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Billet de blog 14 août 2025

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Comprendre l’entrisme dans les partis de gauche sur le sujet « éducation »

Grâce aux possibilités d’échange et de communication du web et de l’engagement de quelques-uns, la connaissance dans le grand public des mécanismes de psychologie cognitive et de sociologie qui expliquent la construction des inégalités scolaires est mieux partagée. Mais, pas dans les partis politiques de gauche, où l’intimidation de celles qui refusent les dogmes simplistes est encore la règle.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La France est l’un des pays de l’OCDE qui atténue le moins les inégalités de parcours scolaires liées aux origines sociales. C’est ce que nous apprennent les enquêtes PISA qui ont lieu, tous les 3 ans depuis 2000 dans de nombreux pays, auprès des jeunes de 15 ans. Il y a une unanimité chez les personnes qui s’intéressent à l’éducation en France pour reconnaître ce fait. Cependant, il n’y a pas unanimité, à gauche, sur les causes et sur les manières de communiquer sur ce sujet pour faciliter l’atténuation de ces inégalités.

Deux catégories de personnes qui se disent « de gauche », se heurtent violemment en affirmant agir pour l’atténuation des inégalités liées aux origines sociales. Le premier camp regroupe celles et ceux qui ont un esprit critique développé et une réflexion sincère sur le sujet basée sur l’observation du terrain et les études bien étayées. Le deuxième camp est celui de celles et ceux qui s’appuient sur un prêt-à-penser construit, entre autres, pour leur permettre de se valoriser en disqualifiant les tenants du premier camp par des éléments de langage inexacts mais difficiles à déconstruire.

Les tenants de la bonne parole sur l’éducation dite de gauche

Les affiliés au deuxième camp, aussi appelés les « tenants de la bonne parole dite de gauche sur l’éducation » peuvent être classés en trois catégories : les co-constructeurs, les gardiens de la bonne parole et les diffuseurs.

La finalité des co-constructeurs est de maintenir une bonne parole dite de gauche qui permet :

  • de garder une armée de gardiens et de diffuseurs pour que le jeu de pouvoir autour d’une pensée unique sur l’Education à gauche puisse perdurer,
  • d’entraver la construction d’un esprit critique chez les citoyens, et la formation de personnes qualifiées pour gérer les changements qui s’annoncent liés au réchauffement climatique et à la remise en cause des équilibres économiques mondiaux (tout en prétendant le contraire),
  • de servir la Finance en obtenant que l’école de la République continue à fournir des citoyens maitrisant insuffisamment la lecture, l’expression et les opérations de base, dont l’estime de soi a été détruite par un collège hypocrite et qui n’ont pas d’autres ressources que d’accepter des métiers précaires et mal payés (tout en prétendant le contraire).

Pour la dernière affirmation, la démonstration se trouve dans cet article de blog : 2023 - Les tribulations de Yaya - épisode 7 : Les élites, des boucs émissaires bien pratiques pour Yaya ! 

Le mépris vers les enseignants et vers les jeunes qui n’ont pas tous les codes de l’école est assez sidérant. Les tenants de la bonne parole n’ont en général pas conscience de ces finalités tacites, parfois au prix d’un biais de confirmation un peu accentué.

Les diffuseurs se différencient des gardiens par leur sincérité. La finalité des diffuseurs est l’intérêt général et il suffit d'expliquer dans une discussion bien documentée en quoi l’affirmation qu’ils ou elles transmettent est fausse pour qu’ils ou elles n’utilisent plus l’argument. Ce n’est pas le cas des gardiens de la bonne parole qui sont là pour la mise en valeur de leur personne, et qui, au contraire vont utiliser des méthodes agressives pour faire taire celle ou celui qui insinue que le prêt-à-penser n’est pas totalement fiable. En effet, le château de cartes sur lequel est construit leur aura de compétence sur le domaine risque de s’écrouler. Or, pour eux, il s’agit d’une question autrement plus importante que l’avenir de la Jeunesse.

A titre d’éclairage sur le comportement des gardiens de la bonne parole, prenons comme exemple, l’animateur d’un groupe de travail qui s’est réuni pratiquement toutes les semaines de novembre 2020 à mars 2021 pour préparer les élections régionales de 2021. Celui-ci avait décidé d’appliquer les éléments de langage voulus à la fois par la technostructure de l’Éducation Nationale et le prêt-à-penser dit gauche : c’est-à-dire de faire comme si seul le bac général existait. En effet, d’après les chiffres officiels de l’Education Nationale, 79,1% des élèves ont eu un baccalauréat (Bac général 42,9%, Bac technologique 16,0%, Bac professionnel 20,2%) (données de 2024 mais très proches de celles de 2020). Cependant lorsque que des membres de l’Éducation Nationale communiquent, ils font sciemment un mensonge cognitif : Ils affirment qu’il y a 80% bacheliers et commentent comme si tous les bacheliers avaient le profil d’un bachelier ou d’une bachelière du bac général. Ils sous-entendent qu’un bachelier professionnel a les mêmes acquis en lecture automatique et en facilité d'exprimer ses idées qu’un bachelier général.  Ce qui est évident faux : il y a un tri sur le critère – niveau en expression écrite - entre les trois lycées. Il suffit de regarder les taux de réussite en licence en fonction de la filière du baccalauréat pour en prendre conscience. Ils invisibilisent ainsi sciemment 57% de la jeunesse. (La grande majorité de ces jeunes peuvent acquérir ces compétences s’ils ont la volonté et un accompagnement de qualité qu’aujourd’hui l’institution ne fournit pas).  Ce déni de réalité entraîne des conséquences graves : impossibilité de discuter de l’offre de parcours de formations adéquate pour toute la cohorte, impossibilité de penser une procédure d’affectation non brutale avec des passerelles pour changer de voie, montée d’un ressentiment contre la démocratie chez les jeunes qui pensent à juste titre ne pas avoir eu leur chance. N’oublions pas que le ressentiment contre l’école est une des causes de la montée du Rassemblement national. Ce mensonge cognitif renforce également la dévalorisation des filières professionnelles.

Malgré les enjeux, l’animateur est resté sur son orientation première de ne s’occuper que la moitié de la jeunesse : celle qui en a le moins besoin. Il avait notamment refusé de prendre en compte les lycéens professionnels bien que le groupe de travail possédât les compétences sur ce sujet.

Ce qui est intéressant est que la même personne a participé en 2025 à une discussion sur la période de fin de collège à fin de licence (dite Bac-3 - Bac+3). Bien que la réflexion sur ce thème ait évolué dans la société civile responsable, il avait toujours les mêmes éléments de langage. Il est tout à fait excusable de ne pas se remettre en cause dans l’action à cause d’une crainte de ne pas arriver à gérer toutes les conséquences. Cependant ne pas le faire pendant les périodes de calme quand les enjeux sont aussi forts, est symptomatique d’un manque d’intérêt sur le sujet qui est, je vous rappelle, l’avenir des jeunes les moins dotés à la naissance.

Il est à noter que cet animateur, qui a décidément tout pour plaire à ceux qui sont engagés pour lutter contre les inégalités, a également refusé de prendre en compte les aspects femmes-hommes lorsqu’il a été discuté de l’architecture idéale des lycées alors que des recherches sérieuses sur le sujet existent en France et qu’il y a des impacts sur la confiance en soi des femmes et sur la lutte contre les violences sexistes.

La disqualification de celles et ceux qui n’adhèrent pas au prêt-à-penser

La technique de ceux qui imposent le prêt-à-penser, pour disqualifier est relativement simple. Elle est basée sur le fait que le système éducatif est un système hypercomplexe. Sur un aspect du système éducatif, à la fois, crucial et complexe, ils imposent des dogmes qui semblent de bon sens, mais qui ont en réalité des effets pervers, contre-intuitifs, rédhibitoires. Ces derniers ne peuvent pas être expliqués dans une punchline.

Comme l’indique la loi de Brandolini, "L’énergie nécessaire pour réfuter une ineptie est supérieur d’un ordre de grandeur à celle qui a permis de la créer" ainsi que l’explique Laurent Vercueil (2016).  Aussi, tout était mis en œuvre pour ne pas donner de fenêtre d’expression suffisante à toute personne qui avait une analyse différente de celle imposée par la « bonne parole dite de gauche sur l’éducation » :

- invention de prétextes pour qu’elle ne soit pas cooptée dans un groupe où les discussions informelles sur des aspects stratégiques sont possibles,

- actes d’occupations de terrain pour pourrir le débat quand elle a obtenu la charge d’animer une réunion sur le sujet,

- dénigrement de sa parole car les communicants autorisés de cette confrérie de dogmatiques indiquent qu’elle se trompe car elle n’est pas alignée avec le prêt-à-penser imposé (y compris, ou plutôt surtout, quand de nombreux éléments factuels lui donnent raison),

- actes d’harcèlement par violence symbolique en bande organisée.

La personne qui avait trop insisté lors de l’exemple précédent, pour que l’on prenne en compte les attente de tous les jeunes et non pas les 43% qui auront un bac général, a subi ces agressivités.

Cette technique a un double effet Kiss-cool, elle permet 1) d’invisibiliser les paroles de la personne, 2) de la mettre à la limite de l’épuisement cognitif. Ce qui a comme conséquence de l’obliger à gérer sa charge mentale si elle veut continuer à agir pour permettre l’atténuation des inégalités de destin liées aux origines sociales. Concrètement, les personnes qui tiennent le coup, ont besoin d’environ trois fois plus d’énergie pour faire avancer le sujet, et sont en situation de grande émotivité lorsqu’elles communiquent. Ce qui, avouons-le, est un peu handicapant. Cependant, je vous rassure, dans le monde réel, la majeure partie des personnes abandonnent, laissant toute la place à ceux et celles qui ont compris que l’investissement pour transmettre « la bonne parole dite de gauche sur l’éducation » est rentable, car des personnes qui en tirent leur pouvoir ne lésinent pas sur les retours d’ascenseurs.

Pour faire bonne mesure, je précise qu’il existe également une « bonne parole de droite sur l’éducation » dont les co-constructeurs gèrent les mêmes finalités (avec moins d’hypocrisie tout de même) et qui n’est pas plus fiable. Parfois, les deux groupes s’affrontent dans des joutes verbales convenues à la manière d’un match de catch comme dans la « querelle » des méthodes de lecture. Le but commun est d’invisibiliser les approches rigoureuses, en focalisant sur un faux débat.

La confrérie des dogmatiques sur l’éducation

La bonne parole dite de gauche s’est auto-construite, à l’origine, dans un échange de services où l’intérêt général n’avait pas de place. Des personnes qui considéraient l’Education nationale comme un terrain de jeu pour mettre en scène leur indispensabilité ont auto-construit collectivement, sans pour cela s’être forcément formellement concertées, des accords consensuels de valorisation mutuelle de leur fonds de commerce respectif. Ces personnes se trouvent notamment parmi l’encadrement supérieur de l’Éducation Nationale, les vendeurs de solutions pédagogiques miraculeuses, les membres d’associations, de syndicats, de partis politiques, les enseignants-chercheurs dans les INSPés ou en sociologie… La code de comportement est le suivant « Si tu diffuses les dogmes en cours qui ne gênent pas ta stratégie personnelle, si tu n’as aucune parole en contradiction avec les dogmes en cours y compris ceux qui ne sont pas en accord avec ta stratégie, alors je tiens en compte de tes intérêts dans ma version de la bonne parole ». Des journaux, des chercheurs, des think tanks ne citent ou n’invitent que des personnalités qui respectent ces règles tacites.

Il s’agit d’arrangements naturels dans les groupes humains très bien décrits dans le classique de sociologie des organisation « L’acteur et le système » de Michel Crozier et Erhard Friedberg (1977). Ces arrangements peuvent être consciemment régulés par une autorité ou par l’intervention de personnes ayant un engagement pour le bien commun (exemplarité ou transmission de cadres de représentation pertinents). Ce qui explique qu’on invisibilise celles et ceux qui ont la capacité de les réguler ces arrangements tacites.

Cependant, deux groupes très agressifs ajoutent des dysfonctionnements à ces dysfonctionnements naturels. Le premier agit sur le fond. Je les ai déjà présentés. Ils sont partenaires privilégiés des co-constructeurs du début de cet article. Ce sont des lobbyistes qui imposent à l’éducation nationale des manières d’organiser le système et des approches pédagogiques qui font perdurer les inégalités scolaires et qui sapent l’enseignement scientifique, tout en prétendant le contraire. Ils agissent très souvent en coopération avec la bonne parole dite de gauche.

  • « Jusque dans les années 2010, quel intérêt a eu la technostructure à ne valoriser que les recherches autour de méthodes pédagogiques miracles évidemment illusoires, au lieu de mettre en avant les recherches sur la construction de la compétence de l’enseignant pour faire progresser chaque enfant ? Quel intérêt avait la technostructure lors de la rédaction du premier le socle commun de connaissances de l'enseignement obligatoire (celui de 2007), de ne pas y mettre la finalité « apprendre à apprendre » contrairement à ce que suggérait l'UNICEF et pénaliser ainsi les enfants de milieu social défavorisé pour qui cette compétence est moins souvent apprise inconsciemment avant la scolarisation ? Quel intérêt avait la technostructure et les tenants de la bonne parole de nier que le collège casse la confiance en soi des plus faibles scolairement, de manière à être sûr de les maintenir dans un état de découragement qui rend docile ? […] Toutes ces personnes ou entités n’avaient aucun intérêt de réaliser toutes ces actions contraires à l’émancipation de la jeunesse, si ce n’est d’obéir à ce qu’attendent leurs commanditaires » (Extrait de l’article cité plus haut).

Le deuxième groupe repose sur des accords de pouvoir entre puissants. C’est ce que j’appelle « la confrérie des dogmatiques sur l’Éducation ». Ces derniers sont infiltrés dans certains partis politiques et certains syndicats et veillent à qui a une crédibilité pour parler d’éducation dans le groupe auquel ils appartiennent. Ceux qui veulent sacrifier l’avenir de la jeunesse et saper les compétences scientifiques du pays, les ont convaincus de réserver le droit de réfléchir sur l’éducation à des personnes identifiées, des personnes dont ils sont sûrs qu’en aucun cas elles dérogeront aux éléments de langage imposés. Notre gardien de la bonne parole qui ne s’intéressait qu’aux 50% des jeunes qui en avaient le moins besoin avait compris l’intérêt de servir avec obséquiosité ces gens-là. Les membres de la confrérie des dogmatiques ne sont en général pas des spécialistes de l’éducation, aussi ils sont convaincus que le prêt-à-penser est aligné avec l’intérêt général. Alors, ils estiment qu’il est légitime d'utiliser leur pouvoir pour choisir celles et ceux qui ont le droit de se valoriser en utilisant ce prêt à penser. Ils considèrent celles et ceux qui transgressent leur volonté comme des inadaptés qui ne savent pas décoder la volonté des puissants qu’il faut rabaisser jusqu’à ce qu’elles comprennent. Il s’agit d’un comportement « très habituel » dans les lieux de pouvoirs, comme les syndicats, les partis politiques ou les cadres supérieurs d’une administration.

Or, il se trouve que celles qui protestent dans la durée pour obtenir le droit de challenger le prêt-à-penser ne sont pas des inadaptées mais des Résistantes. Comme il a été démontré, quelqu’un qui a une connaissance fine de comment se construit la connaissance et qui sait analyser les dynamiques humaines, a conscience que des éléments de langage du prêt-à-penser font partie du dispositif qui entrave efficacement les actions pour la réussite des enfants de milieu populaire ou pour l’apprentissage efficace des sciences. L’accusation d’être inadaptée, en niant le choix explicité en réponse à de enjeux fort pour la jeunesse, est parfois utilisée dans la stratégie d’invisibilisation.

Les actions des dogmatiques pour faire perdurer les collèges ghettos

Dans ce paragraphe, nous allons décrire la stratégie des « co-constructeurs des éléments de langage » pour faire perdurer les collèges ghettos. Le but de ce paragraphe est d’éclairer les méthodes soutenues activement par la « confrérie des dogmatiques », en utilisant un exemple.

Il y a une unanimité chez les personnes qui construisent la stratégie à gauche de l’intérêt de faire disparaître les collèges qui regroupent un nombre important de jeunes issus de famille défavorisée. La scolarisation dans un collège qui concentre la difficulté scolaire et qui coupe des contacts avec des jeunes issus de toutes les classes sociales de la société influe négativement sur les possibilités de réussite scolaire, parce qu’il est plus difficile de créer une ambiance de classe où l’effort scolaire est valorisé, parce que les jeunes ont moins d’occasions de connaître les règles implicites de la société (la diversité des métiers ainsi que les règles de comportement de la classe moyenne, c’est-à-dire celles attendues dans les entreprises). De surcroit, l’absence de confrontation entre enfants porteurs de visions du monde différentes crée des incompréhensions sur lesquelles s’appuient les partis extrémistes.  

Par ailleurs à cause d’un fonctionnement inadéquat de l’Éducation nationale, dans ces établissements, les enseignants ont en général moins d’expérience, les vacataires sont plus nombreux (enseignants généralement sans formation à la pédagogie), les remplacements des enseignants absents sont moins souvent assurés. Dans certaines villes, les locaux sont en moins bon état qu’ailleurs.

Il s’agit d’une rupture d’égalité des possibilités d’accéder à l’éducation, inadmissible, qui crée un ressentiment contre l’Etat français de ceux qui ont conscience d’avoir été exclus de la promesse républicaine.

D’après les données de la DEPP (RERS 2024), sur les 3,4 millions de jeunes scolarisés dans les collèges publics ou privés sous contrat, 16,8% sont dans un établissements classés REP ou REP+ (21,4% sur la base restreinte des collèges publics) : environ 570 000 jeunes sont concernés (suivant ce critère).

L’urbanisation n’explique que partiellement la concentration d’élèves d’origine sociale défavorisée dans un établissement. Souidi et Botton ont mis en évidence que 92 000 collégiens sont scolarisés dans un collège très défavorisé alors qu’ils habitent à moins de 15 minutes à pied d’un collège favorisé voire très favorisé. En effet, au niveau national environ un tiers des élèves ne fréquentent pas le collège leur secteur (22% vont dans un collège privé et 13% dans un collège public autre que leur secteur). Cependant dans les collèges très défavorisé, 2/3 des élèves issus de famille favorisée dérogent au collège de leur secteur, principalement pour aller dans un collège privé. Aussi, la structure sociale des collèges privés sous contrat évolue vers un embourgeoisement. En 1989, la part d'élèves socialement favorisés était supérieure, en pourcentage, de 13 points dans le secteur privé par rapport au secteur public. En 2022, cet écart atteint 24 points. (Youssef Souidi - Vers la sécession scolaire ? – Mécanique de la ségrégation au collège, Fayard ; 2024)

Sous le ministère de Najat Vallaud-Belkacem, une initiative pour le renforcement de la mixité sociale est lancée qui s’est traduite par un soutien à des actions pour l’amélioration de la mixité, organisées localement. Certains de ces actions sont des projets d’envergure comme à Toulouse ou en Haute Garonne. Des rapports d’évaluation ont été publiés qui avaient eu très peu d’écho dans la presse. Evidemment, Blanquer quand il est arrivé au ministère a stoppé tous les nouveaux projets.

Les deux camps présentés au début de cet article (celui de l’esprit critique et celui du prêt-à-penser) sont d’accord avec ce diagnostic : rupture d’égalité de possibilités liée au lieu d’habitation, carte scolaire actuelle inadéquate pour une bonne mixité, fuite des enfants de famille favorisée des établissements qui concentrent les difficultés, des expérimentations globalement satisfaisantes qui incitent à amplifier les actions.

Des rencontres nationales Cnesco ayant pour titre « Mixité sociale à l’école, des moyens pour agir- Capitaliser et valoriser les expériences de mixité sociale à l’école » ont été organisé à Toulouse en février 2022 sous la direction d’Etienne Buztbach dont les actes ont été publiés en janvier 2023. Des chercheurs en économie : Julien Grenet, Élise Huillery et Youssef Souidi, ont publié une synthèse des résultats mesurables pour le Conseil scientifique de l’Éducation nationale en avril 2023. Le sociologue Choukri Ben Ayed qui travaille sur le sujet depuis les années 2000, a produit une analyse critique des publications et des approches de recherche sur le sujet, en février 2025. On peut ajouter, aux contributions équilibrées, le livre de Youssef Souidi, déjà cité, en avril 2024.

Cependant ces publications n’étaient visiblement pas conformes aux attentes des co-constructeurs de la bonne parole sur l’éducation dite de gauche, qui ont envoyé leurs propres communicants avec deux éléments langages imposés.

Elément de langage 1 : Avec la suppression des collèges ghettos, le problème des inégalités scolaires liées aux origines sociales serait résolu.

Elément de langage 2 : Les familles favorisées ne mettraient pas leur enfant dans les collèges où de nombreux enfants sont issus de famille défavorisés à cause d’une attirance pour l’entre-soi : Elles ne voudraient pas que leurs enfants se mélangent.

Ces deux affirmations sont fausses. Les deux affirmations entravent des actions pour limiter les inégalités scolaires liées aux origines sociales, car elles contribuent à invisibiliser les causes ayant le plus d’impacts,

Pour la première affirmation il suffit de reprendre les données de la DEPP, RERS2024, pour s’apercevoir que seuls 29% des collégiens et collégiennes d’origine sociale défavorisée sont en REP ou REP+ (Réseau d’éducation prioritaire).

  • Les collégiens d'origine très défavorisé sont proportionnellement bien plus nombreux dans les établissements REP+ (69,9%) et REP (56,0%) par rapport à la totalité des collèges (35,1%). Cependant les effectifs sont faibles en REP+ (193 943 collégiens) et en REP (378 514) par rapport à ceux de l’ensemble des collèges (3 404 820). Le résultat de 29% s’obtient à partir de ces données. Source des données : RERS 2024 (Repère et référence statistique) de la DEPP fiche 2.17 tableau 2 et 3, Fiche 4.04 tableau 2.  Données 2023, établissement public et privé sous contrat, France dont DROM.

La première cause des inégalités scolaires est la faiblesse d’attention stratégique, par les personnes à la tête de l’Éducation nationale, aux difficultés spécifiques des élèves issus de famille défavorisée en primaire. Quel que soit l’environnement de l’école primaire où les enfants sont scolarisés, les enfants issus de famille défavorisée sont plus nombreux à ne pas avoir acquis les compétences attendues en lecture et expressions écrites en fin de CM2, nécessaires pour aborder sereinement le collège. Le prêt-à-penser dit de gauche invisibilise les connaissances de psychologie cognitive qui permettent d’expliquer pourquoi ces enfants apprennent moins facilement (alors qu’ils sont aussi intelligents), et donc entrave la capacité d’agir pour compenser. L’affectation d’un jeune dans un collège où une grande partie des enfants sont issus de famille défavorisée, amplifie ces difficultés de départ. Cependant, supprimer la moitié du problème pour 29% des collégiens d’origine sociale défavorisée, est très utile voire essentiel mais ne constitue pas une solution complète au problème des inégalités scolaires liées aux origines sociales.

Pour la deuxième affirmation, il est nécessaire de regarder les sondages chez les parents ou les rapports de l’Assemblée nationale et le Sénat. Les familles qui cherchent l’entre-soi, existent et ont toujours existé. Cependant, aujourd’hui, en général, les familles ne rejoignent plus un établissement privé à cause de la religion comme dans les années 50, mais parce qu’ils pensent, souvent à tort vu l’engagement du personnel dans les établissements publics, que l’enseignement y est mieux assuré. En effet, quand dans un établissement public, une classe n’a pas eu de professeurs de Français ou de Mathématiques pendant 6 mois, les familles qui connaissent le fonctionnement de l’école ont tendance à chercher des moyens pour fuir cet établissement. Cet élément de langage imposé est une tentative d’invisibilisation du vrai sujet : ces établissements n’ont pas les moyens nécessaires pour faire face aux difficultés qu’ils rencontrent. Par ailleurs, ce faux diagnostic rend plus aléatoire l’organisation du pilotage des initiatives pour plus de mixité sociale dans les établissements public ou privé sous contrat de France. La réussite nécessite de prendre en compte les craintes réelles des personnes concernées, et non pas les craintes fantasmées dans une communication construite pour être toxique, et pour cela il faut des personnes avec une expertise spécifique dans le pilotage des projets de changement ayant une forte composante liée à l’humain. Le « y a qu’à » ne fonctionne pas.

Le but des co-constructeurs du « prêt-à-penser dit de gauche » est bien de construire du flou sur ce qui impacte vraiment sur les inégalités scolaires liées aux origines sociales et sur la manière d’agir pour les atténuer. Les éléments de langage voulus ont trois impacts : entraver la compréhension de pourquoi les enfants issus de familles défavorisés apprennent moins bien, désigner comme bouc émissaire les familles qui pensent faire au mieux pour leur enfant (d’une telle manière que cela renforce les familles dans leur choix), entraver la réussite des actions pour supprimer les collèges ghettos en invisibilisant ce qui fait la complexité de ce type d’opération.

Un petit résumé de la problématique

En résumé, des personnes en situation de pouvoir dans un certain parti de gauche, sont persuadées (ou font semblant d’être persuadées) que la fidélité à un « prêt-à-penser sur l’Education présenté comme de gauche » est susceptible d’aider à agir pour atténuer les inégalités scolaires liées aux origines sociales et de rendre plus efficace le système éducation. Aussi, ils estiment qu’il est légitime d'utiliser leur pouvoir pour choisir celles et ceux qui ont le droit de se valoriser par l’utilisation ce prêt à penser, d’intimider avec des méthodes de voyous les non-choisis qui osent vouloir s’intéresser au sujet, et ne jamais donner des plages d’expression à celles et ceux qui ont la compétence pour démontrer le caractère nuisible de certains dogmes du prêt-à-penser. Il y a une sorte de confrérie des dogmatiques sur l’éducation qui s’entraident et agissent avec des techniques proches, pour valoriser le « choisi » et pour invisibiliser les personnes qui remettent en cause les dogmes du prêt-à-penser.

La valorisation du « choisi » consiste, par exemple, de le présenter comme féministe alors qu’il agit en mâle dominant quand il faut partager le temps de parole avec des femmes ou qu’il refuse de prendre en compter les aspects femmes-hommes lorsqu’il parle d’un sujet. On va l’aider à écrire des documents politiquement corrects sur divers sujets. En échange, dans les réunions internes et les formations qu’il anime, il va s’appuyer sur les éléments de langage voulus par la confrérie des dogmatiques indépendamment de ce qui a été écrit en son nom. Le « choisi » est conditionné pour ne pas pouvoir remettre en cause le prêt-à-penser aussi il a désappris à penser par lui-même sur ces sujets. Cependant, il a bien entendu compris son intérêt à contribuer aux actes d’élimination de celles et ceux qui contestent certains aspects du prêt-à-penser.

Ce petit jeu existe depuis plus de 40 ans. Aussi, il est extrêmement difficile pour les militants sincères sous influence de cette confrérie depuis des dizaines d’années, d’arriver à admettre qu’ils ou elles se sont fait manipuler à ce point pendant si longtemps. Je suggère aux personnes sincères qui n’arrivent pas à le croire, de lire et réfléchir aux arguments de cet article : 2022 – La métamorphose du paradigme sur l’éducation aura-t-elle lieu ? , puis la série des « tribulations de Yaya ». 

La pensée alternative dans la société civile responsable n’a pu s’éclore que grâce aux possibilités de construire des blogs et d’échanger sur internet et elle n’est mature que depuis 3ans. Elle est constituée de stratégies à déployer 1) pour déconstruire les dogmes toxiques identifiés, 2) pour construire une « connaissance valide » sur les sujets cruciaux encore impensés et 3) pour déterminer les principes à mettre en œuvre pour mettre en place ce qui fait consensus chez les personnes concernées et les personnes qui ont une approche rationnelle.

Le plus structurant des sujets cruciaux impensés est « Quelle diversité de parcours de formations proposer après la troisième de manière que chaque jeune en ait un qui lui convient et qui peut conduire à terme au métier qu’il a choisi ? » Cette question est complexe car l’alliance entre la technostructure de l’éducation nationale (encadrement dirigeant) et le prêt-à-penser de gauche a imposé des analyses fausses qui pénalisent les jeunes qui n’iront pas au lycée général, ainsi que les jeunes qui ne sont pas dans des familles qui peuvent aider à être stratégiques lors des paliers d’orientation.  Cet article développe dix problématiques à approfondir qui restent toujours d’actualité : L’orientation de fin de 3ème un impensé des théoriciens de l’école (août 2021).  A titre d’illustration, les dogmatiques, entre autres, (1) nient que le collège, structurellement, détruit la confiance en leur capacité d’apprendre des plus faibles scolairement, (2) transmettent les éléments de langage destinés à invisibiliser les acquis, attentes et envies des jeunes qui n’iront pas en lycée général et (3) promeuvent l’orientation progressive dans un silo alors la psychologie nous enseigne que la bonne manière de penser l’orientation est l’essai-erreur.

Pour gérer les changements indispensables, comme - Comment mettre en place une gestion des ressources humaines, vraiment humaine ? -  ou - Comment organiser la suppression des collèges ghettos - ?, il faut utiliser les approches adéquates qui existent (manager avec le social, projet de changement organisationnel et culturel). Rappelons l’amateurisme avec lequel ont été gérées la réforme des rythmes scolaires (qui était une bonne réforme), ou la réforme du collège de 2015 (qui était tellement inadaptée qu’elle a coûté la carrière politique à Najat Vallaud-Belkacem).

Comment les partis politiques devraient agir face à ces pratiques ?

Soyons réaliste. Un parti politique n’a pas les mêmes codes de comportements que le pays des bisounours. Une confrérie des dogmatiques a les moyens d’imposer son « choisi » pour participer au groupe restreint qui réfléchira sur l’éducation, grâce aux arrangements entre les courants. Ce n’est pas très moral, provocateur par rapport à celles et ceux qui ont bossé pour faire avancer le sujet. Des gens compétents quitteront le parti par protestation. Cependant il faut faire avec.

Il y a des avantages :

  • Même si le « choisi » est choisi pour servir des personnes qui ne s’intéressent pas à améliorer le système éducatif, il est notamment coaché pour bien communiquer. L’apparence est bonne chez les personnes qui ne connaissent pas vraiment le sujet, pourvu qu’il y ait une relecture pour éviter les énormités.
  • Dans le contexte où un changement de paradigme est en route dans la société civile de gauche, même les membres de la confrérie de dogmatiques sont obligés d’évoluer. Or quelqu’un qui avance pas à pas (même si on regrette sa lenteur) est plus susceptible d’entraîner les vieux militants sous influence à changer de convictions, que quelqu’un qui a une approche rationnelle et qui est forcément en rupture avec certaines de leurs croyances essentielles.

Cependant il y a urgence à construire des solutions qui correspondent réellement aux besoins, qui prennent en compte toutes les contraintes. Certains sujets sont complexes.

Ouvrons les yeux ! Qui a vu que les défauts de la réforme du lycée général de Blanquer avant sa mise en place ?  Qui a continué dans un silence étourdissant de parler des problématiques des jeunes qui n’avaient pas acquis la lecture automatique avec construction de sens, en fin de CM2 et en fin de 3ème ? Qui a proposé dès 2021, pour faire avancer la question de l’orientation après 3ème, une approche basée sur dix thèmes à discuter construite pour permettre à chaque participant de se construire sa propre conviction sur des sujets où les légendes urbaines étaient nombreuses ? Qui ? Des personnes qui ont été invisibilisées par des méthodes plus qu’agressives.

Trois ans se sont passés depuis que la pensée alternative est suffisamment mature pour que les discussions posées soient possibles. Mais, ces trois ans ont été perdus à cause des blocages de personnes qui, pour leur intérêt personnel, ont servi la confrérie des dogmatiques. Faut-il perdre trois ans de plus en laissant se reproduire les mêmes jeux en laissant les mêmes doctrinaires sans régulation entraver la réflexion ?

Certains partis politiques semblent être sur ce chemin.

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