Hébergement d'urgence et solutions pérennes
- 20 nov. 2017
- Par YVES FAUCOUP
- Blog : Social en question
![Le 15 novembre devant le Préfecture, à Toulouse [Photo YF] Le 15 novembre devant le Préfecture, à Toulouse [Photo YF]](https://static.mediapart.fr/etmagine/default/files/2017/11/20/img-6214.jpg?width=2662&height=1996&width_format=pixel&height_format=pixel)
Mercredi 15 novembre après-midi, la Préfecture de Haute-Garonne recevait le Collectif inter-associatif pour lui faire part des dispositions prévues pour la période hivernale pour les sans-abri. Moins d'une demi-heure plus tard, la délégation ressortait pour marquer son dépit face à la faiblesse du Plan hivernal et rendait compte à un rassemblement place Saint-Etienne, devant la Préfecture. Un simple directeur leur avait fait part des quelques places d'hébergement prévues et d'un gymnase seulement en cas de "très grand froid" (- 5° pendant trois nuits).
Mario, SDF, témoignant devant la presse le 15 novembre [Ph. YF]
Divers intervenants ont témoigné de la réalité toulousaine : la Cimade, le Collectif inter-associatif, la Fédération des acteurs de la solidarité, la Fédération des femmes, ainsi que le CEDIS (Collectif d'Entraide et d'Innovation Sociale). Photo du compte Facebook du CEDIS
Après la rencontre avec la Préfecture, de nombreuses associations (2) ont adressé une lettre au Préfet pour dire qu'elles étaient consternées "par l'absence de réponse satisfaisante, au vue de l'urgence de la situation et ce malgré [les] différentes alertes préalables" faites au ministère et au Préfet lui-même. Du coup, une délégation a été à nouveau reçue en Préfecture ce lundi 20 novembre. Les autorités de l'État, se désavouant, décident d'ouvrir 335 places supplémentaires (dont 75 en hôtel dès ce soir), et si nécessaire encore 200 afin que "personne ne soit à la rue". Cette ouverture fait suite à deux semaines de mobilisation des associations sur Toulouse, mais surtout vraisemblablement à une décision politique prise en haut lieu, puisque le Président de la République, lors d'un déplacement à Orléans fin juillet, avait déclaré : "la première bataille : loger tout le monde dignement. Je veux partout des hébergements d'urgence. Je ne veux plus de femmes et d'hommes dans les rues". Il en sera certainement de même ailleurs, dans les zones en tension, surtout si les acteurs de terrain localement se mobilisent.
S'il s'agit plutôt de bonnes nouvelles, il y a un revers à la médaille : il n'y a pas d'"inconditionnalité" de l'accueil, c'est-à-dire que les déboutés du droit d'asile sont reconduits à la frontière, sans droit à être mis à l'abri, et ceux qui sont hébergés seront mis à la rue à la fin de la période hivernale. Autres batailles en perspective.
Entraide et innovation sociale
Extrait du film "Un toit sur la tête " [© Narratio film]
Thomas Couderette au micro, place Saint-Etienne, à Toulouse, le 15 novembre [Ph. YF]
Faire bouger les lignes
Le CEDIS est un collectif sans existence administrative et juridique : il regroupe, comme dit plus haut, des travailleurs sociaux et des citoyens motivés par une action efficace visant à pérenniser l'hébergement des personnes jusqu'alors à la rue, avec non seulement mise à l'abri, mais prise en compte de l'accès aux autres droits fondamentaux : santé, emploi, alimentation, éducation, culture. "Le CEDIS, c'est la convergence des compétences des bénévoles qui s'engagent, qu'ils soient enseignants, travailleurs sociaux ou autres, sur les questions de culture, d'alimentation, etc, au sein de commissions diverses", dit Virginie Garnier.
Belle citrouille de 100 kg, récupération alimentaire, effectuée par plusieurs associations, en partenariat, sur Toulouse [Ph. Compte Facebook CEDIS]
Les militants du CEDIS conservent toute leur liberté d'action. La Préfecture (c'est-à-dire le gouvernement), le Conseil Départemental ne respectent pas la loi ? Le CEDIS ne se prive pas de le dire, petit collectif prenant un malin plaisir à opposer à d'importantes institutions publiques le fait qu'elles n'appliquent ni le Code (sur les normes légales de l'hébergement d'urgence, par exemple), ni la Constitution. Le nombre de places a progressé de 130 % en trois ans, et la mairie a joué un grand rôle dans cette évolution, alors même qu'il s'agit d'un financement d'État (passant de moins de 500 places à plus de 1000). Comment la ville s'y est prise ? Elle s'est mobilisée sur les logements inoccupés ce qui a considérablement amélioré l'hébergement (ce qu'aucune autre grande ville n'a fait). Par ailleurs, elle a relogé 2/3 des occupants des bidonvilles, qui sont passés de 1500 à 500 en trois ans (4). Des villes de toute la France viennent voir comment ils ont fait à Toulouse !
Extrait du film "Un toit sur la tête" [© Narratio film]
L'ancienne municipalité de gauche de Pierre Cohen agissait peu, considérant justement que ce n'était pas à elle de régler ce genre de problème. On m'a confié que même un adjoint du Front de Gauche regrettait de ne pas pouvoir faire davantage. Cela peut s'entendre, mais ça n'a aucun effet sur ceux qui galèrent. Cette conception du compartimentage est fort discutable, au moment où, par exemple, on parle de la responsabilité sociale et environnemental (RSE) qui consiste pour les entreprises et les organisations (de tous ordres) à intégrer, sur une base volontaire, des préoccupations sociales, environnementales et éthiques dans leurs activités économiques. Thomas Couderette estime que cela devrait contraindre les services publics à s'engager avant tout, à montrer l'exemple. Il donne cet exemple à juste titre : la mairie ou le conseil départemental n'ont pas dans leur compétence la mission de lutter contre le réchauffement climatique, et pourtant s'ils peuvent éviter de gaspiller l'énergie, ils le font. Cela signifie que la mairie, si elle peut aider à résoudre cette grave question de l'hébergement, elle doit le faire. C'est ce qu'a fait la mairie de Paris en créant des centres d'hébergement alors que ce n'est pas son "métier" (5).
[Photo YF]
Ni la droite ni la gauche ne contestent Moudenc sur sa politique en matière d'hébergement pour les sans-abri. Les seules critiques, pour le moment, viennent des trolls qui font des commentaires, à la suite d'articles parus sur La Dépêche, estimant que l'argent du contribuable ne doit pas aller à ces "moins que rien".
Mélange détonant et étonnant
Comment le CEDIS s'y prend pour mettre les autorités devant le fait accompli ? On voyait bien dans le film Un toit sur la tête la prise de possession de nuit de tel ou tel bâtiment, pour y héberger le lendemain une cinquantaine de familles sans logement. La méthode utilisée mérite d'être décrite parce qu'elle est vraiment peu ordinaire, faite d'un mélange détonant et étonnant d'illégalité et de respect scrupuleux de la loi.
"En attendant", extrait du film "Un toit sur la tête" [© Narratio film]
Ainsi, le CEDIS a squatté un bâtiment du bailleur social Promologis puis y a logé 60 personnes. Poursuivi devant le Tribunal d'instance, le CEDIS a argué que Promologis n'avait aucun projet et que l'occupation ne menaçait pas la structure du bâtiment. Le tribunal n'a alors pas demandé l'expulsion, tout en exigeant une évacuation à la fin de la trêve hivernale. Le CEDIS s'est engagé de lui-même à quitter les lieux si un projet de centre d'hébergement était envisagé. Promologis a monté un projet avec une association, France Horizon, et il a été entendu entre Promologis et le CEDIS que l'occupation se terminerait à la fin de l'année scolaire (donc au-delà de la fin de la trêve hivernale). Le CEDIS a organisé progressivement le départ des familles vers d'autres lieux, y compris vers un nouveau squat dans un bâtiment… de Promologis, tout en informant la direction ! Et les travaux dans l'ancien squat ont commencé dans les parties déjà libérées. Le centre d'hébergement a ouvert ses portes deux semaines seulement après le départ du CEDIS !
L'installation dans le nouveau squat, prévu pour les deux mois d'été, s'est faite en juillet, parallèlement à la fermeture de l'autre. Et, paradoxe supplémentaire, le CEDIS a refusé à l'audience du tribunal d'instance un délai pour l'évacuation au-delà de fin août (2017), à la stupéfaction du juge qui s'apprêtait à en accorder un. Cette position originale du CEDIS était due au fait que le projet de Promologis était de créer des logements sociaux. Sauf qu'il fallait trouver un nouveau squat : comme une solution tardait à venir, Promologis a accordé un délai et, un bâtiment de l'hôpital Purpan ayant été trouvé, le 14 septembre, 75 personnes furent déménagées en deux heures seulement, grâce à la sollicitude d'Emmaüs qui avait prêté chauffeurs et camions pour le transport du matériel. Les travaux pour la réalisation des logements sociaux démarrèrent le jour même de l'évacuation !
Extrait du film "Un toit sur la tête " [© Narratio film]
Dans le même ordre d'idée, dès le début de l'occupation, si l'hôpital a accepté de ne pas porter plainte, il a fait intervenir un huissier pour la constater… mais sur demande du CEDIS qui réclamait ce "commandement à quitter les lieux", souhaitant que cela s'inscrive dans une procédure légale, celle qui réglemente les expulsions, afin de faire en sorte que le tribunal d'instance se prononce. Cela garantit par ailleurs au propriétaire de n'être pas considéré comme responsable de ce qui se passe dans son bâtiment.
[Photo YF]
Des perspectives se font jour à Toulouse, avec des engagements des Hôpitaux, des bailleurs sociaux, de la mairie, et, pourquoi pas, de l'État, si le Président respecte sa parole. Les décisions d'aujourd'hui sont loin de tout régler mais elles sont de bonne augure. D'autant plus, comme le dit Thomas Couderette, que si tous les moyens publics (immeubles) étaient mobilisés, ici sans doute comme ailleurs, "il n'y aurait plus personne à la rue" !
"En route", extrait du film "Un toit sur la tête " [© Narratio film]
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(1) Ce même 15 novembre, un SDF était retrouvé calciné dans sa cabane sur l'île du Ramier (sans que l'on connaisse les circonstances exactes de ce drame). Fin août, un sans-abri a succombé d'un arrêt cardiaque sur un banc, le long du Canal du Midi.
(2) Signataires de cette lettre :
. Le Collectif Inter Associations Toulouse regroupe 21 associations dont : Association des Cités (ACSC), CCPS, Coud’pousse Toulouse, Emmaüs, Emmaüs AGIR, Entraide Protestante, Equipes Saint Vincent, GAF, ICART, Main Tendue, la Roulotte Solidaire, Les Apprentis d’Auteuil, Médecins du Monde, SOLIHA 31, Pas Sans Toit 31, Petits Frères des Pauvres, Secours Catholique, Société Saint-Vincent, UCRM, Welcome. La Fédération des Acteurs de la Solidarité Occitanie fédère 110 associations qui accueillent et accompagnent les plus démunis (CHRS, centres d’hébergement d’urgence, maisons relais, accueils de jour, Chantiers d’Insertion, etc...). L’URIOPSS Occitanie unit les associations et 700 établissements et services des secteurs sanitaire, social et médico-social pour développer les solidarités. Fondation Abbé Pierre, la Fédération Nationale Solidarité Femmes, le CRPA Occitanie (Conseil Représentatif des Personnes Accueillies/Accompagnée), le GPS (Groupement pour la Défense du Travail Social), le CEDIS 31, la CIMADE, la Ligue des droits de l’Hommes, Gouttes de Vies (Collectif Morts de la rue 31), la Maison Goudouli, ACT-UP Sud-Ouest, le Collectif SDF 31,Collectif Solidarité Roms 31.
(3) Voir mon article sur le film d’Olivier Cousin, Un toit sur la tête, qui a été diffusé à la télévision. J'y évoque, entre autres, les liens entre le GPS, groupement de travailleurs sociaux, et le CEDIS. Outre les personnes hébergées, on y voit des bénévoles dont Virginie Garnier, Thomas Couderette, Sylvie Fernandez (éducatrice spécialisée), Annabelle Quillet (conseillère en économie sociale et familiale), qui ont parcouru la France pour aller présenter ce film dans divers festivals.
(4) Lors des évacuations des bidonvilles, tous n'ont pas été relogés : parce que certains n'avaient pas le statut d'"Européens précaires" sur lequel se fondait la municipalité pour s'engager dans le relogement. Donc, il n'a rien été proposé notamment aux Albanais dont on sait qu'ils sont nombreux à demander asile dans la région (en vain, car malgré les violences qui règnent en Albanie, ce pays est considéré comme "sûr"). Par ailleurs, exigence de la justice quand cette dernière a prononcé une obligation à reloger, la mairie doit dresser une liste des personnes à évacuer : bien sûr, entre le moment de son établissement et celui où il est procédé à l'évacuation il y a des changements (ne serait-ce que parce que des gens mal-logés, ailleurs, viennent dans le bidonville le jour de l'évacuation dans l'espoir d'être relogées), qui ne peuvent être pris en compte. Enfin, ces procédures impliquent que les relogés acceptent de suivre des cours d'alphabétisation (ce que certains refusent) et soient actifs dans la recherche d'emploi. Certaines familles n'acceptent pas d'être relogées si elles doivent se retrouver à côté de nationalités qu'elles n'aiment pas (tensions entre Roumains et Bulgares par exemple, parfois même tensions au sein d'une même nationalité).
(5) La norme ISO 26000 (ici) édicte des lignes directrices en matière de responsabilité sociétale des organisations. Elle relève d'un consensus international. Elle a été élaborée par des représentants des gouvernements, des ONG, de l’industrie, des groupes de consommateurs et du monde du travail et a été approuvée en 2010, après cinq années de négociations, par 93 % des pays et organisations membres de l'ISO.
Sur la guérite devant la Préfecture de Haute-Garonne, "Palais National", on peut lire : "Fraternité, les êtres humains naissent libres et égaux" [Photo YF]
État des lieux :
A la date de parution de ce billet, 200 personnes environ dorment dans la rue à Toulouse, sous un pont, 500 sont en squat et 500 en bidonvilles. S'il était possible de mobiliser tout ce qui est mobilisable (patrimoine public et immeubles des bailleurs sociaux encore vides, même si leur nombre se réduit peu à peu, en particulier en ce qui concerne les bâtiments communaux), personne ne serait plus à la rue. La réquisition d'appartements inoccupés dans le secteur privé, outre qu'elle est complexe à mettre en œuvre, n'est même pas nécessaire. Par ailleurs, elle ne pourrait être justifiée que si les pouvoirs publics ont, de leur côté, balayé devant leur porte et mis tout en œuvre avec les moyens immobiliers dont ils disposent.
Toulouse - Les Arènes [Photo YF)
Ces données confortent l'idée que s'il y avait volonté politique, État, Ville, Conseil Départemental, la question de l'hébergement d'urgence serait relativement vite réglée, plutôt que de laisser dans la rue des personnes en danger, laisser des habitants vivre mal cette misère flagrante à leur côté, et des travailleurs sociaux confrontés chaque soir, au 115, à l'impossibilité de satisfaire la demande.
Par contre, il importe de noter qu'il ne suffit pas de régler le problème des sans-abri : en effet, le mal-logement est d'une plus grande envergure. A l'échelle du département de Haute-Garonne, les demandes de logements sociaux en attente se situeraient à 25 000, selon l'Union Sociale de l'Habitat. [Photo YF]
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. Voir sur ce sujet article de Univers Cités : Enquête mal logement : Toulouse essaie de rattraper son retard
. Voir également sur ce blog :
- Préfecture de Haute-Garonne : maltraitance envers les étrangers
Billet n° 356
Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr
Tweeter : @YvesFaucoup
[Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Voir présentation dans billet n°100. L’ensemble des billets est consultable en cliquant sur le nom du blog, en titre ou ici : Social en question. Par ailleurs, tous les articles sont recensés, avec sommaires, dans le billet n°200]
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