Un Salon de l’Agriculture annulé, des citadins privés de sortie « au cul de vaches », des politiciens sevrés de caméras, de flashs et de clashs, et le lobby de l’agriculture industrielle, FNSEA en tête, empêché de monter son grand cirque médiatique : le coronavirus a encore frappé. Est-ce un mal ? Ce que les médias appellent « la plus grande ferme de France »1 n’est pas une ferme, ni une vitrine représentative, pas même un succédané de campagne. C’est un vaste cirque commercial avec son zoo ; un supermarché clinquant et urbain ; une grosse machine à laver dans laquelle la caravane publicitaire de l’agro-industrie et de l’agrochimie se ripoline en vert ; un stade où des « athlètes » de l’élevage font leur show bien loin des réalités des usines concentrationnaires.
La ferme France qui exporte – et qui est en déclin2 –, a besoin de cette vitrine internationale, parce qu’elle doit trouver des débouchés à l’agriculture industrielle. Sur le marché intérieur, elle en a aussi besoin, car elle souffre de plus en plus d’un déficit d’image qu’elle a elle-même contribué à dégrader, avec l’aide active du trust politique et économique de la FNSEA et du cartel des multinationales de l’agro-industrie, le tout sous la protection bienveillante des différents ministres de l’Agriculture, proactifs auprès des instances européennes pour qu’elles maintiennent sous perfusion cette agriculture qui n’en est plus une. Enfin, la grande distribution, friande de labels plus ou moins fumeux, réclame des produits avant tout visibles, tout en étranglant les exploitants et leurs filières (voir les négociations actuelles sur les prix pour l’année en cours).

Cette annulation du Salon de l’Agriculture, et malgré les nombreuses restrictions de circulation, doit être l’occasion pour les citadins (ou pas) d’aller au contact de l’autre France agricole, celle des fermes vivantes, à l’opposé d’une agriculture industrielle mortifère. Une ferme vivante, c’est une ferme qui tisse des liens avec son environnement régional, social, écologique et économique. Elle fait vivre ses paysans, entretient et préserve des biens communs vitaux, participe à la vie d’un terroir. Elles existent, elles prospèrent et elles démentent chaque jour le discours victimaire de la FNSEA et font le pied de nez aux cours de bourse des matières premières agricoles. Elles sont beaucoup moins dépendantes des aides européennes dont elles sont souvent les parents pauvres2. Et pour plusieurs bonnes raisons :
– elles ont des productions diversifiées donnant une certaine souplesse d’adaptation en cas de calamités climatiques ou sanitaires ;
– elles produisent en rapport avec un marché alimentaire local ;
– elles intègrent et maîtrisent des circuits courts ou régionaux, éliminant intermédiaires et dépendance à des revendeurs type grande distribution ;
– elles sont en grande partie autonomes en intrants (herbe, céréales…), réduisant les coûts, maîtrisant la qualité ;
– elles innovent techniquement et dans leurs pratiques : agronomie, outillage, transformation ;
– de taille humaine, elles limitent les investissements lourds ;
– elles s'intègrent dans leur environnement et bénéficient des services écologiques de celui-ci contrairement à l'agriculture industrielle qui transforment et désertifient les paysages.
Socialement, ces fermes vivantes créent de l’emploi, du lien social, forment des jeunes. Elles sont de plus en plus le fait de néo-paysans, c’est-à-dire de personnes sans lien familial direct avec le métier, mais ayant une conscience écologique forte.
A titre d’exemple, sur notre ferme des Pyrénées, nous avons débuté en pionniers avec un lot de chèvres offertes par des amis, du Lot ou de l’Aveyron, éleveurs ou non. Quelques années plus tard, nous avons transmis un bâton (de berger) à Nadège, l’une de nos stagiaires, qui est repartie avec un lot de chevrettes pour fonder la ferme de Lou Cornal3 sur les coteaux près d’Agen. De travail acharné en financements participatifs, de rencontres en nouveaux projets, la ferme produit désormais fromage de chèvre, poulets et cochons en bio sur une terre pourtant rude. Dix ans plus tard, elle fait vivre un Gaec (groupement agricole d’exploitation en commun) de cinq membres dont l’un a été installé avec l’aide de Terre de liens. Les produits sont proposés à la ferme et sur le marché. La ferme accueille régulièrement des manifestations culturelles, concerts, repas, ateliers. Voilà ce que j’appelle une agriculture vivante, féconde, prolifique, en prise directe avec son territoire.
Regardez autour de votre lieu de vie : ces fermes éclosent un peu partout, il ne tient qu’à vous de les faire se multiplier. Rejoignez les Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne), allez sur les marchés locaux les rencontrer et il y a fort à parier qu’ils vous proposent une visite, une rencontre ou une manifestation pour toucher du doigt la réalité de leur métier. La Confédération paysanne propose ainsi un « Salon à la ferme », une opération portes-ouvertes dans des fermes jusqu’au 7 mars. Et battez-vous pour la sauvegarde des terres agricoles comme dans le Triangle de Gonesse4 ou contre la future autoroute Castres-Toulouse5.
Les futurs paysans qui vous nourriront sainement et avec l’amour du métier ont besoin de ces terres.
1. L’agriculture vivante, à taille humaine, agro-écologique, en circuits courts… n’est pas absente de ce salon où elle arrive à se glisser en se regroupant pour tenir quelques stands. Mais elle est à mille lieues du poids des géants de l’agro-industrie et sert de faire valoir folklorique (terroir) et vert (greenwashing) pour la FNSEA et la politique gouvernementale.
2. L’agriculture industrielle capte 80% des subventions européennes sous forme de prime à l’hectare qui va donc aux plus gros. Quand elles ne sont pas détournées par des mafias (voir les affaires corses en cours (enquêtes Médiapart) ou les enquêtes dans les pays de l’Est européen ) https://reporterre.net/L-agroindustrie-est-la-principale-beneficiaire-des-aides-europeennes-a-l-agriculture-denonce-une-campagne et . L’élevage extensif, l’agro-écologie et le bio, les petits ruminants… et les services environnementaux de cette agriculture ne sont par contre soutenus qu’à la marge. Et la nouvelle PAC, actuellement en cours de négociation, ne présage pas d’évolutions notables, malgré les déclarations vibrantes d’émotion de Julien De Normandie. Rappelons aussi les fiascos des divers plans Eco-phyto de réduction des pesticides.
3. https://jadopteunprojet.com/decouvrez-les-projets/detail/ferme-lou-cornal/, https://terredeliens.org/lou-cornal.html, coordonnées : https://www.tourisme-lotetgaronne.com/degustation/ferme-lou-cornal/.
4. Blogs Médiapart : https://blogs.mediapart.fr/defendrehabiter/blog/120221/gonesse-triangulation-occupation-zad et https://blogs.mediapart.fr/djissi/blog/230221/zad-du-triangle-de-gonesse-game-over.
5. Blog Médiapart : https://blogs.mediapart.fr/marine-carre/blog/200221/carole-delga-une-campagne-polluee-par-lautoroute-castres-toulouse.
D’autres exemples :
https://reporterre.net/Dans-l-Essonne-la-ferme-ou-les-moutons-restent-toute-l-annee-dehors
D’autres combats :
https://act.wemove.eu/campaigns/stop-agriculture-elevage-industriels