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Billet de blog 20 mars 2024

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Flash Pig, quatre garçons dans le jazz

La scène actuelle revient de plus en plus au free jazz. C’est le cas pour le concert de sortie du cinquième album du quartet Flash Pig (The Mood for Love), ce jeudi 21 mars à l’ECUJE (Paris 10e). La formation française, ouverte à la tradition, au free jazz, à la contemporaine, mais aussi aux mélodies évidentes, développe une narration en connexion quasi-télépathique.

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Illustration 1
Flash Pig (de G à Dr) : Florent Nisse - Adrien Sanchez - Gauthier Garrigue - Maxime Sanchez © Baptiste Germser

Remarquée depuis quelques années, consacrée en 2022 par un Coup de Cœur de l’Académie Charles Cros attribué au précédent disque Le plus longtemps possible, la formation née en 2008, se déploie maintenant avec des vents favorables. Le critique Xavier Prévost, aux opinions indiscutées, voit en Flash Pig « l’une des pépites de l’époque ». Dans le mouvement, les rédactions des mensuels Jazz Magazine et Jazz News retiennent, fin 2022 les quatre garçons comme Groupe de l’Année. Peu de reconnaissances apparaissent plus gratifiantes que celle des périodiques spécialisés pour un musicien de jazz. Le quartet se compose des frères Sanchez (Adrien – saxophone ténor ; Maxime – piano), Gautier Garrigue (batterie), et Florent Nisse (contrebasse). Allons à la rencontre d’une musique qui - en place de sens unique à l'entrée d'une voie de circulation - remplace les panneaux indicateurs par une imbrication maîtrisée de sens giratoires.

INTERVIEW DE FLORENT NISSE, contrebassiste de Flash Pig

Bruno Pfeiffer : Comment qualifier la musique de votre groupe ?

Florent Nisse : L’inspiration trouve son origine dans le bouillonnement free des seventies. Citons parmi les figures de proue le quartet européen de Keith Jarrett, les premiers Ornette Coleman, Paul Motian, Charlie Haden. Nous partageons le goût des pianistes actuels (Fred Hersch, Brad Mehldau) et des grands souffleurs (Kenny Wheeler, Lee Konitz). Toutefois nous savons être installés sur le socle de la tradition. Coleman Hawkins, on adore. Nos goûts communs activent l’interaction. Haden ? Pour la palette de jeu incroyable, pour la musicalité, pour son humour. Je place Haden comme la référence absolue en ce qui concerne mon instrument. Le risque de l’admiration que je porte au contrebassiste américain, c’est de me faire aspirer par son jeu. Une densité pareille représente un aimant inévitable… Je me surveille…

Bruno Pfeiffer : Comment survient le fonctionnement du groupe ?

Florent Nisse : Au noyau, on trouve deux jumeaux, les frères Sanchez. Leur complicité confine à l’osmose. Je me suis intégré rapidement. Effet immédiat. Aujourd’hui, je glisse dans leur discours. Avec Gautier Garrigue, le fonctionnement est surnaturel. Parfois je prends au vol l’effleurement d’un balai sur la caisse. Une fusion. Sur scène, l’idée de liberté nous anime tous. Et une confiance d’airain : beaucoup de morceaux sont créés en collectif. En revanche, nul besoin de tracer une direction avant de se lancer sur scène. Notre musique fait la part du free jazz et de la musique improvisée.

Bruno Pfeiffer : Quelle différence entre les deux ?

Florent Nisse : Le free jazz est un idiôme. La preuve ? Les accords changent tout le temps. Mais il y a des accords ! Dans ce cas de figure, nous dégageons une voie commune dans le jeu. Il s’agit donc bien de jazz. En revanche, dans la musique improvisée, chaque musicien apporte son propre bagage. Nous ne récusons pas cet héritage, certes notable en France. Néanmoins, nous restons liés au jazz.

Bruno Pfeiffer : Que raconte l’album The Mood for Love ?

Florent Nisse : nous traitons à notre manière le film du réalisateur japonais Wong Kar Wai, « In the Mood for Love ». Le fil rouge de la bande originale du film nous tient de conducteur. Enfin, sur le thème en filigrane des amants, nous insérons plusieurs boléros de Nat King Cole et des chansons traditionnelles chinoises. La musique s’accroche dans un premier temps à l’ambiance nostalgique du long-métrage. Très vite, cependant, nous observons de la distance, lâchons prise, prenons des risques. L’idée revenant tout de même à communiquer des émotions.

Propos recueillis par Bruno Pfeiffer

Flash Pig le jeudi 21 mars 2024 à L'Ecuje (Paris 10e) pour la sortie du disque Mood for Love (Label Astérie).

Je dédie ce billet de blog au guitariste de jazz né à Bayonne, Sylvain Luc, aussi virtuose sur scène, ou en studio, que gentil dans la vie. La crème dans toutes les circonstances. Nous étions voisins dans le 19e. Il est mort à 58 ans, le 13 mars, d’un arrêt du cœur, à Paris.

Flash Pig le jeudi 21 mars à l'ECUJE, le club d'Olivier Hutman, étrenneront le nouvel album The Mood for Love (label ASTERIE), une bande sonore customisée du film de Wong Kar-waï, producteur et scénariste hongkongais. Le quartet, désormais ancré solidement à la scène du jazz actuel, présentait quelques morceaux le 30 janvier à un parterre de professionnels et de critiques spécialisés. À partir des nouvelles compositions - à trame mélodique forte - et de standards, le groupe (Adrien Sanchez – saxophone ténor; Maxime Sanchez – piano; Florent Nisse – contrebasse; Gautier Garrigue – batterie), a ravi le public (une quarantaine de personnes). Le discours en spirale, basé sur les thèmes, fonctionne sur deux moteurs puissants. D'abord, l'implication très indépendante des musiciens dans les parties communes. Ensuite, des improvisations inspirées. Résultat : un plaisir ininterrompu. On aurait dit un vol d'hirondelles, partant des arbres. Frôlant les terres du free et les forêts mystérieuses de la contemporaine. Grisant, imprévisible, acrobatique.

En première partie, à l'ECUJE : le trio "Congé Spatial
(Pierre Lapprand – saxophone ténor + Étienne Manchon – piano).

Dmitry Baevsky Trio les 26 et 27 mars au Sunside. Le brillant saxophone alto né à Saint-Petersbourg réside en France depuis 7 ans. Nous l'avions entendu au festival d'Oléron en 2022 (Un Piano sous la Pinède), en quintet avec le fabuleux trompettiste hard-bopper Fabien Mary. Cette fois, le Charlie Parker russe sera accompagné de Clovis Nicolas (contrebasse) et de Jason Brown (batterie).

Illustration 2
Best of Pink Turtle (compilation CD) © Michel Bonnet

Pink Turtle le lundi 6 mai à L'Européen (Paris 17e - 20h30), à 25m de la Place Clichy. Le combo déluré des briscards du jazz classique remet son répertoire en selle pour une série de concerts. Le concept? La reprise de tubes de la pop, traités en swing. On ne s'ennuie pas un quart de seconde à l'écoute de la compilation extraite des trois CD de Pink Turtle (Sortie fin mars chez Frémeaux et Associés, avec une jaquette sobrement estampillée Best Of).  Une originalité folle habite le traitement "jazz tradi" de la musique populaire des années 70-80-90. Les arrangeurs et les musiciens, au cours de nombreuses répétitions, ont mis au point l'approche en tout sur une cinquantaine de compositions. Avec les arrangements, pour la plupart du trompettiste Michel Bonnet et du guitariste Christophe Davot, la formation s'approprie, par exemple, Walk on the Wild Side de Lou Reed "à la Fats Waller". Ou We are the Champions sous la forme du générique d'une vieille série télé. Des concerts à gogo entre 2006 et 2013 ont rodé la formule. Succès inatendu : le total des 3 albums parus - à la fin des années 2000 - s'est vendu à quasiment 27.000 exemplaires. Considérable dans un catalogue jazz. Le périodique Jazz Hot applaudit alors à "la  bouffée de swing pur" des interprétations résolument personnelles des lurons, après tout le cœur même du jazz. Force est de mentionner la qualité des musiciens et le haut niveau des reprises, ciselées par des orfèvres. De surcroît, le spectacle réserve son lot de surprises (présentations humoristiques des morceaux; gags; loteries pour gagner des CD au premier qui trouve les titres des chansons; participation de la salle; etc.). Cela dans le pur esprit du music-hall, tel que Charles Trénet l'aime. En 2009, en public, à Belo Horizonte (Brésil), près de 10 000 spectateurs hurlent leur joie à tout rompre devant "leur" Hey Jude, des Beatles (figure sur le Best Of ). Humour + jazz surchoix dans un mélange haut-de-gamme. Que rêver de plus?

CD Pink Turtle : Best Of (15 titres délirants, sortie mars 2024) - Frémeaux et Associés

Concerts 2024 Pink Turtle : Chatelguyon (18 et 19 mai) / Entraigues-sur-la-Sorgue (2 juin) / La Baule (1er août) / Île d'Yeu (17 et 18 août) / St Jean de Maurienne (23 août) / Bar-sur-Aube (6 septembre)

Jazz sous les Pommiers  (43e édition) du 4 au 11 mai 2024 à Coutances et environs (Manche). L'écrivain visionnaire Alphonse Allais, natif de Honfleur, proclamait : "c'est une chance que les Normands aiment le cidre, il y a plein de pommes sur place pour en fabriquer". L'aphorisme savoureux pourrait s'appliquer au jazz, prophète en  e pays. Qu'on en juge à ce score : presque 94% de remplissage sur les concerts payants l'an dernier (35 734 spectatrices et spectateurs). Sans compter les propositions gratuites (59 spectacles, aussi en 2023)... Au fil de plusieurs dizaines d'années denses, Jazz sous les Pommiers s'est taillé une réputation internationale d'excellence dans le jazz et dans les spectacles de rue. Les organisateurs confirment ce que nous pressentions : "la programmation pique autant les amateurs que les néophytes". Sur scène, les artistes novices côtoient, confirmés, têtes d'affiches et figures culte. Simple question : quel est l'artiste de jazz le plus en vue dans le monde depuis une dizaine d'années? Ce n'est plus un secret : j'ai nommé le pianiste Brad Mehldau. Il apparaîtra le 8 mai à 15h30 à la salle Marcel-Hélie. Je peux attester - après plusieurs années de confidences - de la persévérance de Denis Le Bas et de toute l'Équipe du Théâtre municipal, tournés dans le but de l'inviter. Le public peut les remercier. On s'en frotte les mains, les yeux et les oreilles.

Hommages et créations ne sont pas de reste. La voix et le talent de Nina Simone bouillonneront grâce à la vocaliste Kareen Guiok-Thuram (le 8) ; la formation franco-américaine Future of Jazz Big Band (le 11) soufflera 125 bougies à la gloire du génial Duke Ellington, tant célébré en France ; Fred Pallem réarrangera Claude Nougaro avec un all-star vocal (le 10). D'autres concepts prolifèrent sur le versant "Créations". Notamment très attendus : Marion Rampal et Robinson Khoury. J'avais écouté le tromboniste - il y a 2 ans - à l'Ermitage (Paris 19e). Original et décoiffant! Cette fois (le 7), il offrira la prestation en trio. Quant à l'irrésistible Marion Rampal, le 10, l'on en attend immanquablement le meilleur. Le brillant opus, Oizel, épate autant que le précédent Tissé. Elle nous convie à suivre sa voilure comme des albatros, accompagnée de Christophe Panzani (sax ténor ultra-subtil), Gaël Rakotondrabe et Simon Tailleu (contrebasses), Matthis Pascaud (guitare), Raphaël Chassin (batterie), Laura Cahen (voix). Appareillage encouragé.

On the Mississippi entame la deuxième saison du 8 au 12 mai 2024 à Strasbourg et banlieue proche. Le festival de blues, boogie, stride, tap-dance, swing et autres genres qui déménagent (et font bouger), remet les dés à coudre sur le washboard. Le couple de fondateurs, Tiffany Macquart et Sébastien Trœndlé, ressert les bouchées doubles. Cliquez ici pour découvrir la  palette riche et diversifiée. On se souvient notamment de la prestation volcanique du Chicagoan Corey Dennison en 2023, à Ostwald. Sachez que cette année se présente l'occasion d'écouter un autre kador du blues électrique, j'ai nommé D.K. Harrel.

Stacey Kent le 13 mai au festival Jazz à St Germain-des-Prés (Odéon-Théâtre de l'Europe/20h30). Une prestation prometteuse de la vocaliste, au milieu d'une population d'artistes féminines qui atteint la parité (Cecile Recchia - Marion Rampal - Aurélie Tropez - Kareen Guiock Thuram - Julie Saury - etc.). Une proportion dans l'air du temps, cela dans un paysage où les études déclarent le chiffre de 74% d'artistes masculins programmés parmi les figures à l'affiche des grands festivals. La 23e édition de Jazz-à-St-Germain (13 au 20 mai 2024) propose en outre l'un des concerts de sortie du CD Silent Listening, sublime improvisation solo de l'Américain Fred Hersch chez ECM. Enfin, la transition écologique et la réduction des plastiques préoccupent également le festival créé par Donatienne Hantin et Fred Charbaut. Mesures généralisées de réduction dans les repas, les transports, les concerts.

Malo Mazurié le 15 juin à la Médiathèque de Boulogne-Billancourt avec son groupe Three Blind Mice. La trompette du triple lauréat du Prix du Jazz classique de l'Académie du jazz étincèlera dans un répertoire chéri : les années trente (Bix Beiderbecke, Louis Armstrong, etc.). Ils sont trois à l'origine de Three Blind Mice : Sébastien Girardot, Félix Hunot, et lui. Autant prévenir : irrésistible! Les épaules se mettent à bouger dès les premières phrases des musiciens. Malo a sorti au début de l'année un disque plus personnel, Takin the Plunge (label EncoreMusic). Le soliste du phénoménal Duke Orchestra de Laurent Mignard y partage son amour (je ne trouve pas d'autre mot) de Duke Ellington, Jelly Roll Morton, Bix Beiderbecke, et Louis Armstrong. Et signe de surcroît huit compositions. J'avais entendu Malo avec le Duke Orchestra au Bal Blomet (Paris 15e), cet hiver. On comprend que les mélomanes américains nous jalousent cette formation. L'excellence incarnée. Jazz In Marciac a inscrit Malo Mazurié à son programme cet été (27 juillet).

Minino Garay le 30 mai à l'Ecuje (Paris 10e). Concert à 20h30. La bouillante célébrité argentine se produira en trio (Thierry Eliez: piano, chant - Cédric Hanriot : claviers). Au programme, présumé pêchu, des compositions revisitées de Speaking Tango, son groupe avec Cédric Hanriot, mélodiste hors-pair, ainsi que des œuvres originales de chaque membre du trio.

ZZTop le 9 juillet au Zénith La Villette (Paris 19e) pour envoyer son blues grungy garni avec des titres ultra-toniques et décoiffants comme "La Grange", "Gimme All Your Lovin", "Sharp Dressed Man",  "Legs" (on en passe). Mené par Billy F Gibbons, soutenu par la force rythmique de Frank Beard et, depuis quelques années, Elwood Francis à la basse, le groupe assène une approche sonore du rock inimitable. J'avais vu Billy Gibbons en éclaireur (Olympia, 2023) : on en redemande!

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