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Billet de blog 25 mars 2018

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"Pédagogie" et démocratie

"Il faut être pédagogue, car plus on est pédagogue, moins on donne d'informations". Cette phrase, citée par Jack Dion dans un article de Marianne (en lien dans le texte), est tirée du livre de François Hollande "un président ne devrait pas dire ça".

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Ce qui est sidérant, c'est moins le cynisme que véhicule cette idée que l'aveu public de ce déni de démocratie par un président élu.  Car il n'y a pas de démocratie sans débat, public ou parlementaire, appuyé sur une information sincère et complète. C'est ce qui a été oublié sous la précédente législature avec l'adoption de la loi Travail par usage immodéré de l'article 49-3, sans lequel le pouvoir n'aurait pas pu faire passer une loi triplement minoritaire dans l'opinion publique, chez les syndicats et au parlement. Et maintenant, il faut voir dans l'usage des ordonnances, qui implique qu'une majorité parlementaire fantoche renonce à son pouvoir de légiférer au profit d'un seul homme, un nouveau symptôme de décomposition de notre démocratie. Et il faut voir, dans le projet de loi prévoyant la limitation des amendements au prorata du nombre de députés de chaque groupe, une tentative de museler l'opposition et d'organiser le débat autour de ceux qui sont d'accord.

D'abord, l'emploi même du terme "pédagogie" est insupportable dans la bouche des politiciens : il ne fait que traduire le mépris d'une classe politique dont l'arrogance n'a d'égal que la nullité : il suffit d'ouvrir un dictionnaire pour constater qu'il est dérivé du mot grec παιδι qui signifie enfant. C'est donc bien d'éducation des enfants qu'il s'agit et le citoyen adulte d'une démocratie ne doit en aucun cas accepter qu'on le traite comme un gamin qui n'a rien compris.

L'exemple du référendum de 2005, cité par Jack Dion est particulièrement significatif : la "pédagogie" des partisans du oui se limitait à trois arguments : le non, ce serait un refus de la construction européenne, un vote comme le Front National ; l'isolement de la France qui deviendrait ainsi le "mouton noir" de l'Europe. Mais il y en a eu beaucoup à penser que cela fait trop longtemps que l'on fait n'importe quoi avec l'Europe, que la convergence de votes avec le FN ne doit pas empêcher de s'exprimer négativement, qu'il vaut mieux être le "mouton noir" de l'Europe que son mouton de Panurge. Avec une pareille vacuité de pensée qu'ils osent appeler "pédagogie", il ne faut pas qu'ils s'étonnent d'avoir perdu. Mais, plutôt que de remettre en question leur enfumage, ils ont préféré considérer que le peuple était décidément trop stupide et faire rentrer par la fenêtre parlementaire - sous forme d'un replâtrage appelé traité de Lisbonne - le texte qui avait été rejeté par référendum.

Dans notre prétendue démocratie, il est trop facile de changer les règles du jeu : c'est le peuple et non les parlementaires qui avaient missionné le Gouvernement pour rejeter la constitution européenne et ça n'est que par un nouveau référendum contredisant le premier qu'elle aurait du être adoptée, même sous sa forme replâtrée. Mais "monsieur" Sarkozy a préféré faire voter le texte par une majorité de rencontre plutôt que de prendre le risque de solliciter à nouveau les imbéciles que nous sommes ! Et le comble, c'est qu'au moment de sa campagne pour les primaires, il déclare qu'il croit au référendum, après avoir allègrement piétiné le résultat de 2005. Sans doute fait-il démonstration de "pédagogie" quand il déclare sans rire : "Le problème de la crédibilité de la parole politique est posé". En effet !

La "pédagogie" se nourrit également d'informations partielles et biaisées : comment se fait-il que ceux qui citent l'Allemagne comme le bon élève de la classe omettent toujours de dire qu'outre Rhin, les pouvoirs du Betriebsrat sont sans commune mesure avec ceux de son homologue, le Comité d'Entreprise en France, que Macron a massacré ? Comment se fait-il que les charlatans de l'économie sont autant en cour en France comme en Europe, alors que l'on ignore superbement Piketty ? La "pédagogie", c'est aussi ne prendre en considération que ceux qui disent ce que nos gouvernants ont envie d'entendre !

Au moment de l'adoption de la loi Travail,  la "pédagogie" devient propagande : comme les sondages révélaient que plus de 70% des français y étaient opposés, le Gouvernement a ciblé la CGT, en proclamant qu'elle cherchait à imposer ses idées minoritaires, au besoin en armant le bras des casseurs qui ont sévi au cours des manifestations, qu'il a même été question, un temps, d'interdire.

Avec les ordonnances sur la loi Travail XXL, une nouveauté : c'est la pédagogie "à géométrie variable" qui est mise en place : celle qui consiste à recevoir les syndicats en ordre dispersé et à privilégier les rencontres avec les syndicats réformistes. Et là, la théorie de Hollande se vérifie puisque les seuls que le Gouvernement n'a pas réussi à enfumer, ce sont les syndicats qu'il n'a pas reçus !

Dans la macronnerie, la "pédagogie" se pratique à tous les niveaux de pouvoir et d'absurdité, comme en témoigne cette intervention d'un député en Marche que nous avons récemment évoquée à propos de la proposition de loi visant à reconnaître le Burn out comme maladie professionnelle.

On pourrait ainsi multiplier les exemples. La leçon à en tirer, c'est que les réfractaires à la pensée unique qui battent le pavé n'ont rien compris et c'est uniquement un problème de communication. Savoir "se vendre" comme les demandeurs d'emploi, savoir "vendre sa marchandise, aussi avariée soit-elle ou la refourguer au prix d'un aménagement de l'emballage".

Et Jack Dion conclut : "Il n’est pas besoin d’avoir fréquenté l’ENA pour deviner à quelles fractures peuvent conduire des conceptions aussi éloignées des principes démocratiques proclamés par Emmanuel Macron. C’est avec un tel tir de barrage que l’on a creusé un gouffre entre la France d’en haut et celle d’en bas". Et il faut être un énarque bouffi de suffisance pour ne pas le comprendre !

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