salvatore palidda

Professeur de sociologie à l'université de Gênes (Italie)

Abonné·e de Mediapart

178 Billets

0 Édition

Billet de blog 1 mars 2023

salvatore palidda

Professeur de sociologie à l'université de Gênes (Italie)

Abonné·e de Mediapart

Faire mourir-laisser mourir: le choix de thanatopolitique du gouvernement Meloni

64 noyés nombre d’enfants et nourrissons. C'est l’énième massacre de migrants dans une Méditerranée cimetière de personnes qui risquent leur vie car rester dans le pays de départ est devenu impossible ou c’est attendre une mort atroce. Mais le gouvernement du fascisme démocratique de M.me Meloni a choisi la thanatopolitique, de fait partagée par la Commission européenne et notamment Frontex

salvatore palidda

Professeur de sociologie à l'université de Gênes (Italie)

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

64 noyés dont -selon certains médias- 14 enfants et nourrissons et comme l'écrit SOS Méditerranée, il en reste probablement encore beaucoup de non repêchés. C'est l’énième massacre de migrants dans une Méditerranée devenue depuis des années un cimetière pour des milliers de personnes qui risquent leur vie car rester dans le pays de départ est devenu impossible ou c’est attendre une mort atroce.

Dans une émission télévisée, le médecin sauveteur Orlando Amodeo a déclaré qu'il s'agissait d'un "drame souhaité et évitable... « Cela fait 30 ans que je fais des sauvetages... nous avons des bateaux qui peuvent facilement affronter force six et force sept mers, dans le passé nous l'avons fait. En effet, nous sommes allés à 40-50 miles au sud de Crotone et les avons secourus. Il y a quelques années nous avons sauvé 147 personnes".

Dans d'autres émissions télé, la dénonciation claire de la non-intervention des garde-côtes a également émergé, alors que la veille on avait connaissance d'un navire risquant de couler.

Encore une fois, Amodeo a ajouté : « Indépendamment de cela, que les flux continuent, que les débarquements soient et continueront, maintenant même les pierres le savent. ... assez de ports fermés, de ports ouverts, assez de blocus naval, de déblocage naval, il faut aider ces gens à venir ici avec des bateaux, avec des avions. Nous inventons des contrebandiers. Si l'Italie et l'Europe devenaient un peu plus humaines, il n'y aurait plus de passeurs et ces drames n'existeraient plus du tout".

Les propos d'Amodeo, qui est aussi un ancien directeur médical de la police d'État - peut-être aussi pour cette raison - ont suscité l'anathème du ministre de l'intérieur Piantedosi (ancien vice-chef de la Police d’Etat) qui a déclaré que "ces drames sont la faute d'irresponsables parents qui conduisent leurs enfants à mourir ».

A cela Amodeo a répondu : "Assez avec cette histoire que les parents sont fous, qu'ils emmènent leurs enfants à la mer et les font mourir. L'orateur a rendu visite à des garçons kurdes qui avaient vendu un rein pour se rendre en Allemagne. Arrêtons cette hypocrisie".

Le ministre a alors ordonné au Viminale de communiquer qu'« il soumettra au parquet les fausses déclarations très graves faites par certains invités lors de la diffusion de La7 afin de favoriser la défense de l'intégrité du gouvernement, du ministre Piantedosi, de toutes les influences ministérielles et de toutes les institutions qui ont toujours été impliquées dans le système de sauvetage en mer ».

Comme l’a rappelé Maurizio Guerri : "Le désespoir ne justifie pas le voyage" est une phrase qui plonge celui qui l'a prononcée - et le gouvernement dont elle est une nuance lugubre - dans l'abîme de la banalité du mal. C'est précisément dans le désespéré – et dans le désespoir – que Walter Benjamin a reconnu la seule possibilité de rédemption pour l'homme contemporain, même pour le non (apparemment ?) désespéré («Nur um den Hoffnungslosen willen ist uns die Hoffnung gegeben ». «Ce n'est qu'au nom des désespérés qu'on nous donne encore de l'espoir» - Goethes Wahlverwandtschaften, Gesammelte Schriften I.1, Frankfurt am Main 1991, S. 201).

Répondant à la déclaration de Viminale, le directeur du programme tv a déclaré : « Ces propos (du ministre) me semblent être des menaces. Nous souscrivons aux paroles des invités. A la télévision gratuite, les invités disent ce qu'ils pensent. Rappelons.nous ce qu'est la liberté".

Deux jours après quelques quotidiens, dont il Corriere della Sera ont publié trois articles ayant pour titres : « « L'alerte lancée 23 heures avant la tragédie : tous les bateaux  de la mer Ionienne doivent prêter attention » : Et même la Garde-côtes affirme : « Avec cette mer on intervient ». Et même Frontex lâche l’Italie : « L’avion Frontex qui a vu le bateau le premier, pendant six minutes de survol : « L’alarme ? C'est l'Italie qui aurait dû le lancer ».

Mais le ministre Piantedosi encore insiste à dire «Frontex n'a pas signalé le danger».

Le choix du «faire mourir o laisser mourir » s'est concrétisé de plus en plus notamment avec la mise en place de Frontexqui pendant des années a non seulement été au centre de la corruption et de la collusion avec le lobby militaire, mais aussi l'objet de plaintes pour son soutien militaire et financier aux gangs criminels lyciens au nom du contraste de la migration dite illégale. De fait, cette institution européenne est co-responsable des crimes humanitaires.

Dans ce travail le ministre du Parti Démocratique de l'époque Minniti (l’un des plus à droite de l’ex-gauche) a été très actif jusqu'à monter une opération à sa manière très brillante (mais même découverte et filmée): la sale affaire italo libyenne. Un troc à certains égards emblématique aussi pour les éloges qu'il a reçus des instances européennes au point d'en faire un "excellent exemple à suivre" (selon Macron, Juncker et consorts). L'opération ne pouvait être dirigée que par le ministre Minniti car il était depuis longtemps devenu le principal référent politique des services secrets, des forces militaires et policières. Comme l'ont révélé quelques reportages, au nom du gouvernement italien, Minniti a versé à une milice de criminels libyens, dirigée par Ahmed Dabbashi et son frère, plus de 10 millions de dollars en échange de la conversion de ce gang en la 48 brigade intégrée dans les rangs de l'État libyen en tant que force armée chargée de contrôler la côte pour empêcher le départ des migrants. Mais ce que le ministre n'a pas dit, et presque tout le monde a fait semblant d'ignorer, c'est que le véritable but du troc était de sauvegarder les intérêts et les activités d'ENI-AGIP en Libye, menacée par des passeurs et des gangs comme les Dabbashi qui souvent ils kidnappent techniciens ou menacent d'incendier des puits et des raffineries ou d'organiser la contrebande de pétrole (jusqu'à son arrivée en Italie). Ainsi la brigade 48 a garanti le blocage des départs, regroupant les migrants et les enfermant dans des centres de détention qui, comme on le voit dans certaines vidéos et comme le racontent le président de Médecins sans frontières, la commissaire Malmström et d'autres, sont des lagers. « Les migrants et les réfugiés sont parqués dans des couloirs sombres et sales, sans ventilation. Ils vivent les uns sur les autres et sont obligés de faire leurs besoins physiologiques au sol. Par petits groupes, ils sont obligés de courir nus dans la cour jusqu'à ce qu'ils tombent au sol épuisés ou évanouis. Les tortionnaires violent les femmes avant de les forcer à contacter leurs familles, en mendiant de l'argent pour pouvoir échapper à cet esclavage et à cet enfer".

Le ministre Minniti a été très prodigue en interventions publiques pour vanter le succès de son travail, le justifiant avant tout comme une action de "sécurité de gauche" et pour "sauver les risques pour notre démocratie" menacée par la montée de la peur et du racisme (dans son Caricature très efficace et ponctuelle, l’humoriste (de gauche) Crozza fait dire à Minniti : «On ne peut pas laisser le fascisme aux fascistes» (pour sa part le célèbre Gino Strada qualifiait Minniti de flic).

L'histoire de l'approchement de l'ex-gauche aux choix réactionnaires n'a cessé de se renouveler en Italie comme dans le reste de l'Europe.

Il n'est donc pas surprenant qu'aujourd'hui le gouvernement de droite et son ministre de l'intérieur Piantedosi se sentent tout à fait légitimés à poursuivre le choix du « faire mourir ou laisser mourir », ainsi que la criminalisation de ceux qui veulent les secourir.

En effet nous sommes confrontés à la même logique de la reproduction des guerres permanentes, des catastrophes sanitaires, environnementales et économiques, du néo-esclavage et du mépris total des migrants désespérés, qu'ils aient échappé aux guerres, à la faim, aux épidémies, à l'économie et à tout sortes de violence des dominants.

Signalons que l'attitude du ministre Piantedosi est en fait la même que celle de son collègue ministre de l'instruction publique qui a blâmé et menacé de sanctions l'enseignant du lycée de Florence qui dans une lettre ouverte avait défendu la Charte constitutionnelle antifasciste contre l’agression brutale de voyous fascistes contre les élèves de son lycée.

Ainsi les ministres du gouvernement du "fascisme démocratique" prétendent établir une interdiction de dire publiquement des vérités contraires à ce qu'ils disent et menacent donc de poursuites judiciaires, étant donné que leur collègue ministre de la justice ainsi que la Cour de cassation montrent qu'ils sont très diligents our faire respecter cette interdiction et le choix de "laisser mourir". C’est notamment le cas de l’anarchiste Cospito qui est en grève totale de la faim et de tout intégrateur depuis plus de 150 jours parce qu’il demande de ne pas être enfermé sous le protocole de l’art. 41bis destiné aux boss de la mafia. Mais le ministre et même la Cour de Cassation ont refuser de le faire passer dans la prison avec les autres détenus communs (alors qu’il n’a jamais tué personne et n’a fait que quelques petits attentats typiques d jeunes anarchistes par ailleurs totalement isolé et jusque-là inconnu).

Ce choix de thanatopolitique est en fait conforme à ce qu'il semble plus approprié d'appeler le « fascisme démocratique » d'un gouvernement légitimé par seulement 27 % des ayants droit, une minorité qui passe pour la majorité. C'est ce que les partis de droite et d'ancienne gauche espèrent depuis des décennies car de cette façon il y a moins d'électeurs à contrôler ou à cultiver comme clients. Elle est le résultat du processus d'hétérogénèse de la pseudo-démocratie qui s'est accompli à travers l'anamorphose de l'Etat de droit (le passage continu de la pseudo-démocratie à l'autoritarisme et aussi aux pratiques fascistes et notoirement racistes et sexistes et de l'illégalité légale). Le processus déclenché par la contre-révolution du capitalisme néo-libériste, qui s'est nourri de l'anomie néo-libériste (l’abstentionnisme) et de la post-politique au-delà de toute idéologie, le tout merci à l'apport décisif de l'ex-gauche.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.