wawa (avatar)

wawa

Chien qui aboie ne mord pas (et la caravane passe).

Abonné·e de Mediapart

2148 Billets

0 Édition

Billet de blog 16 avril 2020

wawa (avatar)

wawa

Chien qui aboie ne mord pas (et la caravane passe).

Abonné·e de Mediapart

Les envahisseurs

Traduction libre du texte de Johannes Borgstein. Invasion of the managers. LANCET 2003; 362:256.

wawa (avatar)

wawa

Chien qui aboie ne mord pas (et la caravane passe).

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C'est en entrant par erreur dans une chambre, à la recherche d'un patient, que j'ai remarqué pour la première fois qu'il se passait quelque chose d'anormal. Quelques semaines plus tôt, il y avait là un lit et un patient. Maintenant, on y trouvait un bureau, des chaises et une personne inconnue qui entrait très sérieusement des colonnes de chiffres dans son ordinateur.

Ma première réaction fut l'agacement. Dans notre hôpital, le nombre de lits est en constante diminution, à tel point que nous ne parvenons plus à y admettre les urgences, ni à programmer correctement les planning opératoires.

Une autre chambre de patient venait maintenant de disparaître.

D'angoissantes questions s'imposèrent alors à moi: d'où viennent donc tous ces ronds de cuir ? Que nous veulent-ils ?

A la recherche de réponses, je me suis mis à observer plus attentivement mon entourage. Certains indices ont émergé peu à peu. Des paramédicaux, et même des médecins, parfaitement normaux jusqu'alors, présentaient des caractéristiques inhabituelles, mais typiques. Ils commencent par s'isoler peu à peu, dans des chambres progressivement transformées en bureaux. Ils finissent par passer le plus clair de leur temps à fixer sans sourire leurs écrans d'ordinateurs, et à se nourrir de données statistiques, plannings, procédures ou autres formulaires. Ils en créent sans fin, en nombre toujours croissant. Ils quittent de moins en moins leurs bureaux, sauf pour se rendre à des réunions lors desquelles ils communiquent entre eux à l'aide d'un langage incompréhensible ou si ennuyeux que les personnes demeurées normales n'arrivent plus à faire l'effort de les comprendre.

Ces travaux intenses menés dans ces pièces très éloignées des préoccupations des patients n'ont aucun effet perceptible sur l'organisation de l'hôpital, sauf à la rendre plus pesante, plus coûteuse et à occuper inutilement des gens et de la place.

Il s'agit là d'observations préliminaires, probablement très incomplètes.

C'est pourquoi je n'ai encore que deux ou trois hypothèses, sans doute très partielles, pour expliquer cet inquiétant phénomène.

1) Peut être s'agit-il d'un agent infectieux inconnu, un virus ou un prion, qui incube silencieusement jusqu'à ce que des signes plus francs de "tendances managériales" se manifestent. Toutefois, cette théorie explique mal que les victimes d'un tel agent acquièrent soudainement un statut et un bureau dans lequel elles travaillent sur des données binaires, sans que personne ne songe à leur demander d'utiliser les compétences plus complexes pour lesquelles on les a embauchées et pour lesquelles elles sont (bien) payées.

2) Une autre possibilité pourrait être que nous assistons à une véritable évolution Darwinienne. Ce serait enfin la preuve longtemps attendue de l'apparition d'une nouvelle espèce: ce fameux chaînon manquant que nous avons longtemps cherché en vain, serait en train d'apparaître sous nos yeux.

Ceci expliquerait pourquoi les individus de type "managérial" ne pensent ni ne réagissent comme nous. Ils ont évolué bien au-delà de nous. Par exemple, un chirurgien me faisait part récemment de son irritation face au manque de lits dans son service. Il avait insisté pour obtenir l'autorisation d'admettre et d'opérer un enfant en train de mourir de cancer. Le "manager" en charge du dossier lui avait répondu avec gentillesse que son insistance était déplacée puisque son quota opératoire annuel était déjà atteint.

3) Enfin, même si cette dernière hypothèse doit rester entre nous, il est possible que nous soyons au beau milieu d'une invasion extra-terrestre, par une espèce capable de proliférer à partir de données statistiques et de nourriture hospitalière. Quand ces envahisseurs nous aurons tous immobilisés à remplir ces formulaires si inutiles que seuls de tels extra-terrestres hostiles aient pu les concevoir, nous ne serons alors plus capables de leur offrir la moindre résistance.

...

Lire d'autres histoires racontées par Johannes Borgstein ici:

https://blogs.mediapart.fr/wawa/blog/190420/la-medecine-pile-ou-face

https://blogs.mediapart.fr/wawa/blog/200420/mandarinat-et-bureaucratie-dans-les-administrations-hospitalo-universitaires

https://blogs.mediapart.fr/wawa/blog/160420/des-hopitaux-sans-patients

...

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.