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Billet de blog 27 avril 2020

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Russie : des instructions du ministère de l’intérieur sur la violence domestique

Une hirondelle ne fait pas le printemps, même quand elle vient de l'intérieur. Ne boudons pas non plus, nous somme en manque.

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Un court billet pour signaler une bonne nouvelle de Russie s’agissant des violences domestiques, pour une fois. Elle est d’autant meilleure et surprenante qu’elle vient du ministère de l’intérieur. 

Elle est donnée par le journal Izvestia, qui a eu accès au compte rendu de la commission gouvernementale de prévention des infractions du 31 mars dernier. Il est signé du ministre lui-même, Vladimir Kolokoltsev. Kolokoltsev est dans ses fonctions depuis mai 2012, et fait partie des quelques ministres qui ont conservé leur fonction dans le gouvernement constitué par Mikhaïl Michoustine en janvier 2020. 

Le compte rendu invite les gouverneurs, face au risque d’augmentation des violences domestiques qui résulte du confinement, à créer des centres de crise, selon l’appellation des centres qui accueillent des femmes victimes de violences et leurs enfants en Russie, où celles-ci pourrait vivre jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée à la situation à l’origine des violences. 

Il encourage également les gouverneurs à faire apparaitre sur leur site internet les numéros d’appel auxquelles peuvent s’adresser les victimes de violences domestiques et les coordonnées des centres de crises. 

Plus généralement, il demande aux gouvernements des sujets de la fédération de développer des actions d’information et de communication qui permettent d’aboutir à un « rejet durable de ces comportement illégaux au sein de la famille » par la société, et de soutenir les associations qui participent à la prévention des violences domestiques. Et il donne comme échéance pour la préparation de ces mesures le 1er juin prochain. Tout cela est une réponse directe et positive aux demandes de ces associations, auxquelles j'avais consacré ce billet

L’article reprend ensuite différentes analyses sur l’augmentation des violences domestiques dans le contexte de quarantaine et d’auto-isolement décidé par les autorités. Restons-en plutôt à la position prise la commission gouvernementale de prévention des infractions et par le ministère de l’intérieur russe. 

Pertinente sur le fond, elle a également une portée politique par les marqueurs qu’elle reprend. Dans le débat qui se poursuit sur la nécessité d’une loi pour prévenir les violences domestiques, il est déterminant que le ministère de l’intérieur s’écarte du modèle idéologique qui inspire les adversaires du projet, celui-ci d’une famille qui ne se définit que par l’autorité patriarcale et où l’État ou la société n’ont pas à intervenir, quelque soit ce qui s’y déroule. Le simple fait de considérer comme possible et comme légitime que la femme victime de violences puisse quitter le domicile familial donne le signe politique de ce démarquage, la mention de la nécessité d’actions de communication et du rôle des associations va encore plus loin.

Je me risque et vais moi-même plus loin dans l’analyse. Au sein de l’appareil de l’État, le ministère de l’intérieur était probablement le plus réservé sur des actions de prévention et de répression des violences conjugales, avec les mêmes justifications que celles qui étaient invoquées en France (les femmes victimes de violences changent d’avis, si elles portent plainte elles la retirent ensuite, …). Son changement de position peut refléter la volonté de rompre avec ces stéréotypes et d’agir de façon efficace. Il peut aussi traduire l’évolution des rapports de force et un choix politique.

J’ai toujours pensé que les traditionalistes n’étaient en Russie que les idiots utiles du pouvoir, et que celui-ci cesserait de s’appuyer sur eux dès qu’il n’y aurait plus intérêt. C’est le cas, les positions qu’ils prennent font obstacle aux mesures prises par les autorités contre la pandémie du Covid-19, ou les mettent, s'agissant de la question abordée dans ce billet, en porte à faux par rapport à la population, qui est à un très large majorité hostile aux violences domestiques et favorable à leur prévention. L’objectif de ceux qui sont au pouvoir est d’y rester, pas de flatter les imbéciles. Si besoin, ils rompront avec cette catégorie d'imbéciles-là, c’est peut-être cette partie qui est en train de se jouer. 

Izvestia (27 avril 2020)

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