La semaine dernière, la jeune Rawan (18 ans) m'a envoyé un nouveau message du sud de la bande de Gaza, où elle vit depuis toujours, et survit depuis près de 21 mois. Elle y racontait ce qu'elle a vécu jeudi 27 juin dernier, alors que les dirigeants européens se réunissaient à Bruxelles, alors que de nombreux citoyens s'étaient réunis eux aussi pour demander que l'UE respecte le droit international et fasse pression sur l'Etat israélien, et alors que, ne pouvant m'y rendre, je faisais le clown face à la préfecture de Grenoble.
Ce n'est pas la première fois que Rawan m'écrit pile alors que de mon point de vue, j'essaie de faire quelque-chose qui prouve que je ne me résigne pas ; et qu'elle me confronte brutalement à la fois à l'insignifiance de mon geste et à son absolue nécessité.
Rawan m'a demandé de l'aider à diffuser ce qui lui était arrivé. Son témoignage ressemble à de nombreux autres diffusés ces derniers jours (voir notamment cet article dans Libération et, en anglais, celui-ci publié par Middle East Eye). Il illustre l'analyse qu'en a fait Rami Abou Jamous dans Orient XXI, suivie du récit de l'assassinat de l'un de ses neveux, Obeida, 18 ans, comme Rawan.
Puisse le témoignage de Rawan (traduit par mes soins avec quelques amis) contribuer à éveiller nos consciences face au besoin d'action immédiate et continue jusqu'à ce nous arrivions par le biais de nos Etats et, à défaut, de nos actions citoyennes, à briser le siège insupportable de Gaza à l'ombre duquel des dizaines de Palestiniens sont quotidiennement tués, souvent plus d'une centaine de personnes par jour, notamment lors de ces "distributions" macabres de nourriture qui rappellent tant de dystopies vues sur écran, au premier rang desquelles, la série de films Hungergames.
L'été 2025 doit être celui de la libération de Gaza (personnellement, je l'envisage désormais par l'envoi massif de bateaux vers les côtes palestiniennes de Gaza. D'autres proposent un pont aérien humanitaire). Quel que soit le moyen le plus rapide et le plus efficace, j'espère que nous serons nombreux à nous y employer chaque jour, où que nous soyons.
Et alors que nous continuons de réfléchir, de débattre et de nous organiser, voici ce qu'a vécu Rawan, écrivaine si jeune, à la plume si acérée, jeudi dernier dans le sud de la bande de Gaza et ce qu'elle souhaite partager avec ceux qui voudront bien l'entendre - et même les autres :
"La nourriture a commencé à manquer. Je ne supporte plus de voir mes sœurs souffrir de la faim, alors j'ai décidé qu'il était temps de prendre des risques, même si cela doit me coûter la vie.
J'ai d'abord marché avec la faim pendant des kilomètres en direction de l'aide, dans le viseur des snipers, à la recherche d'un kilo de farine ou d'un litre d'huile, prête à sacrifier ma vie pour ces choses toutes bêtes - qui sont pourtant notre droit le plus élémentaire.
Tu réalises que 510 martyrs ont été tués à côté des centres de distribution ? Des milliers de gens divisés par groupes, si nombreux, se pressent les uns contre les autres. Les hommes sont vaincus, les femmes humiliées et les enfants haïssent leurs courtes vies.
J'ai vu une mère dont le mari a été tué dans la guerre et qui a laissé ses enfants et risqué sa vie dans l'espoir de pouvoir les nourrir. J'ai vu des morts et des blessés. La peur a commencé à grandir dans mon cœur : je veux être près de ma mère ; j'ai endossé une responsabilité trop lourde pour mon âge, moi qui à la base, m'intéresse surtout au maquillage et à la pâtisserie ; qu'est ce qui m'a amenée ici ?
Et après l'humiliation, après avoir essayé de te cacher, après la peur, tu ne peux plus ni rentrer, ni avancer. On est arrivé à l'avant-dernière étape : qui ne court pas, ne mange pas, et celui qui mange ne rentrera peut-être pas.
Ta vie = un bout de pain
Les balles se multiplient, tous ceux qui ne respectent pas les règles du jeu meurent.
Perdre = mourir
J'ai également vu des membres de milices comme les avait appelées ton amie Sarah à propos des Bédouins corrompus [ note de la traductrice : Sarah a participé mi-juin à la Global March to Gaza. Elle a décrit son parcours et, entre autres, l'attaque de leur groupe par de très jeunes hommes qui semblaient bédouins et surtout drogués].
Ils ont trahi le sang avant même de trahir leur patrie.
Avez-vous pris en compte que les yeux qui vous ont vus ne seront pas tués ?
Pensez-vous que la terre sur laquelle vous marchez vous pardonnera ?
A Gaza, on n'oublie pas le traître,
Et on ne l'enterre pas avec les gens d'honneur.
Continuez
car vous n'avez pas de patrie
et vous n'avez pas même d'ombre parmi nous.
Pour finir, je suis rentrée cassée, sans même un bout de pain, je n'ai pas réussi.
Les gens se sont transformés en monstres. Je me sens si fatiguée, mes yeux sont si rouges.
Je voudrais que s'arrête ce chaos et que nous ayons à manger.
De ma vie je n'avais jamais vu des gens marcher des couteaux à la main.
Dans ce monde, il n'y a ni justice, ni honnêteté.
Demain, lorsque nous nous retrouverons devant Dieu,
je ne vous pardonnerai pas.
L'ici-bas est à vous. A nous l'au-delà."