La charité, en effet, aléatoire par définition, dissociait les "bons" et les "mauvais" pauvres. De façon générale, les non-valides étaient acceptables, les valides forcément tire-au-flanc. Les premiers pouvaient être secourus, les seconds bannis hors des villes, vagabonds, porteurs de maladies et de mauvaises idées. C'était souvent plus complexe, car faire l'aumône à un mendiant pouvait vous assurer le salut. On allait tout de même pas vouer aux gémonies tous ceux qui tenaient debout.

Agrandissement : Illustration 1

Aujourd'hui, mine de rien, on perpétue pour partie cette dichotomie ancestrale, avec la même irrationalité. Laurent Wauquiez, qui cultive son catholicisme médiatique, thuriféraire d'une ville de pèlerinage, Le Puy-en-Velay, a trouvé le filon de la charge permanente à l'encontre des "mauvais" pauvres, ceux qui profiteraient des largesses de notre système social alors qu'ils pourraient travailler.

Agrandissement : Illustration 2

Par contre, il ne se prive pas de faire étalage de sa pitié pour les invalides (longtemps, selon le témoignage que m'ont rapporté des Ponots [habitants du Puy], il veillait à toujours s'afficher avec une personne en fauteuil roulant). A contrario, des médias font régulièrement leur B.A. en consacrant un documentaire à cette pauvreté qui perdure. Parfois, c'est plutôt bien fait, la cause est entendue, mais c'est sans lendemain, un peu comme si l'on venait de décrire une maladie pour laquelle il serait temps de lui trouver remède. Et non pas comme une atteinte fondamentale aux principes républicains et à la Constitution, chaque jour violée sur ce point (1).
La campagne présidentielle a quasiment ignoré cette question. François Hollande avait fait un tout petit effort, en décidant d'augmenter de 10 % le RSA sur la durée du quinquennat, taux bien inférieur à la perte subie par le RMI, depuis sa création, par rapport au Smic. Emmanuel Macron a décidé d'améliorer l'allocation d'adulte handicapé (AAH, allocation de secours de l'État pour des handicapés qui n'ont pas droit à une pension d'invalidité) et l'allocation de solidarité personnes âgées (ASPA ou "minimum vieillesse", allocation de secours de l'État pour les personnes n'ayant pas de retraite ou une retraite insuffisante). Ces allocations d'environ 800 € devraient passer en trois ans à 900 € (comme tout minima social, il s'agit d'allocation différentielle, qui assure, au maximum, à la personne, ce montant de revenus). Ainsi non seulement les "bons" pauvres non valides sont un peu pris en compte (sachant que cette augmentation maintient tout de même l'allocation en dessous du seuil de pauvreté) mais améliorer la situation des retraités pauvres a le mérite de pouvoir "remercier" les retraités moins pauvres taxés et de leur demander de ne pas se plaindre, puisqu'ils ne sont pas tous oubliés.

Agrandissement : Illustration 3

Mais rien pour les "mauvais" pauvres, ceux qui ne sont pas (trop) malades, qui vivent du minima social qu'est le RSA (484,82 € pour une personne seule). Dans toutes ses interventions, Emmanuel Macron manifeste un certain dédain pour ces gens-là : c'est pourtant plus de deux millions de foyers en France. Sa conception du sujet est la suivante (déjà bien présente dans ce qu'affirmait Nicolas Sarkozy quand il a approuvé la création du RSA) : ceux qui sont au RSA sont des gens valides, donc ils peuvent tous travailler. S'ils ne travaillent pas ce n'est pas parce qu'il y a du chômage, ou plus exactement parce que l'emploi manque. Non, c'est parce qu'ils n'ont pas les compétences. Et c'est ainsi qu'il vend son projet de consacrer 15 milliards à la formation. C'est, entre autre, ce qu'il a dit à Jean-Pierre Pernaut dans l'école primaire de Berd'huis, le présentateur de TF1, expert en la matière, abondant dans son sens en lâchant sans complexe et tout réjoui : "on manque de bras" !
Je persiste à penser que les luttes sociales devraient adjoindre à leurs revendications propres celle d'une hausse immédiate du revenu minimum assuré pour les plus pauvres, qui ont à peine la moitié du seuil de pauvreté pour survivre, ce qui les conduits soit à mendier, soit à trouver des petits boulots (dans l'illégalité) comme dans ce documentaire récemment diffusé, Pauvres de nous, où Isabelle complète son RSA en faisant les vitres chez sa voisine ou en vendant des bougies dans la rue.
Si Jean-Jacques Bourdin, sans bien connaître le sujet, lui qui aligne 20 ou 30 Smic par mois, mais qui tenait à faire son petit effet, croyait pouvoir hurler à Emmanuel Macron dimanche dernier, que certains Français n'ont même pas "20 ou 30 € pour boucler les fins de mois" (sans même se rendre compte que sa phrase répétée était bien maladroite), d'autres, plus précis, comme Michel Pouzol, se souviennent que "la fin du mois c'est le 5 du mois ; le 20, on n'a plus que les pièces jaunes pour le pain", ou Marianne qui avec sa petite retraite dit : "le 3ème jour, tu te demandes ce que tu vas bouffer le soir", ou Isabelle qui, avec 480 € de RSA pour payer ses charges et dépenses courantes, dit carrément que "les fins de mois durent 30 jours". Et ajoute : tu deviens quelqu'un qui baisse tout le temps les yeux".
______
(1) La Constitution de 1946, reprise dans celle de 1958, stipule que « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler, a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».
- France 2, Questions directes, le 18 avril : "Inégalités : qui sont vraiment les privilégiés ?"
- France 5, Le Monde en face, le 11 avril : "Pauvres de nous"
- Planète Plus, le 7 décembre : "Pourquoi nous détestent-ils, nous les pauvres ?"
1. "Inégalités : qui sont vraiment les privilégiés ?"

Agrandissement : Illustration 4

C'était le thème de l'émission Questions directes sur France 2 le 18 avril, 3ème édition, un peu à la manière de Ce soir ou jamais, jadis, de Taddéi. On repasse les vidéos de Sarkozy, de Woerth, de Wauquiez s'en prenant aux "assistés". On met en présence le délégué interministériel à l'égalité des chances (le boxeur Jean-Marc Mormeck) qui n'a pas grand-chose à dire sinon qu'il a bien intégré le discours dominant ("il faut se prendre en main, et ne pas attendre qu'on vous donne"), un patron qui a vendu son entreprise en France pour s'exiler en Suisse (en effet, "le principe de redistribution n'est pas seulement injuste, mais pas moral" tout en constatant, bon prince, que "les assistés touchent très peu"), et un journaliste sarkozyste Éric Brunet déblatérant comme à l'ordinaire sur la fiscalité outrancière et les dépenses sociales inutiles : il osera affirmer que la preuve que le système social français est nul c'est que les migrants de Calais ne veulent pas rester et cherchent à rejoindre l'Angleterre !

Agrandissement : Illustration 5

Et aussi une sociologue, la coriace Monique Pinçon-Charlot, qui constate que plus les riches se voient accorder des cadeaux (comme la suppression de l'ISF et la réduction de l'imposition sur le capital) plus ils viennent gémir. Elle dénonce leur "entre-soi", leur égoïsme comme dans certains quartier (voir son dernier livre avec Michel Pinçon Panique dans le 16ème). Elle parle de "guerre de classe", considérant qu'"une poignée des plus riches fait sécession". Certains dans le 16ème possèdent des terres dans la Beauce et touchent des royalties de l'Europe. Paraphrasant Macron, elle lance : "je ne céderai rien sur les fainéants, les cyniques, les extrêmes de l'oligarchie prédatrice". Elle liste tout ce qui plombe le budget de l'État et creuse la dette : le CICE et le Pacte de responsabilité (sans réelles créations d'emploi), la fraude, l'évasion et les niches fiscales (le tout : plus de 200 milliards d'euros). Besancenot cloue le patron et Brunet au pilori, s'en prenant avec force au 1 à 2 % les plus riches qui se la coulent douce tandis que 90 % des Français se serrent la ceinture, et relevant qu'il existe 660 aides aux entreprises, passées depuis 2005 de 50 à 150 milliards, tandis qu'une minorité friquée ne paye jamais rien.
Brunet s'était auparavant lamenté, relevant que la CAF consacre 70 milliards à des aides (au nombre innombrable), alors même qu'il s'agit le plus souvent d'allocations, et non pas des "aides". De la même façon, l'avocat Jean-Philippe Delsol (d'une famille de droite extrême qui compte déjà Chantal Delsol et Charles Millon), qui combat l'impôt et "plein de gens qui sont pris en charge", lâche que "33 % du PIB sont consacrés aux aides sociales", ce qui démontre sans coup férir l'ignorance crasse de ce fiscaliste qui menace dans ses livres de quitter le pays : il ignore que les "33 %" sont des dépenses sanitaires et sociales (retraites, santé, action sociale) et non pas globalement des aides sociales (les aides sociales ne sont qu'une infime partie de cette dépense : retraite 300 Mds, santé 200 Mds, RSA 10 Mds).

Agrandissement : Illustration 6

Mais ce qui fera taire Brunet (ça lui donnera même "envie de pleurer"), et le patron et le fiscaliste de service, ce sont les témoignages des invités sur le plateau qui galèrent : Isabelle (Maurer), qui a fait un tabac face à Jean-François Copé le 11 octobre 2013 dans l'émission de David Pujadas Des paroles et des actes, où elle lui a rabattu le caquet de belle façon, qui perçoit le RSA, et milite en Alsace en faveur des chômeurs. Elle rappelle qu'elle galère, qu'elle survit avec peu, et qu'on lui rappelle sans cesse qu'elle est à la charge de la société avec ses 480 €, alors même qu'elle paye des impôts, comme tout le monde (la TVA).
Michel Deschamps, un ancien cadre, dirigeant d'hypermarché (ayant beaucoup licencié) vivant avec le RSA, qui dira qu'il s'en est sorti grâce au "système social français", "grâce à des assistants sociaux qui vont nous défendre, c'est parfois du sauvetage". Il exprime de la compassion pour les jeunes qui n'ont pas droit aux RSA et qui font la manche, précisant que "le RSA c'est pas une bouée de secours, mais juste un petit bouchon de pêche".

Agrandissement : Illustration 7

Et Karine Benhammou-Taupin, agricultrice, au RSA également, qui se dit "écœurée de voir cette absence d'entraide, d'humanité" dans notre société, qui vous renvoie que c'est "honteux de toucher le RSA".

Agrandissement : Illustration 8

Le sociologue Serge Paugam, spécialiste de la pauvreté et de la précarité, constatera que l'on est passé d'un temps où il y avait un certain respect pour les plus pauvres, à un autre, du fait d'un "discours néo-libéral" à une accusation en règle contre ceux qui ne feraient pas assez d'efforts pour s'en sortir. Culpabilisés en permanence, humiliés, ils finissent par être nombreux à ne plus solliciter leurs droits : plus de 5 milliards d'euros non réclamés !
Un retraité de la Poste vient dire qu'i avait 1275 € de pension, passée à 1250, donc perte de 25 € avec la CSG : "Il [Macron] me prend l'argent dans la poche comme un cambrioleur et il vient me dire merci !". Robin Rivaron, "mascotte libérale" (selon le Figaro) se contente de dire que c'est normal qu'on ponctionne les retraités puisqu'ils sont plus nantis que les actifs (globalement, ils ont des revenus à peine plus élevés, mais c'est une moyenne et les spécialistes prévoient que ce rapport entre actifs et retraités va s'inverser).
Brice Teinturier vient donner l'avis du sondeur sensé être neutre : les Français n'auraient rien contre les riches, ils leur demandent simplement d'assumer leurs devoirs et condamnent l'exil fiscal, regrettant que le pouvoir les favorise trop. Si 56 % pensent qu'il y a trop d'assistanat, la bonne nouvelle est que ce taux est en baisse, et 44 pensent qu'il n'y a pas assez d'aides (en hausse) : "ça se rééquilibre" ! Et dans les 56, c'est massivement les LR, FN et une partie des LREM.

Agrandissement : Illustration 9

L'animateur, le journaliste Julian Bugier, parfois maladroit, ce qui n'est pas forcément un défaut, défend un propos plutôt correct : au petit patron qui se vante d'avoir plus cotisé que dépensé en soins, il lui rétorque que c'est le principe-même de la solidarité. A Brunet qui cite des chiffres faramineux d'indemnités de chômage, il lui oppose le fait que ce n'est qu'une petite minorité, et que la majorité des chômeurs touche moins de 1200 € par mois. Il rappelle que la fraude sociale c'est 280 millions d'euros, et la fraude fiscale 80 milliards. Par contre, il tombe dans le panneau : lancer un appel aux téléspectateurs pour qu'on vienne en aide à Michel (ceux qui n'ont pas la chance de passer à la télé peuvent aller se rhabiller).

Agrandissement : Illustration 10

Monique Pinçon-Charlot s'était insurgée contre une presse qui est possédée par les milliardaires, ajoutant, perfide, qu'elle "contamine peut-être France 2". Le ton de cette émission n'était pas condamnable, surtout si pour la partie droite on invite des caricatures. Mais il faut noter cependant que l'émission est produite en partie par Maximal Productions, qui appartient au groupe Lagardère (Europe 1, JDD, Paris-Match). On relève au générique des gens de Maximal et d'Europe 1. C'est cette société qui produit et a la main totale sur C dans l'air (France 5), où est déversée une propagande néo-libérale sans retenue. Si Jean-Luc Lagardère veut se débarrasser de Elle, peut-être a-t-il des visées sur le service public et Monique n'a peut-être pas tort.
2. "Pauvres de nous"
Ce documentaire de Claire Lajeunie, diffusé par France 5 dans l'émission Le Monde en face le 11 avril, était annoncé comme "poignant" par Marina Carrère d'Encausse avec cette sentence : "Un Français sur sept est un pauvre", complété par l'annonce que "9 millions de pauvres sous le seuil de pauvreté avec 1015 euros par mois" : "réalité sociale qui n'épargne personne". Sans pour autant expliciter ce qu'est le seuil de pauvreté et comment il est établi, le chiffre de 1015 euros pouvant interroger le spectateur moyen. Des enfants témoignent dont Matéo et le commentaire nous prévient : "Un enfant sur cinq est pauvre". Sans s'attarder sur le décalage avec la statistique précédente. On comprend vite que si la documentariste a eu accès à des pauvres, c'est grâce au Secours Populaire et aux Restos du cœur. Comme souvent à la télé, comme s'il était si difficile de rencontrer des personnes qui galèrent dans ce pays, sans le prisme d'une association à l'encontre de laquelle on ne fera aucune critique puisqu'elle rend si bien service (au documentariste).
Sébastien a deux mastères, ne peut compter sur une aide familiale. Il vit chichement, et ne peut sortir boire un coup avec ses copains : "c'est comme le bracelet électronique". "Comment exister quand on est rien ?" Il mange surtout des pâtes, fait des courses pour 7 euros, et se couche parfois le ventre vide.

Agrandissement : Illustration 11

La mère de Matéo, qui milite au Secours Populaire, touche moins de 800 € : comme 40000 enfants en France, l'enfant ne prend pas trois repas par jour. Matéo est lucide mais confie : "je pense qu'un jour, on remontera la pente".
Erwan, kiosquier à Paris, travaille dix heures par jour, à 1 à 3 € de l'heure pour les journaux, "métier de fou, gagne misère". Il ne survit que parce que la ville pour conserver les kiosques reverse une indemnité de 700 € chaque mois et à la vente de bibelots (soit 2000 €). Mais il a des frais, doit se faire remplacer, ce qui conduit le commentaire à dire de façon quelque peu naïve : "année après année, Erwan se rapproche dangereusement du seuil de pauvreté, 1015 € par mois
Quant à Isabelle (il s'agit d'Isabelle Maurer, citée plus haut), ce n'est pas parce qu'elle commence à être connue qu'elle est sortie de la dèche : elle vit avec un RSA de 460 €. Elle se démène pour s'en sortir ("je n'ai jamais été aussi active que depuis que je suis au RSA", dit-elle avec son fort accent alsacien). Elle fait les vitres chez une voisine en échange d'un repas. Et comme 17€ par jour pour se loger, se nourrir, s'habiller, payer les assurances, ça ne suffit pas, elle vend dans la rue des bougies, pour compléter un peu son revenu. Cela lui permet de rencontrer les gens. Elle se prive de tout, et doit sans cesse se demander : est-ce que j'ai vraiment besoin de beurre, de tel plat : "c'est épuisant", confie-t-elle. "Tu n'attends pas grand-chose, alors tu ne peux être déçue". "Le RSA, c'est un sparadrap, un cache-misère, que ceux qui critiquent essayent de faire avec". Elle s'inquiète pour l'avenir : "les gens au RSA vont très mal maintenant, mais ils iront beaucoup plus mal après".
Marianne, elle, a 62 ans et touche 672 €. "J'ai travaillé toute ma vie et même plus que ma vie". Elle et son mari sont aidés par leurs enfants, mais voudraient ne pas leur être redevables. Elle dit : "comment envisager l'avenir avec sérénité : si nos enfants arrêtent de nous aider, on arrêtera aussi".

Agrandissement : Illustration 12

Lors du débat qui suit la diffusion de ce documentaire, des acteurs de terrain sur le plateau expliquent ce qu'ils font pour venir en aide aux plus démunis (aide à la coiffure, à l'habillement). Quant à Claire Hédon, responsable d'ATD Quart-monde, elle prend acte qu'Emmanuel Macron lance une énième action sur la pauvreté (des enfants) et considère que l'on n'aborde pas le problème globalement. Une personne seule au RSA dispose de 60 € pour se nourrir (soit 2 € par jour). Elle rappelle ce qui est rarement dit dans les médias : le RSA c'est 540 €, moins un forfait logement si on perçoit par ailleurs une allocation logement, reste 460 €. Elle milite pour une revalorisation des minima sociaux, y compris du RSA. Par contre, comme elle l'a déclaré depuis dans une interview à La Dépêche, elle défend l'idée de fixer le montant des loyers en fonction du revenu. J'ose exprimer des réserves : il me paraît préférable d'augmenter le revenu disponible que de monter des usines à gaz, ce genre de dispositif risquant d'entraîner des effets pervers.
3. "Pourquoi détestent-ils les pauvres ?"

Agrandissement : Illustration 13

Michel Pouzol a, ces dernières années, été invité dans plusieurs émissions de télévision ou de radio pour parler "pauvreté". Car avant d'être député (de l'Essonne de 2012 à 2017), il a connu la galère et n'a pas cherché à le dissimuler : au contraire, il en a fait un atout pour défendre certaines idées avec plus de force et de conviction.
C'est ainsi que Planète Plus lui a proposé un documentaire Pourquoi nous détestent-ils, nous les pauvres ?, réalisé avec Sarah Carpentier, diffusé le 7 décembre. L'ampleur du problème apparaît dès le début du film quand Michel Pouzol révèle que, député (on l'appelait "M. Pauvreté"), voulant mobiliser le pouvoir après l'élection de François Hollande, il entend un ministre lui dire au téléphone : "On est nombreux au PS à considérer que l'on fait déjà beaucoup pour ces gens-là". Glaçant.
Ces gens-là, il les connaît bien pour s'être retrouvé durant près d'un an et demi dans un cabanon avec son épouse, et ses enfants. Ancien ouvrier, journaliste, intermittent du spectacle, "passé par le RMI", il comprend que, compte tenu du discours de certains, assimilant RMI à alcool, à fainéantise, il n'est pas victime mais bien coupable.
L'approche médiatique de ce type de sujet consiste soit à discréditer le sans-emploi, soit à montrer son isolement, ne bénéficiant d'aucun soutien des institutions et des services sociaux. Là, surprise : il déclare que sans les services publics, il y serait encore. Bien sûr, il avait craint que les services sociaux lui retirent ses enfants. Du coup, il n'osait pas aller voir l'assistante sociale. Pourtant, "à force d'insistance, l'assistante sociale nous a sorti de la misère". Elle était totalement à l'écoute, sans jugement : "ça s'apprend dans les écoles d'AS", précise-t-il. Il fait témoigner cette assistante sociale, toute gênée, qui lui demande de cesser de la remercier.
Il date, à juste titre, le rejet des pauvres à 2008 : l'histoire retiendra que c'est au moment où avait lieu une crise financière mondiale, qu'en France des hommes politiques trouvèrent judicieux de partir en guerre contre "le cancer de l'assistanat". Le sociologue Nicolas Duvoux explique que si 44 % des Français pensent que l'aide publique déresponsabilise ses bénéficiaires, c'est parce que ceux qui sont à la lisière de la pauvreté redoutent d'y tomber, rejettent ceux qui ont basculé, leur reprochant en somme de n'avoir pas su l'éviter. Les messages reçus par la Fondation Abbé-Pierre sur sa page Facebook sont parfois si violents qu'ils doivent être supprimés. La crise des migrants vient se rajouter : on voit apparaître des défenseurs des "bons pauvres" y compris de "nos SDF" qu'ils vouaient jusqu'alors aux gémonies.

Agrandissement : Illustration 14

Le clou de ce documentaire, très bien fait, c'est la rencontre avec le directeur de la rédaction de l'hebdomadaire de la droite extrême, Valeurs Actuelles, Yves de Kerdrel. Interrogé par Michel Pouzol sur ses couvertures stigmatisant sans cesse les "assistés", il prétend que les dépenses d'assistance sont "colossales" : "vous avez des gens qui profitent du système". Bien gêné à l'écran, il avoue que s'il abordait sérieusement le sujet de la pauvreté, en terme économique, cela n'intéresserait qu'une petite partie de son lectorat qu'il préfère conserver. D'où les unes démagogiques et insultantes.

Agrandissement : Illustration 15

. Michel Pouzol a publié un livre en 2013 au Cherche Midi : Député, pour que ça change, avec pour sous-titre : Du RMI à l'Assemblée nationale.
. Voir :
- mon article mis en ligne hier : La République à l'épreuve de la Solidarité.
- mon article sur le discours du Président aux évêques : La profession de foi du Président, hymne à l'action caritative, total oubli des sans-emploi.
- mes propositions pour une amélioration des droits sociaux (allocations familiales, quotient familial, montant des minima sociaux) : Politique familiale : l'hypocrisie de la droite.
Laurent Wauquiez a encore frappé, hier :

Agrandissement : Illustration 16

Billet n° 389
Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr
Tweeter : @YvesFaucoup
[Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Voir présentation dans billet n°100. L’ensemble des billets est consultable en cliquant sur le nom du blog, en titre ou ici : Social en question. Par ailleurs, tous les articles sont recensés, avec sommaires, dans le billet n°200. Le billet n°300 explique l'esprit qui anime la tenue de ce blog, les commentaires qu'il suscite et les règles que je me suis fixées.]