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Billet de blog 4 juillet 2017

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"Le poids inutile de la terre"

Cette déclaration abrupte du Président de la république sur "ceux qui ne sont rien" me fait penser à cette ordonnance de police du 16ème siècle à l'encontre de ceux qui "sont le poids inutile de la terre". En attendant, la ministre des Solidarités publie vite son programme pour lutter contre la pauvreté, mais ne prévoit rien pour les plus démunis.

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Illustration 1

On a glosé sur la gaffe ou la provocation d'Emmanuel Macron, prononcée vendredi dernier devant le campus pour les start-up, à propos de "ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien". Incroyable qu'il n'y ait pas eu un vrai rectificatif. J'ai pensé à cette ordonnance… de police de la Ville de Paris au 16ème siècle désignant les vagabonds, les gens sans aveux ni domicile ni métier : "gens qui ne servent que de nombre, sunt pondus inutile terrae", c'est-à-dire qu'"ils sont le poids inutile de la terre" (1).

Et que s'est-il passé ce lundi 3 juillet, alors que le président causait à Versailles : sa ministre des Solidarité et de la Santé, Agnès Buzyn, annonçait ses priorités pour lutter contre l'exclusion et la pauvreté :

Illustration 2
Agnès Buzyn [Reuters]

une augmentation ciblée de la prime d'activité, une amélioration du congé maternité et une revalorisation du minimum vieillesse (ASPA) et de l'allocation (l'allocution, a dit un journaliste perturbé sans doute par Versailles) d'adulte handicapé (AAH). Quant au financement du RSA, il pourrait être renationalisé. Sur la pauvreté elle-même, rien qu'on ne savait déjà (programme d'En Marche), et rien pour les plus démunis. La prime d'activité est versée à ceux qui ont un salaire, certes faible, mais un salaire. Le programme ne prévoit rien pour ceux qui n'ont rien (le RSA est d'un montant bien inférieur à celui de l'ASPA ou de l'AAH), et sont donc "rien".

> (1) Cité par le grand historien polonais Bronislaw Geremek dans Truands et misérables dans l'Europe moderne (1350-1600).

 Le Congrès de Versailles

. Peuplié
Macron a prononcé un "mot intéressant", selon Christophe Barbier, sur BfmTv, un mot qu'il a répété une dizaine de fois dans son discours de Versailles : le mot peuple ! "C'est un Président qui parle à son peuple, par-dessus les partis, par-dessus les structures. C'est très gaullien", nous assène l'oracle des médias. Apparemment, un peu plié, ce peuple : un côté qui réussit, un côté qui n'est rien.

. Fin de la charité publique ?

Illustration 3

Le président de la République a déclaré dans son discours qu'il comptait substituer à "la charité publique" une "vraie politique de l'inclusion de tous". Les réformes économiques et sociales qu'il envisage de réaliser auront pour objectif de donner "une place" à chaque citoyen. Que c'est beau, on croit rêver, car jusqu'à présent, à part quelques envolées lyriques sur la fraternité, il n'a pas été prolixe en solutions pour les plus démunis dans ce pays. D'ailleurs, il a ajouté que l’État, en protégeant les plus faibles, ne devait pas les transformer "en mineurs incapables" ou "en assistés permanents", pour conclure qu'il fallait se "désintoxiquer de l'interventionnisme public". Vous avez compris les assistés, vous qui êtes responsables de votre situation, faut vous bouger, créer votre emploi, votre entreprise, et cesser de solliciter la solidarité nationale ! On comprend que son projet consiste effectivement à protéger un peu les plus faibles, on n'est pas des brutes, donc juste un peu de charité publique, certainement pas une vraie politique de l'inclusion de tous. Avec de tels propos, il faut imaginer ce que ressentent les victimes de la crise, qui a été provoquée justement par le système néo-libéral dont il est porteur (entre autres :  dérégulation quasi-totale du système financier). Ce mépris, en quoi est-il différent de celui d'un Laurent Wauquiez ?

8 milliards de déficit et 112 milliards de surplus de fortune : deux poids, deux mesures

Challenges a publié le 28 juin son sempiternel classement des 500 fortunes de France. L'an dernier, j'avais noté (voir La provoc annuelle de Challenges : le palmarès des fortunes) que le cumul de ces 500 fortunes s'élevait à 458,6 milliards d'euros : je l'avais calculé moi-même car Challenges faisait preuve d'une certaine pudeur en disant juste que le montant équivalait à celui de l'année précédente (460 Mds€). Ce qui tend à prouver ce que j'ai déjà émis comme hypothèse : la publication des salaires des hauts dirigeants du privé comme de ces fortunes est faite pour tétaniser les braves gens (écrasez-vous, vous ne faites pas le poids ; au mieux, rêvez d'être un jour aussi riche). Cette année, Challenges se réjouit de pouvoir annoncer le chiffre : 570 Mds ! Soit 112 Mds de plus en un an !
Et au même moment Édouard Philippe, premier ministre, vient gémir parce la Cour des comptes annonce un "dérapage" de 8 Mds sur le budget 2017 de l'État. Il fait son petit effet en disant que c'est le budget de la Justice et presque trois fois le budget de la Culture. Moi, je dirais que c'est le montant total du RSA qui bénéficie à … deux millions de foyers. Pas sûr qu'il soit vraiment offusqué, même s'il parle de "chèque en bois". Lui n'y est pour rien, suivez mon regard : le président Macron, c'est autre chose. Mais on a droit à la traditionnelle remarque immonde : évoquant la dette publique de 2147 milliards d'euros, il lâche : "Nous n'avons pas le droit de faire cela à nos enfants. Il ne leur revient pas de payer cette note".

Immonde, parce que, dans la plus pure tradition néo-libérale, c'est fait pour affoler le petit peuple (qui ignore que le patrimoine de la France est 7 fois supérieur) et parce que notre PM (LR/LREM) se garde bien de dire que les 500 plus riches de France ont une fortune qui s'est accrue d'un montant 14 fois supérieur au fameux "dérapage".

A noter que pour faire partie des 500, il faut cette année disposer d'une fortune de 130 millions, alors que l'an dernier c'était 100 millions. Pas mal comme progression ? 30 % en un an !

Illustration 4

Égalité des chances ?

Pendant ce temps, il existe une réelle inégalité dans l'accès aux modes de garde (une étude montre qu'un enfant de quatre ans issu d'une famille défavorisée a entendu, en moyenne, 30 millions de mots de moins qu'un enfant d'une famille aisée. Comment Emmanuel Macron va s'y prendre pour instaurer une "égalité des chances" et combattre les inégalités territoriales ? Je ne connais pas la fiabilité de cette étude, mais l'auteur, responsable de projets d'innovation pédagogiques en crèche pour l'Agence nouvelle des solidarités actives (ANSA, fondée par Martin Hirsch), qui a travaillé pour Terra Nova (think tank proche du PS) conclut qu'il faut urgemment créer 40 000 places de crèches.

Woerth, la blanche colombe

Illustration 5

Éric Woerth est très fort : il a toujours LR innocent, il passe toujours à travers goutte. Il est poursuivi, relaxé faute de preuves et du coup lui et ses amis ne cessent de proclamer qu'il est totalement immaculé, "blanchi" par la Justice. Poursuivi dans l'affaire Bettencourt (au point de devoir quitter le gouvernement), accusé d'avoir perçu 150 000 € en liquide (dans des enveloppes kraft), il nie "avec un tranquille aplomb" (écrivait un journaliste du "Monde" qui ajoutait que "le tribunal n'a pas cru un mot de sa version"), mais le tribunal ne l'inquiète pas, tout en concluant qu'il existe "une forte suspicion de remise d'argent des fonds Bettencourt, sans que la démonstration de la remise soit totalement acquise". Autre suspicion sans suite : remise d'une Légion d'Honneur contre un emploi pour Mme Woerth. Le même bénéficie d'un non-lieu avec la vente à vil prix de l'hippodrome de Compiègne (affaire dans laquelle il avait reçu le soutien de… Jérôme Cahuzac, comme par hasard).

On l'a accusé aussi d'avoir arrangé les affaires de Bernard Tapie réduisant son impôt de 115 à 11 millions d'euros (Tapie qui avait reçu un pactole de 403 millions d'euros grâce à l'entremise de Nicolas Sarkozy et de Christine Lagarde). Dans l'affaire des comptes en Suisse, Woerth n'en avait exploité que 3000 alors que selon le procureur de Montgolfier il y en avait plus de 6000 ou même 8000. On glissera en passant qu'il avait été au début de sa carrière consultant chez Andersen qui avait fait faillite pour malversations en 2002 (mais notre Éric national était parti juste avant).

Avec son air réjoui, on lui donnerait presque le Bon Dieu sans confession. Les mains propres, blanche colombe, il n'a jamais rien vu, jamais rien fait. Pas vu, pas pris. Alors qu'il a été réélu pour un 4ème mandat (c'est à désespérer des électeurs), la semaine dernière, il est le seul membre de l'opposition à avoir obtenu la présidence d'une commission à l'Assemblée Nationale : celle des Finances. Comme disent les journaux, il est "spécialiste des finances publiques" !

Le Code du travail pour embêter les patrons

Illustration 6
Muriel Pénicaud, ministre

La ministre du travail a déclaré : "Donc, soit on a un code du travail, qui, en gros, n’est fait que pour embêter 95 % des entreprises et sanctionner les 5 % qui ne se conduisent pas dans les règles ; soit nous inventons un système qui permet plus de marges de manœuvre, avec des filets de sécurité." (ici) Totalement irresponsable ce genre de propos, ou alors c'est avouer publiquement qu'on ne sait pas le début du commencement de ce qu'est le Droit du travail. Affligeant.

Pour que le Président en sache plus :

Le Conseil d'analyse économique

Le CAE a publié deux notes en avril dernier dans lesquelles les auteurs, après avoir constaté que notre système social redistributif a réussi à limiter la casse après la crise de 2008, vont à l'encontre des plaintes habituelles sur l'assistance inutile, et écrivent : "les aides sous condition de ressources, qui permettent de répondre à un grand nombre de situations différentes, ont un coût certes élevé mais qui n’apparaît pas disproportionné par rapport à leur performance pour réduire la pauvreté". Ils se prononcent également pour une simplification des aides financières, car le nombre de non-recours (de personnes ayant droit à une aide et ne la sollicitant pas) est trop élevé : non seulement c'est préjudiciable pour les bénéficiaires potentiels mais cela "nuit au bon pilotage des finances publiques" (ici).

Le Conseil économique social et environnemental

Le Président de la République veut redonner une place au CESE, pour qu'il devienne "un trait d'union" entre la société civile et les instances politiques. Chiche. En attendant, il devrait lire les rapports de cet organisme qui dorment sur les rayonnages empoussiérés :

. Réconcilier la France, rapport annuel sur l'état de la France 2017, par Guillaume Duval et Pierre Lafont. Voir mon article sur ce blog avec un titre éponyme : Réconcilier la France.

. Combattre l'isolement social pour plus de cohésion et de fraternité, auditions de diverses personnalités sur le sujet.

Illustration 7

 L'Observatoire des inégalités

Rappel : son dernier rapport sur les inégalités, Rapport sur les inégalités en France (éditions 2017) et mon article sur ce rapport : Les inégalités : données pour agir

 . Commande : ici.

Lot de consolation

Brigitte Bourguignon, qui avait été pressentie pour être élue au perchoir de l'Assemblée, a finalement obtenu la présidence de la commission des affaires sociales. Jusqu'à l'élection présidentielle, elle appelle à voter Benoît Hamon, puis juste après, "elle tourne casaque", comme l'écrit Le Monde. Et elle est élue facilement. Revirement abrupte qui a beaucoup surpris dans la région. L'ancien président PS du Nord-Pas-de-Calais, Daniel Percheron, a déclaré gentiment : "c'est une militante socialiste qui porte le masque séduisant d'Emmanuel Macron. Nous avons eu des élections carnaval où il suffisait de mettre un masque pour cacher le poing et la rose, et hop, on était élu ! Tant mieux pour les girouettes" (Le Monde du 1er juillet).

Illustration 8
Brigitte Bourguignon à l'Assemblée après son échec au perchoir [capture d'écran France 2]

Bon, maintenant que le carnaval est fini, est-ce que cette présidente issue du secteur social et auteur d'un rapport parlementaire sur le devenir du travail social sera, à un tel poste, un appui pour les travailleurs sociaux, alors même que le néo-libéralisme devrait être renforcé, avec Emmanuel Macron, ce qui ne dit rien qui vaille pour le secteur.
. Voir mon article : Le travail social rate le perchoir

Pure idéologie

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Donc le nouveau ministre de l'éducation remet en cause la réforme des rythmes scolaires, qui répondait pourtant, selon les spécialistes (y compris bien des enseignants) à une nécessité pour les enfants. Par pure idéologie, des municipalités de droite élues en 2014, rien que pour contrer une mesure des "socialistes", n'ont eu de cesse que de casser ce qui avaient été organisé par leurs prédécesseurs. Le premier ministre LR ne fait que prolonger ce travail de sape, qui jette et jettera à la rue des dizaines de milliers d'animateurs. Pour couvrir l'affaire, on demandera "démocratiquement" aux instits s'ils sont d'accord pour ne travailler que 4 jours au lieu de 5. Un instit, quelque part en France, défenseur de la semaine sur 5 matins, écœuré par un tel gâchis, me signale par ailleurs que dans le quartier populaire où il enseigne, des enfants passent désormais le mercredi entier à la mosquée, matin et après-midi. Les autorités, évidemment, n'en ignorent rien, mais ce n'est pas le sujet et ce n'est pas leur problème.

. Voir France Culture : Le grand feuilleton des rythmes scolaires, une histoire sans fin ?

 . Certains passages de ces petits textes ont déjà été publiés sur mon compte Facebook.

Billet n° 332

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