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Billet de blog 1 avril 2022

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Renoncer à la dissuasion nucléaire. Un préalable à la création de l'Armée européenne

La création de l’Armée européenne permettrait à l’Europe de peser dans la perspective de la libération de l’Ukraine et de l’avènement d’une nouvelle Russie, débarrassée du régime criminel de Poutine. Le renoncement à l'arme nucléaire par la France est un préalable. Il devrait aussi s'accompagner d'un retrait des armes nucléaires américaines du sol européen.

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Renoncer à la dissuasion nucléaire.

Un préalable à la création de l’Armée européenne

                                                      Serge Métais

Nous avons évoqué, dans notre dernier article, l’idée d’un renoncement unilatéral de la France à la dissuasion nucléaire. Il convient maintenant d’expliciter, et de montrer que ce renoncement est, en fait, un préalable à la création de l’Armée européenne.

Mais, avant de dire pourquoi il faut renoncer à l’arme nucléaire, il faut prendre la mesure d’une urgence : faire de l’Union européenne une véritable puissance politique et militaire. La création de l’Armée européenne ferait de l’Europe cette puissance capable d’équilibrer les Etats-Unis au sein de l’Alliance atlantique et elle lui permettrait de peser dans la perspective de la libération de l’Ukraine et de l’avènement d’une nouvelle Russie, débarrassée du régime criminel de Poutine.

Cette perspective peut paraître lointaine et hypothétique. Elle est pourtant la seule concevable qui garantisse une paix durable en Europe. Il est normal que le président Zelensky appelle à des « négociations » et même qu’il se dise prêt à discuter d’un statut spécial pour la Crimée et le Donbass. Il est normal aussi que la diplomatie occidentale fasse pression sur Poutine pour l’amener à un cessez-le-feu et à « négocier ». Il faut faire tout ce qui est possible pour que cessent les crimes de guerre, déjà très nombreux et bien documentés (usage d’armes interdites comme les armes à sous-munition, bombardement d’un théâtre où étaient réfugiées des centaines de civils, de bâtiments administratifs, de nombreux immeubles d’habitation, de grands magasins, d’hôpitaux, etc.), et tout le monde préfère des négociations à la guerre.

Mais, des négociations pour arriver à quoi ? Aucune paix durable n’est envisageable sur la base de négociations qui aboutiraient à consolider l’occupation par la Russie de tout ou partie du territoire ukrainien : que ce soit la Novorossia, (l’arc qui va du Donbass à la Transdniestrie, en passant par les régions du sud, et qui priverait le reste de l’Ukraine d’accès la mer), si tel était le véritable objectif de Poutine dans la guerre actuelle, comme nous l’envisagions dans notre article mis en ligne le 21 février ; ou que ce soit seulement le Donbass, comme le laisserait entendre maintenant le pouvoir russe.

En déclenchant cette nouvelle guerre, le 24 février, Poutine a commis l’irréparable. Il ne saurait y avoir de négociations qui vaillent avec lui sans aboutir au retrait de l’armée russe d’Ukraine – de toute l’Ukraine – et au paiement par la Russie de réparations qui se chiffreraient en centaines, voire en milliers de milliards d’euros. S’il y était contraint, il perdrait la face, devrait quitter le pouvoir et son régime ne lui survivrait pas. Comme pour Hitler, la guerre ne prendra fin qu’avec l’arrestation ou la disparition du criminel en chef et l’effondrement de son régime.

La création de l’Armée européenne est, par ailleurs, la seule réponse véritablement convaincante, au besoin de sécurité des pays membres de l’Union européenne actuellement les plus exposés. Nous pensons, en premier lieu, aux trois pays baltes. En cas d’agression par la Russie poutinienne, ils seraient assurés de leur défense par une puissance dont la population est trois fois plus nombreuse que celle de la Russie.

Pourquoi la France doit abandonner la dissuasion nucléaire

Précisons, pour éviter toute ambigüité, que ce qui est en cause, ce n’est pas la « dissuasion ». Il va de soi que tout Etat qui veut rester indépendant doit user de différents moyens pour dissuader un agresseur potentiel. Sa force de dissuasion, c’est d’abord la puissance de son armée, sa formation, la qualité de ses équipements. Mais c’est aussi la détermination de ses citoyens à résister, comme le montrent les Ukrainiens. C’est cette force qui devrait contraindre tout agresseur potentiel à renoncer à ses projets. Il devrait craindre pour lui des dommages tels que les avantages qu’il pourrait tirer de l’agression ne puissent se justifier.

Précisons aussi, que ce qui est en cause, ce n’est par le « nucléaire ». Il ne s’agit de renoncer ni à la propulsion nucléaire des sous-marins, ni à l’énergie nucléaire dans la production d’électricité. Ce qui est en cause, c’est la détention et l’usage de l’arme nucléaire. Une arme de destruction massive. Une arme, par nature, pour commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. La dissuasion nucléaire, c’est la dissuasion d’un agresseur éventuel par la menace de le détruire en partie ou en totalité (sa population et ses infrastructures économiques et militaires) au moyen de l’arme nucléaire.

Nous n’avons fait qu’esquisser, dans notre dernier article, les raisons pour lesquelles la France devrait renoncer à sa force de dissuasion nucléaire. Revenons maintenant sur les arguments : - elle est inutile ; - son usage est impossible ; - nos partenaires européens ne veulent pas de notre force de dissuasion nucléaire, et insister pour la conserver ou la mettre au service de l’Union serait source de discorde. Autrement dit, elle est un problème si l’on vise à la création de l’Armée européenne.

La force de dissuasion nucléaire est inutile

Rappelons, tout d’abord, que la dissuasion nucléaire française est née de l’échec d’un projet de création d’une armée européenne, et que, dans sa version initiale, rédigée par Jean Monnet en 1950, ce projet, prévoyait la « création, pour la défense commune, d'une armée européenne rattachée à des institutions politiques de l'Europe unie, placée sous la responsabilité d'un ministre européen de la Défense, sous le contrôle d'une assemblée européenne, avec un budget militaire commun ».

Initiée par la France, cette tentative de création d’une armée européenne échoua… à cause de la France. C’est, en effet, une coalition de circonstance des gaullistes et des communistes à l’Assemblée nationale qui y mit fin, en pleine guerre froide, le 30 août 1954. La France se prononça alors contre la ratification du traité instituant la Communauté Européenne de Défense (CED). Un traité qu’elle avait pourtant signé deux ans auparavant, avec les trois pays du Benelux, l’Allemagne de l’Ouest et l’Italie.

Il faut dire que la CED, même si cela n’explique pas son échec, signifiait, pour la France, un renoncement à la dissuasion nucléaire. Le traité ne lui permettait pas d'entreprendre un programme nucléaire militaire indépendant. La CED aurait été étroitement associée à l’Alliance atlantique et la dissuasion nucléaire serait restée l’affaire des Américains.

Avec la création du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA), en octobre 1945, la France envisageait déjà de disposer de l’arme nucléaire. Mais c’est seulement après l’échec de la CED, que fut lancé véritablement, sous l'impulsion de Pierre Mendès France et de Guy Mollet, un programme de recherche et d’expérimentation sur la bombe atomique. Dès son retour au pouvoir en 1958, le général De Gaulle confirma cette orientation et lança la fabrication en série du premier vecteur nucléaire, le bombardier Mirage IV. La France réalisa ensuite, en 1960, son premier essai de bombe A. Puis, en 1968, son premier essai d’une bombe encore plus redoutable (la bombe H, à fusion thermonucléaire).

La dissuasion nucléaire de la France a été pensée, dans les années soixante, comme la « dissuasion du faible au fort ». Le faible (la France) entendait menacer, en cas d’agression, le fort (l’Union soviétique), de dommages matériels et humains de grande ampleur. Il était question de pouvoir détruire un pourcentage significatif des infrastructures économiques de l’Union soviétique et d’exterminer ses citoyens par dizaines de millions. Le général De Gaulle, dans une directive du 16 décembre 1961 exprima clairement cette idée : « Dans dix ans, nous aurons de quoi tuer 80 millions de Russes. Eh bien je crois qu'on n'attaque pas volontiers des gens qui ont de quoi tuer 80 millions de Russes, même si on a soi-même de quoi tuer 800 millions de Français, à supposer qu'il y eût 800 millions de Français. ». Rien ne changea sous Valéry Giscard d’Estaing et sous François Mitterrand. Il était toujours question de conserver une capacité d’extermination (d’un tiers ?) de la population, et de destruction (de la moitié ?) des infrastructures économiques de l'URSS.

En fait, en se dotant de l’arme nucléaire, dans les années soixante, la France ne fit qu’ajouter à un risque qui était déjà là : celui d’une destruction mutuelle de l’Occident et du bloc soviétique. Dès le milieu des années cinquante, au temps où nous rejetions la CED, il était clair que la guerre entre puissances nucléaires faisait courir le risque d’un anéantissement mutuel. L’acronyme MAD – « fou » pour Mutual Assured Destruction, disait tout de la course aux armements des deux superpuissances.

Membre de l’Alliance atlantique, la France n’avait pas besoin de l’arme nucléaire pour assurer sa sécurité. Déjà, avec la dissuasion du « fort au fort » (entre Américains et Soviétiques), s’était installé un équilibre de la terreur. « Paix impossible, guerre improbable », écrivait Raymond Aron. La paix était impossible entre le camp des démocraties libérales et celui du communisme totalitaire. Mais la guerre était en même temps, inconcevable, en ce qu’elle signifiait menace d’anéantissement pour tous, de part et d’autre du « Rideau de fer ».

Avec l’implosion de l’Union soviétique, notre dissuasion nucléaire du « faible au fort » n’avait plus de sens. Le « fort » que nous voulions dissuader de nous agresser avait disparu. L’utilité de notre dissuasion nucléaire aurait pu être discutée. Il n’en fut rien.

Comment abandonner l’arme nucléaire dans laquelle nous avions tant investi ? Nous étions devenus nous-mêmes « forts ». Une idée s’imposa : nous devions envisager une utilisation plus « flexible » de nos armes nucléaires. Elles pouvaient être brandies contre des Etats-voyous ou « terroristes ». Des dirigeants transgressifs, étaient à la tête de régimes autoritaires, autour de la Méditerranée et au Proche-Orient (du type Kadhafi, Hafez El-Assad, Saddam Hussein, Khomeini ou Milosevic). Ils pouvaient menacer, sinon notre « sanctuaire national », du moins nos intérêts dans la région. C’est ainsi que, dans les années quatre-vingt-dix, apparut une nouvelle doctrine de dissuasion nucléaire, avec le concept de dissuasion du « fort au fou ».

Nous avions développé, dès les années soixante-dix, des armes nucléaires non seulement « stratégiques », mais aussi « tactiques », autrement dit, des armes nucléaires de moindre puissance, destinées à être utilisées sur le champ de bataille. On envisagea sérieusement de pouvoir frapper un « fou », de façon sélective, y compris à titre préventif, comme ultime avertissement, à l’aide de ces armes nucléaires tactiques. Il était question de frappes nucléaires « chirurgicales », sur des objectifs militaires précis. Cela, sur des théâtres extérieurs, hors du cadre classique de la dissuasion nucléaire.

Cette doctrine nucléaire « révisionniste », si elle a connu des aménagements substantiels dans les années deux mille, n’a pas été totalement remise en cause. Le principal aménagement, sous Nicolas Sarkozy, a été l’exclusion de frappes préventives.

La force de dissuasion nucléaire française se veut maintenant « strictement défensive ». Il faut dire, par ailleurs, qu’elle n’a plus de composante terrestre. Jugée trop vulnérable à une attaque nucléaire surprise, la force nucléaire au sol a été abandonnée. Les silos du plateau d’Albion et le dernier missile Hadès ont été démantelés dès la fin des années quatre-vingt-dix.

Notre force de dissuasion nucléaire, aujourd’hui, ne repose plus que sur deux composantes : la composante océanique et la composante aéroportée. La première est la moins vulnérable. Elle est constituée de quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), quasiment indétectables, chacun d’entre eux pouvant emporter 16 missiles mer-sol M51 (lesquels ont chacun une puissance de 1000 fois la bombe d'Hiroshima). La composante aéroportée est un ensemble de forces relevant de l’Armée de l’air et de la Marine : d’une part, les Forces aériennes stratégiques, avec leurs avions de chasse Rafale B (une cinquantaine) ; d’autre part, la Force aéronavale nucléaire, constituée du porte-avions Charles de Gaulle et des Rafale Marine (une trentaine).

On aurait pu s’interroger sur l’opportunité de conserver cette composante aéroportée de la force de dissuasion nucléaire française. Celle-ci est très vulnérable, particulièrement le porte avion Charles de Gaulle, en cas d’attaque nucléaire surprise et massive. Le Royaume-Uni, qui est la troisième puissance nucléaire dans l’histoire (avant la France, quatrième), a eu l’intelligence, il y a déjà longtemps, d’abandonner, non seulement sa composante terrestre, mais aussi sa composante aéroportée (la décision a été prise dès 1993). Les forces nucléaires britanniques se limitent, aujourd’hui, à une composante océanique constituée de quatre SNLE. Elles ont réduit, par ailleurs le nombre de leurs têtes nucléaire opérationnelles de plus de moitié, depuis trente ans.

Les missiles tirés des SNLE sont des armes nucléaires stratégiques. Ceux qui sont lancés par les Rafale peuvent aussi être de type stratégique. Mais, ils peuvent être aussi des armes nucléaires considérées comme tactiques. Les seules armes nucléaires tactiques de la force de frappe française, en service aujourd’hui, sont les missiles « air-sol moyenne portée amélioré » (ASMP-A), chacun emportant une tête nucléaire d'environ trois cents kilotonnes, soit une puissance équivalente à (seulement) une vingtaine de fois celle d’Hiroshima. On le comprend, les ASMP-A n’ont rien à voir avec l’idée de champ de bataille auquel ils sont théoriquement destinés. Ce sont des armes de destruction (moins) massive que celles tirées des SNLE. Elles demeurent, par nature, des armes pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

La puissance de destruction de notre force de dissuasion nucléaire, aujourd’hui, est impressionnante. Elle est telle qu’elle pourrait exterminer un milliard d’individus ! C’est peu, il est vrai, à côté de ce que pourraient faire Américains et Russes : ils pourraient en exterminer chacun quarante milliards (à supposer qu’il y en eût autant sur terre…).

L’usage de l’arme nucléaire est impossible

Notre force de dissuasion nucléaire était inutile au temps de la menace soviétique. Elle ne l’est pas moins face à la Russie de Poutine, qui est aujourd’hui fauteur de guerre et principale menace pour la sécurité en Europe. Mais ce qui est aussi remarquable, c’est que son usage est impossible.

On a vu qu’il a été question, en France, à la fin du siècle dernier, d’une dissuasion du fort au fou. C’est à un autre type de fou que nous avons affaire aujourd’hui. Ce n’est pas un fou faible qu’il faudrait ramener à la raison en montrant notre force, voire en frappant de façon préventive. C’est un fou fort, qui dispose d’un puissant arsenal nucléaire… et qui pourrait l’employer en premier.

Que veut dire Vladimir Poutine lorsqu’il brandit, de façon à peine voilée, la menace d’utiliser l’arme nucléaire ? Ce ne peut être qu’il va recourir à l’arme nucléaire stratégique. S’il est fou, il ne l’est pas complètement. Et s’il l’était complètement, il n’y aurait rien à faire. Nous serions assurés d’une destruction mutuelle, et peut-être même de la disparition de la vie humaine sur notre planète. Parions donc sur la folie, seulement partielle, de Poutine. Il est fou en ce sens, que (par passion nationaliste-impériale ? complexe obsidional ? paranoïa ?), il a perdu le contact avec la réalité au point de prendre une décision déraisonnable en déclenchant la guerre en Ukraine. Mais, il est toujours capable de raisonnement. Il est certainement rationnel dans la plupart de ses actes de la vie quotidienne et dans ses décisions politiques courantes.

La menace nucléaire qu’il brandit est de toute évidence, celle d’utiliser des missiles Iskander à courte ou moyenne portée, portant une charge nucléaire. En d’autres termes, d’utiliser des armes nucléaires, non pas stratégiques, mais tactiques, considérées encore comme des armes de champ de bataille. Il est peu vraisemblable qu’il y recoure en Ukraine, car ce serait l’utiliser contre des populations qui sont censées être « russes » (les Ukrainiens sont des Russes, au sens de Poutine), et l’effet médiatique serait catastrophique pour la Russie, au plan international. Mais on ne saurait exclure une provocation comme le tir d’un missile Iskander sur un objectif particulier, en relation avec l’OTAN, par exemple, dans les pays baltes ou en Pologne. Si Poutine se livrait à ce genre de provocation, ce serait tout à fait déraisonnable, comme le déclenchement de la guerre, il y a cinq semaines, ou l’obstination actuelle à poursuivre l’offensive, alors qu’aucun plan de prise de contrôle des villes n’a fonctionné. Mais, ce ne serait pas à exclure dans le cas où l’armée russe serait acculée à une posture défensive au nord de Kiev, ou au sud, autour de Kherson/Mikolaïv ou Marioupol. Il s’agirait de dire que l’échec des Russes en Ukraine est dû aux armes américaines et européennes utilisées contre leurs blindés et que, si les Ukrainiens résistent à leur occupation fraternelle, c’est parce qu’ils y sont incités par l’OTAN.

Que ferions-nous dans ce cas ? Il est clair que notre riposte devrait être forte. Mais, nous n’utiliserions pas une arme nucléaire. Ni stratégique, ni tactique. D’abord, parce que notre territoire national ne serait pas touché. Et même si nous avions « mutualisé » notre force de dissuasion nucléaire en la mettant au service de la Défense européenne, il serait souhaitable que nous ne ripostions pas avec une arme nucléaire. Cela, parce que le risque d’escalade serait trop grand. Et il serait souhaitable que l’OTAN ne riposte pas non plus, avec une arme nucléaire, même seulement une arme nucléaire tactique. Cela, pour les mêmes raisons.

Ajoutons à ces raisons, une raison morale. Peut-on, dans une démocratie libérale, donner à un chef d’Etat, le pouvoir de déclencher le feu nucléaire sur Moscou ou Saint-Pétersbourg et ainsi, de perpétrer un crime contre l’humanité ? C’est à cela, qu’il serait condamné s’il commençait à riposter avec des armes nucléaires tactiques sur des objectifs, même seulement militaires, et « circonscrits », en Russie.

La dissuasion nucléaire repose, en fait, sur un pari. Celui de la rationalité d’un agresseur éventuel. Il ne pourrait passer à l’acte d’agression parce qu’il craindrait des représailles massives, l’extermination de tout ou partie de son peuple. Si l’agresseur éventuel était un fou, disposant du plus grand arsenal nucléaire de la planète, que ferions-nous ? On le voit, la dissuasion nucléaire n’est pas une garantie ultime de sécurité. Face à un fou nucléaire, elle nous protègerait autant que la ligne Maginot en 1940.

Nos partenaires européens n’en veulent pas

S’il faut donc abandonner la dissuasion nucléaire. Il le faut pour une autre raison encore :  nos partenaires européens n’en veulent pas.

L’idée de mettre notre force de dissuasion nucléaire au service de la défense européenne a parfois été évoquée. Autrement dit, l’idée serait de la « mutualiser ».  Mais, cela aurait-il un sens ? La position de nos partenaires européens et de leurs opinions publiques, sur le sujet, n’est pas connue de façon indiscutable, faute de véritable débat. Mais, il y a fort à parier qu’ils refuseraient la « dot » que nous proposerions dans la corbeille de mariage de nos armées.

D’ores et déjà, au moins trois Etats de l’Union européenne devraient s’opposer à l’idée de doter l’Armée européenne d’une force de dissuasion nucléaire. Il s’agit de l’Autriche, de l’Irlande et de Malte, qui ont signé et ratifié le traité sur l’interdiction des armes nucléaires, entré en vigueur en janvier 2021, et déjà adopté par la majorité des pays du monde.

Certains Etats de l’Union européenne, très attachés à la protection américaine de l’Europe pourraient dire que la dissuasion nucléaire américaine suffit. Ce serait aussi une raison pour refuser la mutualisation de notre force de dissuasion nucléaire.

Mais, il faut aller plus loin sur cette question de la protection américaine. Nous considérons que la force de dissuasion nucléaire est dangereuse, en ce sens qu’elle ferait courir un risque d’escalade et donc de catastrophe planétaire, dès lors qu’il s’agirait de riposter à une provocation de Poutine. Notre proposition de création d’une armée européenne est, en fait, incompatible avec la présence d’armes nucléaires américaines sur le territoire de l’Union européenne.

L’abandon unilatéral de la force de dissuasion nucléaire par la France devrait s’accompagner d’un retrait des armes nucléaires américaines présentes sur le sol européen, dans le cadre de l’OTAN. L’Union européenne devrait signer et ratifier le traité sur l’interdiction des armes nucléaires. Et, avec la création de l’Armée européenne, elle deviendrait une puissance non nucléaire.

Nous avons suggéré que la France, pour montrer sa détermination, propose à l’Union européenne de prendre sa place au Conseil de sécurité des Nations Unies. Ajoutons que l’Union européenne, en tant que membre permanent, pourrait contribuer fortement à un accord sur l’élimination des armes nucléaires dans le monde. Après la libération de l’Ukraine et l’effondrement du régime de Poutine, la diplomatie de l’Union européenne, puissance non-nucléaire, aurait entre les mains une carte très intéressante à jouer dans le concert des nations.

Nous considérons que le contexte est maintenant favorable à la création de l’Armée européenne. Il n’y aurait pas grand risque politique pour le chef de l’Etat à prendre l’initiative audacieuse que nous proposons… après l’élection présidentielle.

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