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Billet de blog 23 novembre 2025

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Des parents allemands qui parlent en anglais à leurs enfants

De plus en plus nombreux sont les parents allemands à parler en anglais avec leurs tout petits, parfois dès l'âge de la crèche. Une enseignante en langue à l'université expose les risques de cette stimulation linguistique précoce.

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Titre original : „Ganz schrecklich“: Deutsche Eltern sprechen Englisch mit ihren Kita-Kindern

Auteur, éditeur : Pia Seitler, Frankfurter Rundschau, Francfort-sur-le-Main

Lien vers le texte original : https://www.fr.de/panorama/ganz-schrecklich-deutsche-eltern-sprechen-englisch-mit-ihren-kita-kindern-zr-94010618.html

Date de parution : le 2 novembre 2025

Traduction de l’allemand : Vincent Doumayrou

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Hambourg - Dans tous les Länder allemands, le parcours d'apprentissage comprend, parfois dès le cours préparatoire, une langue étrangère à l'école primaire - l'anglais le plus souvent. Cela ne semble toutefois pas suffire à certains parents. La pression monte en effet, encouragée par la connaissance de la capacité d'apprentissage du jeune cerveau et par le souhait d'assurer à sa progéniture le meilleur départ possible dans un avenir globalisé. « Ces derniers temps, de plus en plus souvent, j'entends des parents allemands parler à leur enfant en anglais, dès l'âge de l'école maternelle, avec pour un certain nombre d’entre eux une connaissance de la langue tout à fait insuffisante », écrit une participante d’un forum en ligne.

De nombreux parents pensent qu'ils loupent le coche du développement de leur progéniture s'ils ne les encouragent pas suffisamment tôt. Un phénomène qui fait plus de mal que de bien. Les réactions sur le forum sont des plus claires : « c'est terrible. Léopold siss is not okee. Plies dont du dädd ! », commente un utilisateur. Une autre personne trouve cela « totalement aberrant, c’est un certain type de parents qui fait cela ».

Une femme écrit être anglophone de langue maternelle et enseigner l’anglais à l'université. « J'y vois la source de nombreux problèmes à l'avenir. Les parents qui font cela ne connaissent souvent pas l'anglais aussi bien que ce qu’ils croient et ils transmettent leurs propres fautes de langue à leurs enfants », commente-t-elle. Elle prend comme exemple une mère qui utilisait comme une évidence le mot securities pour parler d’un agent de sécurité, alors qu'il désigne un titre financier. L'enseignante alerte quant au fait que de telles erreurs, que les parents répètent à leurs enfants, se figent dans le temps et que les étudiants, même après une année à l'étranger, ne les chasseront jamais vraiment.

Les experts alertent sur une stimulation linguistique inopportune avant l’école primaire

Les hommes ont la capacité d'apprendre plusieurs langues au niveau d'une langue maternelle, s’ils s’y exercent le plus tôt possible, affirme le linguiste Jürgen Meisel à la Süddeutsche Zeitung de Munich. Il a dirigé le centre pour le plurilinguisme de l'Université de Hambourg. Le fait d'avoir un environnement adapté est toutefois déterminant, et doit offrir à l'enfant une stimulation linguistique. Si celle-ci est insuffisante, et avec elle l'encouragement à la langue, on encourt des risques importants pour le développement des compétences linguistiques de l'enfant.

A quoi les parents qui souhaitent que leur enfant apprenne précocement une langue étrangère doivent-ils être attentifs ? L'enfant doit avoir dans sa langue maternelle un niveau qui correspond à son âge et il faut respecter le principe « Une personne - une langue », conseillent les scientifiques. « Nos recherches montrent que des sources de stimulations en grand nombre ne marchent pas du tout, explique le psychologue André Zimpel à Buzzfeed News Deutschland. Quand les enfants apprennent les langues par des jeux didactiques ou des applications, sans l’accompagnement de personnes référentes d'un point du vue émotionnel pour leur parler la langue à apprendre, cela agit comme un bruit parasite. »

La pédagogue Nathalie Frezy travaille à la chaire de pédagogie des langues à l'université de Würzburg, en Bavière, et sait ce qui est particulièrement important pour le développement linguistique. Lorsque des parents regardent un livre d'image avec leur enfant, ils ne doivent pas se contenter de regarder l'image et demander ce que l'enfant y voir. Les parents doivent aussi dire des choses du genre : « C'est une vache. La vache est brune. Sa peau est douce. Exprimez ce qui se passe », dit-elle à BuzzFeedNews Deutschland.

Pia Seitler

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Mon commentaire : à défaut de compétence particulière en sciences de l’éducation, je m’en remets au jugement des spécialistes cités, qui condamnent cette pratique et dont l’avis me paraît plein de bon sens.

Ce comportement me paraît refléter l’idée que je combats depuis des années, à savoir un comportement de prosternation presque superstitieuse devant la domination de l’anglais, ou l’idée que l’anglais même mal maîtrisé est la solution à tous les problèmes, que le parler fût-ce de manière rudimentaire permet de transformer l’eau (linguistique) en vin.

Bien sûr, l'apprentissage de l’anglais est primordial, mais ne doit pas se faire au détriment des autres compétences culturelles, en particulier de la langue maternelle. J’ajoute que si le parent établie en Allemagne est anglophone, évidemment il peut - et doit - parler à son enfant en anglais.

Les parents qui adoptent cette pratique, par ailleurs, font montre d’une forme de mépris pour la langue nationale et sa bonne transmission, condition première d'une vie sociale - et d'un apprentissage de l'anglais - réussis. Et en adoptant la logique de ces parents, on pourrait abandonner l’usage de l’allemand dans toutes les situations de la vie sociale : si les parents parlent en anglais à leur enfant, pourquoi continuer à parler en allemand à la KITA (crèche), au Kindergarten, à l’école primaire, au collège, dans les médias, dans les prétoires, dans l’administration, dans le commerce, dans la vie publique ? Cette pratique, si elle se généralisait, serait un pas vers la disparition des langues autres que l’anglais. Elle est totalement condamnable.

Vincent Doumayrou,
auteur de La Fracture ferroviaire, pourquoi le TGV ne sauvera pas le chemin de fer,
Préface de Georges Ribeill. Les Éditions de l'Atelier, Ivry-sur-Seine, 2007.
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Ce blog se veut écolocitoyen. Par conséquent, il n'utilise de photos qu'à la marge, et uniquement en format réduit. Les billets sont supprimés au bout d'une durée maximale de deux ans, à moins de présenter un intérêt particulier.
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Sur ce même blog, sur le même sujet :

Les linguistes atterrés se prosternent devant la domination de l’anglais (le 24 août 2025) : https://blogs.mediapart.fr/vincent-doumayrou/blog/240825/les-linguistes-atterres-se-prosternent-devant-la-domination-de-langlais

Un groupe d’enseignants chercheurs s’oppose à l’utilisation du français (le 4 mars 2017) : https://blogs.mediapart.fr/vincent-doumayrou/blog/040317/un-groupe-denseignants-chercheurs-parisiens-soppose-lutilisation-du-francais

Quand le basculement vers l’anglais isole un pays de ses voisins (le 16 septembre 2016) : https://blogs.mediapart.fr/vincent-doumayrou/blog/160916/quand-le-basculement-vers-langlais-isole-un-pays-de-ses-voisins

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