salvatore palidda

Professeur de sociologie à l'université de Gênes (Italie)

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Billet de blog 26 août 2023

salvatore palidda

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Démocrature, familisme et conflit d’intérêt : les traits du régime Meloni

Le parti de Georgia Meloni et la coalition des droites qui gouverne exhibent de plus en plus leurs traits saillants : démocrature (mélange de démocratie apparente et d'autoritarisme violent), familisme amoral (les gens de sa famille au pouvoir) et conflit d’intérêts sans limites. Aucun scandale ne semble ébranler ce régime, qui bénéficie d'un large consensus des médias, presque tous passés à droite. 

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Le mot démocrature remonte à l’Espagne des années 1929-30, mais c’est à Edoardo Galeano qui on doit son emploi à propos de la coexistence de démocratie et autoritarisme ou de démocratie et dictature, comme Predrag Matvejevic décrivait les régimes apparemment constitutionnels mais de fait oligarchiques. En réalité cette démocrature n’est que le fascisme “démocratique”, un régime généré par le processus de l’hétérogénèse de la pseudo-démocratie, processus qui dure depuis des décennies et a de plus en plus empiré à la suite de la contre-révolution du capitalisme néo-libéral qui commence dans les années 1970.

Un processus qui n’a cessé d’éroder les conquêtes économiques, sociales et civiques des années 1968 et 1970, en raison aussi de la conversion néo-libérale de la gauche traditionnelle. Dès lors, on peut gouverner avec une petite minorité des suffrages de ceux qui ont le droit de vote, d’où la prétention de « démocratie » et donc de constitutionnalité qui permet à ces gouvernants de faire ce qu’ils veulent. On voit ainsi s'instaurer les mesures les plus liberticides (interdiction de réunion, criminalisation de la solidarité etc.). En Italie, on n’a pas besoin du 49.3, le gouvernement procède par décrets et peut compter sur une très large majorité du parlement et une presque inexistante opposition y compris de la part des syndicats.  

L’acharnement particulier du régime Meloni a visé les pauvres : la soi-disant revenu de citoyenneté a été aboli alors que les statistiques officielles montrent un nette augmentation de la pauvreté, des sans-abris, des gens qui ne peuvent pas se soigner. En Italie, le pouvoir d’achat s’est dévalorisé davantage que dans tous les autres pays européens, et la réévaluation des salaires a été abolie. Les salaires italiens sont parmi les plus bas en Europe, et ils ont même diminué de 12% par rapport à 2008 (c’est ce qui atteste le Global  Wage Report 2022-2023 de l'ILO).

Le ministre de la « souveraineté alimentaire » (SIC !), beau-frère de Mme Meloni, s’est même autorisé à déclarer à la presse que « la bouffe des pauvres est meilleure que celle des riches » tandis que d’autres politiciens n’ont cessé de dire que le revenu de citoyenneté ne faisait qu’entretenir des gens oisifs sur les canapés de chez eux, devant la télé ou au supermarché à faire les courses.

Bref, les droites ont déchainé une campagne de haine contre la population définie comme "parasite" qui ne veut "pas travailler"…, et cela dans un pays où on compte environ huit millions de travailleurs qui oscillent entre précarité et emploi au noir, et même néo-esclavagisme, et un nombre croissant d’accidents et morts sur le travail.

A cela s’accompagne l’acharnement contre les migrants aux côtés de M.me Ursula van der Leyen et du président de la Tunisie, Kaïs Saïed.

Misant sur les plus fidèles - même si de toute évidence incultes et ignorants l’ABC des règles de gouvernement -, Mme Meloni s’est entourée de gens de sa famille : son beau-frère qui n’arrête pas de susciter le ridicule et le scandale pour son indigence intellectuelle et par son nonchalant langage fascisant ; sa sœur nommée cheffe de son parti, son mari placé en chef d’une émission de la première chaine télé publique, ses amis les plus proches aux ministères ou au charges institutionnelles.

Pire qu’à l’époque de Mussolini, Mme Meloni a dû faire recours à un familisme amoral effronté et des conflits d’intérêt, car elle a peur de ne pas tenir le coup, et ne peut pas compter sur un personnel politique expérimenté et qualifié. Et dans son épopée, elle n’a pas négligé la promesse de la « paix fiscale » fortement voulue aussi par ses alliés Salvini et les disciples de Berlusconi.

C’est enfin le triomphe de la tolérance de l’évasion fiscale, tout comme du travail au noir et de toute sorte de contournement ou de dépassement des lois qui auraient dû protéger les travailleurs et l’État de droit démocratique. Et cela dans un pays où la fraude fiscale atteigne 35% du PNB, soit 530 milliards (estimation Eurispes qui n’est certes pas une institution de gauche). Et ce n’est pas un hasard si le gouvernement Meloni comprend une ministre du tourisme connue pour être la patronne de discothèques et boites de divertissement et maintenant sous procès pour fraude fiscale systématique.

Il serait très long de détailler la liste des scandales produits par les gens de ce gouvernement, son entourage et ses supporteurs. Mais rien de tout cela semble ébranler le régime Meloni ; qui pourtant, bénéficie d'un large consensus des médias, presque tous passés à droite. Il y a quelques années, un général qui publie un livre rempli de toute la panoplie de ignominies contre LGBT, pauvres, militants de gauches, simples démocrates ; ce livre, qui semble être devenu un best-seller de la population de droite, même des ministres de ce gouvernement ont déclaré l'apprécier. 

En réalité, la garantie de durée du gouvernement Meloni est assurée par son total alignement aux côtés de l’Otan et des Etats-Unis et de l’Europe, notamment aux cotés de l’Ukraine. Et dans cet alignement, le gouvernement Meloni a aussi la prétention de suivre les Etats-Unis contre la France dans la scène du Niger et de l’Afriques subsaharienne. Entretemps, la compétition entre Salvini et Meloni se fait de plus en plus chaude aussi en vue des prochaines élections européennes. Meloni pense de continuer à rafler les votes du parti de Berlusconi, et aussi de la Ligue de Salvini qui désormais, se donne un profil carrément fasciste, raciste et sexiste, qui a été et reste propre du parti de Mme Meloni. Rien n’exclut des faux pas des uns et des autres ; mais, hélas, de fait, l’opposition n’existe pas et en Italie, il n’y a plus de gauche.

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