C'est au cours des assises de l'aviation, qui se sont tenues à Toulouse et à Paris au cours du mois de septembre 2021, que cette déclaration d'une participante exprime que la transition écologique nécessaire à la survie de notre espèce ne se fera pas sans justice sociale. La nécessité exprimée ici ne s'arrête pas au secteur de l'aviation, mais s'applique à toute l'économie et à toute la société : la "sortie par le haut" ne sera possible qu'avec l'adhésion des salariés. Et, pour cela, au moins trois conditions sont à remplir : que ceux-ci ne se sentent pas les dindons de la farce en termes d'emploi et de salaire, qu'ils s'engagent aux côtés des syndicats et des représentants du personnel pour obtenir les avancées sociales qu'ils appellent de leurs vœux, qu'ils aient la possibilité de faire bouger les choses en pesant sur les décisions de l'entreprise. Ces conditions dépendent respectivement du Patronat, des salariés et du législateur et aucune d'entre elles n'est gagnée d'avance.
La politique de gestion de crise par les entreprises ne sera acceptable pour les salariés que s'ils ne sont touchés ni ni dans leur emploi, ni dans leur pouvoir d'achat. Sur aucun de ces deux points, la gestion de la crise sanitaire n'autorise à l'optimisme : Selon une enquête récente du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc), la crise sanitaire et sociale liée à la Covid-19 a aggravé la précarité de l'emploi . La multiplication des grèves sur les salaires exprime le mécontentement des salariés face aux 2,6% d'inflation, que les augmentations obtenues lors des négociations annuelles obligatoires (NAO) sur les salaires et les conditions de travail sont loin de compenser. En parallèle, l'année 2021 s'annonce dans le monde entier comme "un millésime historique en matière de dividendes". Une syndicaliste de la CFDT explique ainsi les tensions sociales actuelles : "les salariés doivent participer aux pertes mais quand il y a des bénéfices tout part sur l'actionnariat". S'il faut aller jusqu'à rétablir l'échelle mobile des salaires en cette période d'inflation, cela ne peut se faire qu'en réduisant le déséquilibre dans le partage de la valeur ajoutée entre salariés et actionnaires. C'est cette perversion du système qu'il faut parvenir à surmonter, mais cela implique une complète remise en cause.
Les salariés doivent faire bloc derrière leurs syndicats et leurs représentants : les syndicats ont accusé, depuis le début du quinquennat actuel, une forte baisse de leur influence. Les réformes du code du travail, décidées d'avance et prises par ordonnances après un simulacre de consultation des syndicats, ont participé à ce déclin. Celui-ci s'est concrétisé dans la révolte des Gilets Jaunes, qui ont mis les syndicats sur la touche. Et, plus récemment encore, des militants CGT ont été physiquement agressés par des abrutis qui les accusaient de collusion avec le pouvoir. Il est pourtant primordial que les syndicats, sans lesquels aucune avancée sociale n'aurait été possible, retrouvent leur rôle et leur influence. Et ceci pour une raison très simple : la législation ne reconnaît comme interlocuteurs des directions que les syndicats représentatifs dans leur entreprise ou les instances représentatives du Personnel qui, le plus souvent, en émanent.
Obtenir l'adhésion des salariés, c'est leur reconnaître un rôle dans la gestion des entreprises : l'exemplarité de l'Allemagne, qui ne connaît que très peu de conflits sociaux, est très souvent citée par nos dirigeants, qui oublient seulement de dire qu'il y a à cela une contrepartie : dans son livre "capitalisme et idéologie", Thomas Piketty rappelle que chez nos voisins d'outre-Rhin, les salariés sont crédités de 50% des voix dans les assemblées générales d'actionnaires et plus si certains d'entre eux sont eux-mêmes actionnaires. Cette "propriété sociale" se retrouve également en Suède à un degré moindre puisque la représentation des salariés est de 30% des voix. En France, rien ne vient tempérer la toute-puissance des actionnaires et cela est bien regrettable car certaines dérives, comme celles qui consistent à piller les réserves financières d'un aéroport (Toulouse-Blagnac) ou à mettre en faillite une entreprise (Sansonite) quand c'est l'intérêt d'un fonds d'investissement, auraient pu être évitées. De plus, le Betriebsrat - équivalent allemand du Comité d'Entreprise français - dispose du droit de véto dans l'application de certaines décisions, ce qui n'est pas le cas en France où le Comité d'Entreprise a seulement un rôle consultatif. Si le législateur voulait octroyer aux représentants des salariés un véritable rôle décisionnaire, qu'il partagerait avec les dirigeants et les actionnaires, le poids qu'il leur donnerait conforterait le consensus social.
Ce consensus social ne naîtra pas par l'opération du Saint-Esprit et il est même probable qu'il soit totalement utopique de vouloir le négocier, tant le capitalisme campe sur ses positions dès qu'il s'agit de l'intérêt de ses privilégiés. Alors une révolution ? Peut-être, en se rappelant qu'aucune, dans l'Histoire, n'a jamais été couronnée de succès.