Il s'est imposé comme l’acteur le plus habile à interpréter en Italie la contre-révolution du capitalisme néo-libériste qui a pris le dessus à partir du début des années 1970. Il a bien perçu les effets de cette contre-révolution et il a contribué au processus dévastateur de déstructuration économique, sociale, culturelle et politique : la fin de la société industrielle traditionnelle, la fin du mouvement ouvrier (Parti Socialiste -PSI-, CGT italienne et surtout Parti Communiste -PCI) ; la fin des grandes agrégations ouvrières et populaires et de leur “densité dynamique” ; la fin des idéologies et de la politique connu depuis la Résistance contre le fascisme et le nazisme ; le glissement vers l’anomie politique néo-libérale.
Bref, le succès de Berlusconi a pu se réaliser car il a su profiter pleinement de la fin de la gauche qui était en déclin ainsi que le parti-État (la Démocratie Chrétienne -DC) qui avait gouverné pendant 40 ans et l’inévitable échec du "compromis historique" DC-PCI (voir aussi Stefanie Prezioso et l'article de plusieurs rédacteurs de Médiapart).
La conversion néo-libériste de la gauche traditionnelle s’est réalisée à travers phagocytation (incorporation et corruption) d'une grande partie des dirigeants syndicaux, du PSI mais aussi du PCI dans la gouvernance du pouvoir public et semi-public, ont commencé bien avant Berlusconi.
Et, comme l'écrit un expert en gossip sur "le succès de Berlusconi” :
« Pourquoi un pays peinant à joindre les deux bouts depuis plus de vingt ans a-t-il perdu la tête devant un milliardaire coureur de jupons qui a toujours préféré l'éthique de sa propre entreprise à l'éthique des institutions ? Parce qu'il incarnait l'archi-italien (et le célèbre chanteur Giorgio Gaber disait : "Je ne crains pas Berlusconi en lui-même. Je crains Berlusconi en moi").
Comme Cavalier Pompette (l’un des surnoms donnés à Berlusconi), nombre d’Italiens prétendent être tout et le contraire de tout : intelligents et stupides, mammons et chauvins, dramatiques et mélodramatiques, brillants et chaotiques, courageux et lâches, racistes et tolérants, voire fascistes et antifascistes, sexistes et antisexistes, croyants et incroyants, cultivés et ignorants, vitaux et scélérats, de droite et de gauche. Il jouait en petit bonhomme qui, lorsqu'on lui demandait quel était le plus beau compliment qu'il ait jamais reçu, répondait radieux : « la fois où, alors que je quittais le stade San Siro, un ultra s'est jeté contre le pare-brise de ma voiture en criant : « t’est une belle figa !” (chatte). Puis ses blagues comme moyen de séduction, et enfin l'échec politique et l'arrivée de Meloni".
Cet éclectisme en dehors de toute moralité et de toute éthique rappelle la conception « italique » de l'émancipation qui fut incarnée, entre autres, par Mussolini qui se voulait le nouveau « prince » émergent du peuple (et souvent Berlusconi prenait les postures del duce et ne cachait pas son admiration pour “ce grand homme de l’histoire politique italienne”). Mussolini exprimait sa conception de l'arbitraire éclectique par la phrase suivante : « Nous nous permettons le luxe d'être aristocrates et démocrates, conservateurs et progressistes, réactionnaires et révolutionnaires, légalistes et illégalistes, selon les circonstances, le lieu, le cadre dans lequel nous sommes contraints de vivre et agir" (Popolo d'Italia, 23.3.1919 - cité ici).
La “Padanie” : le fief populaire de la Ligue Nord et de Berlusconi
Dès le début des années 1980, dans le nord de l'Italie (mais aussi ailleurs dans la soi-disant “Troisième Italie” et toutes les zones du “Made in Italy”), la prolifération de petits entrepreneurs et d'artisans a émergé, souvent dans la sous-traitance de la grande industrie ; ils se caractérisaient par la fureur et férocité de réussir et à s'enrichir à tout prix et le plus vite possible. Ils sont devenus la base de masse de la Ligue Nord puis aussi de Forza Italia (le parti inventé par Berlusconi, avec l’aide de son bras droit Dell’Utri -liaison avec la mafia- et d’autres managers de la communication de son entreprise Médiaset). Ils revendiquaient et revendiquent encore le droit à l'évasion fiscale, à l'esclavage des immigrés et aussi des Italiens. Leur guerre contre les immigrés a toujours visé le refus de la concession des droits égaux à ceux des Italiens. Toute la politique migratoire italienne (des droites mais aussi de l’ex-gauche) a poursuivi la reproduction des immigrés irréguliers destinés aux économies souterraines (noires), voir entre autres Migrations critiques).
Comme l'estime aussi Eurispes, l’ensemble des économies souterraines a généré déjà en 2017 environ 530 milliards, c.-à-d. 35% du PNB officiel de l'Italie (donc évasion fiscale et des contributions sociales -hyperexploitation- et aussi collusion avec les mafias qui depuis les années 1990 sont de plus en plus répandues au Nord davantage qu'au Sud). Visant sur l’augmentation des profits à tout prix, le néo-libérisme a donc incité le développement des économies au noir et dès lors elles sont toujours mêlées aux économies dites légales, notamment dans la sous-traitance devenue majoritaire même dans les grandes entreprises comme Fincantieri). Depuis dans toute l’Italie alors que le peuple de gauche sombrait dans le désespoir, l’amertume et l'abstentionnisme, environ dix millions d’électeurs primaient ceux qui promettait la protection des fraudeurs di fisc, les responsables d’abus et des illégalismes de toute sorte et notamment de l’hyper-exploitation des immigrés et aussi de travailleuses et travailleurs italiens. Et cela aussi merci à la dérive des forces de police devenues de plus en plus violentes vis-à-vis des travailleurs et des participants aux luttes et vis-à-vis des militants antiracistes, antifascistes et antisexistes, de plus en plus mêlées à des délits typiques de la délinquance et même de la criminalité organisée. De fait les victimes de l’hyper-exploitation, des abus et violences ont été laissé sans protection ; la seule sécurité garantie ne reste que celle des responsables des illégalismes tolérés, voir l'impunité depuis toujours prêchée par Berlusconi et maintenant par Salvini et Mme Meloni. Et parmi les plus accablantes insécurités ignorées par les polices, on recense de plus en plus de féminicides.
Maintenant, le parti de Mme Meloni s’apprête à rafler ce qui reste du parti de Berlusconi et à multiplier des décrets et mesures gouvernementales dont ce champion de néo-libéralisme italien rêvait sans arriver à les réaliser. Mais pour le remercier de l’avoir amené à cette réussite inimaginable, il y a un peu plus d’une année, Mme Meloni a proclamé non seulement les funérailles d’Etat mais aussi une journée de deuil national et une semaine de suspension du Parlement ! Ce qui a été fait que pour deux seuls présidents de la République et même pas pour le président Pertini, Résistant antifasciste qui fut aimé par la grande majorité de la population. Seule l’ex-ministre Rosy Bindi (avait été aussi assistante de Aldo Moro) a dit que « le deuil national est un choix inopportun ». Meloni peut avancer sans problème : l’ex-gauche n’arrive pas à faire opposition, dans le Parti démocratique la grande majorité des parlementaires est plutôt d’accord avec les orientations néo-libérales que Meloni elle-même semble épouser. Mais cette cheffe désormais « très gazée » envisage de profiter d’un Parlement acquis à sa gestion pour faire passer l’inimaginable, à savoir le passage à un régime présidentiel ou à l’élection directe du chef de gouvernement. Bref, le fascisme « démocratique », aujourd’hui incarné par l’actuel gouvernement, risque de gouverner pour longtemps, à moins que ses ministres et son entourage ne finira par tomber par ses propres crimes vu qu’ils sont affamés de pouvoir et d’argent (ils sont presque tous des parvenus plutôt assez rustiques voir sans savoir-faire dans les méandres des institutions et il n’ont jamais eu l’occasion d’accumuler richesses).
Je conseille de voir ces films et documentaires très éclairants à propos du succès de Berlusconi :
Vidéocratie film de Erik Gandini: https://www.youtube.com/watch?v=EpEP2q0bj-s
Et sur la totale homogénéisation des chaines tv italiennes :
Le corps des femmes de Zanardo: https://www.youtube.com/watch?v=koLacS5_EtA
et ici un exemple de la super-exploitation dans les fiefs de la Ligue Nord et de Forza Itala dans la "Padania": https://www.youtube.com/watch?v=BnoswosixWU&t=72s