elle file déjà vers d’autres lieux, d’autres places, d’autres rues, vers ces « Horizons de forges rouges » où les « Vaincus » d’un jour préparent les révolutions de demain. Peut-être a-t-elle enfoui quelque rayon d’elle-même en cette église, comme on pose une pierre d’attente. Et ce ne sont pas les petits hommes de la Place Bauveau, de Matignon ou de l’Élysée qui empêcheront les étoiles de briller, ni les Communard-e-s de marcher. Souvenons-nous de ces deux vers du poète Nazim Hikmet, qui nous interrogeait ainsi : « Si nous ne brûlons pas, / Comment les ténèbres deviendront-elles clarté ? ».

Rouen, Strasbourg, Paris, les 6 et 7 juin 2016,

Bertrand Rouziès et Pascal Maillard

PS : On lira ici la brève de Patrice Beray et son reportage. Pascal Maillard a documenté dans ses dix derniers billets de blog les violences policières et pris position sur la loi Travail. De Bertrand Rouziès on peut lire dans l’ordre chronologique une série de quatre articles :

-          La municipalité socialiste de Rouen aimerait bien mettre en vente l’église des pauvres : tout un symbole

-           Comment Nuit Debout à Rouen rebaptise civiquement l’église des pauvres

-          Le tocsin sonne à 120 kilomètres de Paris

-          Redonnez-nous notre boise !

Illustration 4
Communard-e-s de Saint-Nicaise au Congrès SNESUP-1er juin © Sophie-Gaëlle Martin

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