La pédopsychiatrie est en train de crever la gueule ouverte, depuis des années…On en arrive désormais au stade terminal, et un étrange cortège de praticiens en collerette s’agite désormais à son chevet : gestionnaires, experts, lobbyistes, technocrates, managers, groupes d’intérêt, responsables politiques, associations « représentatives », etc. Ils ont tous leur avis éclairé, leurs médications miraculeuses et leurs pharmacopées salvatrices à proposer : cure d’amaigrissement, sangsues, saignées, insulinothérapie, poudre de perlimpinpin, amphétamines à haute dose, rééducation comportementale par stimuli aversif, austérité, management, etc. On achève bien ce qu’on veut détruire…Avec ça, on peut être sûr de la préservation de soins psychiques décents, humains et ajustés pour les enfants ! Penchons-nous tout de même sur ces remèdes inoculés de force à la pédopsychiatrie agonisante. Là, le déni, le mépris et la suffisance côtoient le foutage de gueule….

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Des réponses politiques témoignant enfin d'une véritable considération
La sénatrice socialiste Corinne Féret a récemment interpelé le ministre de la santé, par rapport à l’insupportable incurie des institutions pédopsychiatriques, et aux mesures envisagées par le gouvernement pour y faire face : « Faute de professionnels spécialisés, médecins, psychomotriciens, orthophonistes, ergothérapeutes…, les orientations et prises en charge souhaitées s'avèrent très compliquées, voire parfois impossibles à mettre en place. Cela n'est pas acceptable, tant certains enfants, souffrant de troubles psychiques et/ou de handicap, ont besoin d'être rapidement suivis ». « Alors que la demande pour les enfants et les adolescents est en hausse, la pédopsychiatrie est touchée par une pénurie sans précédent de professionnels. Nul ne peut nier que ce défaut de prise en charge des troubles de santé mentale et les manquements aux droits qui en découlent constituent une entrave au bon développement de l'enfant et de la jeunesse en général ».
Et voici les éléments de réponse du ministère de la santé et de la prévention à cette interpellation :
Outre « les facteurs tant socio-économiques que sociétaux », la « hausse continue de la demande de soins » pourrait s’expliquer « par l'amélioration globale des dispositifs de prévention et de repérage ». Ha ha ha, quelle bande de déconneurs au ministère ! C’est tout pourri, mais c’est parce qu’on fait mieux ! Non, mais plus sérieusement…Ho, ils y croient vraiment ?!
« Des crédits pérennes ont pu bénéficier à la pédopsychiatrie dans les territoires, selon les orientations stratégiques des agences régionales de santé (ARS) ». Non mais, quel incorrigible boute-en-train ! Où sont donc passés ces « crédits pérennes », alors que partout c’est le marasme le plus complet ? ! Par ailleurs , ils ont sans doute oublié, au ministère, que certaines ARS planifiaient de façon autoritaire, en tout impunité, la destruction pure et simple des institutions pédopsychiatriques, en faveur de plateformes de triage et d’une libéralisation du marché de la souffrance infantile… Voilà les "orientations stratégiques", c’est de la sodomie à sec !
Bardé de certitudes hautaines, le ministre nous vante un « renforcement des moyens dédiés aux équipes de pédopsychiatrie », en faveur d’une « meilleure attractivité de cette discipline », alors que sur le terrain, les professionnels et les usagers font face à une pénurie désastreuse, avec la nécessité de trier en permanence…
Heureusement, la clinique et le soin vont être sauvés par « le soutien à la recherche en santé mentale, plus particulièrement des enfants et des adolescents », « l'une des priorités identifiées par le ministère de la santé », conformément à la feuille de route « santé mentale et psychiatrie » de juin 2018. C’est sûr qu’on ne comprend vraiment pas pourquoi ils vont mal tous ces jeunes, bon sang, il faudrait mandater des recherches approfondies. C’est sans doute juste une problématique de connaissance et d’organisation…Ainsi, plutôt que de restaurer des équipes pluridisciplinaires engagées concrètement dans des soins institutionnels pérennes et ancrés dans les réalités territoriales, il s’agirait de mettre en œuvre « un appel à projets annuel destiné à attribuer pour deux ans des postes de chefs de clinique des universités-assistants des hôpitaux en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à certaines universités (unités de formation et de recherche) et centres hospitaliers universitaires, à hauteur de 20 postes par an et à assurer le financement de ces postes par des crédits ministériels », afin de « constituer un vivier de futurs personnels hospitalo-universitaires titulaires dans cette discipline ». Sinon, plutôt que de pratiquer l’élevage hors-sol en batteries universitaires, on pourrait aussi envisager de renforcer les effectifs de cliniciens pratiquant des soins, sur les institutions situées en première ligne, prenant en compte la réalité des enfants et des familles ?
Non, non, le ministère ne va pas s’abaisser à considérer les conditions de vie, le quotidien, les galères ; ainsi, « le contenu de cet appel à projets a, par ailleurs, été complété par un volet relatif aux troubles du neuro-développement (dont l'autisme) à partir de 2021 », comme cela, on sera bien sûr de survoler définitivement les enjeux socio-relationnels et politiques : gènes et neurones, circulez, y a plus rien à voir d'autres.
De surcroit, dans les hautes sphères, on ne comprend vraiment pas que les soignants puissent encore se plaindre de leurs conditions salariales : en effet, « le volet RH du Ségur de la Santé a opéré une revalorisation substantielle des rémunérations de l'ensemble des métiers paramédicaux au sein de la fonction publique hospitalière (FPH), afin d'en renforcer l'attractivité ». Alors franchement, faut pas se foutre de la gueule du monde !! Arrêtez de râler, et faites des bilans, bon sang !
Et, concernant la problématique de l’accès aux soins, le gouvernement peut s’enorgueillir d’avoir déployé des dispositifs innovants, disruptifs et performants, ayant « permis de solvabiliser certaines interventions de psychologues pour des publics spécifiques (Ecout'Emoi au bénéfice des plus jeunes, expérimentation de la CNAM dans 4 départements ainsi que les dispositifs de crise Covid PsyEnfantAdo et Santé Psy Etudiants) ». Révolutionnaire, et tout à fait adapté à la massivité de la détresse rencontrée par nos jeunes, uniquement éprouvés par le COVID ! Vilain virus, responsable exclusif du mal-être de nos chers chérubins...

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Force est de constater qu’en termes d’expérimentations, le gouvernement est extrêmement prolixe : création de plateformes, d’applications, de numéros verts, etc. « C'est dans ce contexte que les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie ont permis la mise au point du dispositif unique MonParcoursPsy, de prise en charge des états de souffrance psychique légers à modérés, dès l'âge de 3 ans, par des psychologues libéraux volontaires et conventionnés avec l'Assurance maladie. Ce dispositif, en cours de montée en charge, constitue la première étape d'une démarche visant à permettre à la population d'accéder aux soins psychologiques gradués et personnalisés, dans des modèles bénéficiant de données probantes et répondant aux besoins prioritaires de la population ». Ha, ça vous en bouche un coin ! – même s’il faut reconnaître que ce dispositif est un échec total, du fait de la résistance inattendue des psychologues réfractaires, qui représenteraient jusqu’à 93% de la profession…Par ailleurs, les experts technocrates ont tout de même été surpris de constater que quelques séances de psychothérapie sur prescription médicale, avec l’obligation de respecter les méthodes adoubées, ne suffisaient pas pour traiter les « souffrances psychiques légères à modérées » …Il faut dire, en outre, que, concernant ce dispositif dérisoire, « le financement affiché (660 millions d'euros au total sur la période 2022-2026) est loin du financement réel (8 millions d'euros en 2022) »…Chut
Enfin, de façon autoritaire, le ministère annonce sa volonté de réformer définitivement les structures existantes, celles-là même qui ont déjà été sacrifiées depuis des années. Quand on veut se débarrasser de son chien, on l’accuse de la rage…Ainsi, « une refonte des normes relatives aux centres d'action médico-sociale précoce (CAMSP) et des centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) a été amorcée, dans la suite des recommandations du rapport de la mission IGAS de septembre 2018 relative à l'évaluation du fonctionnement de ces centres. L'objectif est de rendre plus lisible leur cadre d'action et de renforcer leur pilotage au niveau national et au niveau régional (…) pour procéder à l'actualisation du cadre réglementaire ». « Les travaux d'actualisation des règles minimales techniques et de fonctionnement des CAMSP et CMPP portent sur leurs missions et leur organisation. Une attention toute particulière est portée aux enjeux de qualité de formation ». Car, si ces institutions dysfonctionnent, c’est évidemment parce que les professionnels sont mal formés, ne respectent pas les recommandations de bonne pratique et n’appliquent pas les méthodes validées. On va changer tout cela, et tout ira pour le mieux, dans le meilleur des mondes…
Cependant, les syndicats de psychiatre (SPH, USP, IDEPP, SPEP) s’insurgent par rapport à cette feuille de route « santé mentale et psychiatrie », déployée sans concertation ni prise en compte des réalités concrètes sur le terrain des soins, et qui « donnera lieu à de jolis effets d’annonce et de l’autosatisfaction alors que les professionnels sont à genoux». Mais quel mauvais esprit ! Il faut toujours qu’ils exagèrent et qu’ils gâchent la fête ces indéfectibles grincheux !
Par ailleurs, « la création sur trois ans, annoncée largement et aussi largement attendue sur le terrain, de 400 ETP dans les centres médicopsychologiques infanto-juvéniles et 400 ETP dans les centres médicopsychologiques, est bien évidemment très insuffisante (bien moins d’un ETP par secteur) en plus que d’être en grande partie empêchée par la pénurie médicale et soignante que le Gouvernement feint d’ignorer » …Quoi ?! Il y aurait une pénurie ?
Des dispositifs innovants à la mesure de la pénurie, prônant la qualité et la mise en conformité
La stratégie nationale autisme au sein des TND 2018-2022 prévoit « la mise en place d’un parcours coordonnée de bilan et d’intervention précoce d’un an pour les enfants de 0 à 6 ans inclus afin d’accélérer l’accès à un diagnostic, favoriser des interventions précoces sans l’attendre, et ainsi répondre aux problèmes d’errance diagnostique et réduire les surhandicaps conformément aux recommandations de bonnes pratiques de la HAS ».
Or, comme le souligne Pierre Delion, « en pédopsychiatrie (ce mot n’est pas cité dans cette nouvelle organisation), la pratique du diagnostic nécessite non seulement une expérience que l’on acquiert à l’instar de toute autre discipline en accueillant des enfants et en se familiarisant avec leurs signes pathologiques, mais également l’obligation éthique de suivre ces enfants dans leurs prises en charge, en liens avec les parents, et cela pendant de nombreuses années. C’est cette expérience du suivi qui permet de conserver toute son acuité aux critères diagnostiques, dans la mesure où chaque enfant présentant des signes identiques à d’autres voit son évolution varier en fonction de ses compétences propres, de ses singularités, des ressources de son environnement familial et social et des prises en charge diverses qui lui sont proposées. Ces constatations viennent nourrir l’expérience du praticien qui propose le diagnostic et l’affine tout au long de sa prise en charge ».
En effet, la qualité inclusive des prises en charge ne se décrète pas, mais devrait avant tout s’appuyer sur l’expérience clinique des praticiens, sur les possibilités de rencontre, de présence ; sur la disponibilité à se laisser altérer, affecter, à s’engager de façon pérenne auprès des enfants et de leur famille…
« Mais la haine du psy véhiculée sans honte par quelques ministres, l’alliance démagogique avec les associations de parents en faveur du découplement des TSA de la pédopsychiatrie, l’obsession des économies à faire sur les disciplines psychiatriques, et les inepties résultant des new managers artificiellement gonflés au consulting ont fini par avoir raison de nos modestes forces de service public ».
« L’avenir de ces nouvelles organisations ne pourra pas tenir la dimension humaine, tant les raisons qui en ont fomenté l’advenue sont étrangères à tous les progrès accomplis dans la compréhension des mécanismes qui président à ces pathologies complexes, et qui nécessitent de mettre ensemble toutes les forces qui concourent à en élucider les impasses actuelles : génétique, neurosciences, psychopathologie transférentielle, pédagogie, éducation, anthropologie, sociologie, philosophie et politique. L’idéologie actuelle qui vise à imposer les deux premières composantes au détriment des autres, en pourchassant ces dernières sur le mode inquisitorial, est totalement contre-productive, car elle créé parmi les professionnels une incompréhension doublée d’une colère qui contribue à la déconstruction d’une politique commune en faveur des enfants en question et de leurs parents. Les plateformes ne font qu’aplatir, sous le couvert d’une protocolisation pseudoscientifique revendiquée, les reliefs que toute prise en compte de la singularité opère inévitablement dans le paysage de l’enfance en difficulté ».
Ainsi, le grand chantier de la plateformisation du soin montre déjà ses limites, alors même qu’il vient à peine d’être imposé à grands renforts de plébiscites médiatiques. A l’évidence, les Plateformes de Coordination et d’Orientation (PCO) n’ont pas permis de faire face à la désertification des soignants, à la désinstitutionalisation et au sacrifice des structures publiques…Mince ! En effet, il ne suffit pas de se réorganiser à moyens constants, en appliquant les recommandations validées et en exerçant un management efficient…Rappelons pourtant que le cahier des charges de ces dispositifs prévoit de ne travailler que sur dossier, ce qui permet de s’épargner définitivement de la rencontre clinique, et de gagner un sacré temps, et de sacrés emmerdes ! Néanmoins, après à peine quelques années de recul, cela dysfonctionne déjà à plein pot…

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Comme le souligne Hospimedia, « premier constat, la PCO n'est pas un remède miracle au manque de médecins et de paramédicaux. Si la plateforme a la possibilité de travailler avec le secteur sanitaire, le secteur médico-social et les libéraux, elle n'a pas permis de résoudre les problèmes de déserts médicaux et de démographie ». De fait, « dans un écosystème fragile, toute difficulté chez un partenaire rejaillit sur l'ensemble ». Et oui, fallait peut-être y penser en amont….
« Autre difficulté, l'accompagnement limité à un an, renouvelable une année. Mais que faire quand un enfant a besoin d'un suivi par plusieurs paramédicaux et que certains ne sont pas disponibles avant plusieurs mois ? Certaines plateformes préfèrent attendre pour offrir des années complètes de prise en charge, alors que d'autres démarrent tout de suite avec une prise en charge incomplète. Se pose également la question des transports qui sont remboursés dans le cadre d'un suivi médico-social mais pas, à ce jour, par la PCO, ce qui est un réel handicap pour les familles les plus précaires ». Une vraie usine à gaz, qui se met à dérailler au moindre accroc ? Vous en voulez de la disruption !
Visiblement, la précarisation des professionnels constituerait également un obstacle…Zut…« Le montant des forfaits est un frein au conventionnement pour les professionnels libéraux mais le volet formation peut être incitatif »...Pour faire accepter aux soignants des pratiques ubérisées, précarisées, éclatées, contrôlées, de superbes formations, garanties 100% sans clinique, seront ainsi financées auprès d'entreprises lucratives – attention les produits proposés peuvent cependant contenir des traces de conflits d’intérêts : "Approches et Interventions recommandées", "Superviser des équipes en ABA", "Evaluation et gestion des comportements problèmes", "Gestion des situations de crise – Formation PCMA (Professional Crisis Management Services Association)", "Mise en œuvre du changement des pratiques en autisme", "Bases de l’OBM (Organizational Behavior Management) et de la conduite de projet OBM au sein d’une organisation médico-sociale"...Franchement, avec des perspectives de formation aussi passionnantes, de quoi peut-on encore se plaindre ? Tant de rêve, cela ne peut que convaincre, non ?

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Enfin, s'il a été possible de tenir approximativement depuis l’ouverture des plateformes, qu’est-ce qu’on va foutre dorénavant de tous les enfants qui n’ont plus de prise en charge, mais qui reste en besoin de d’accompagnement thérapeutique… On n’a rien prévu ?! Purée, qui a pondu ce dispositif à la con !: « quand les deux ans de prise en charge par la plateforme ne suffisent pas, la question de l'aval est également préoccupante alors les structures médico-sociales sont toutes saturées. Peu de maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) accordent des compléments d'allocation d'éducation à l'enfant handicapé (AEEH) qui permettent de maintenir les rééducations avec la même intensité. C'est alors sur les familles que repose la responsabilité de la coordination entre les différents professionnels »
De surcroit, dans le champ du médico-social, force est de constater une accentuation massive de la gestion managériale, en dépit de bien piètres résultats ; recours au privé, renforcement des appels à projets et déploiement de fonds de paiement au résultat (FPR)…Dès lors, les petites associations gestionnaires se trouvent contraintes de changer d’échelle, de fusionner ou d’être absorbées, de façon à pouvoir s’adapter aux modèles économiques innovants basés sur le financement par appels d’offre. A travers les contrats à impact social, on assiste même à un mariage improbable entre la finance et le social : le néolibéralisme sait faire son beurre jusque dans certaines franges de l’économie solidaire et sociale…
D'ailleurs, outre les ARS, les agences technocratiques imposent de plus en plus leurs expertises et leurs injonctions hors-sol : par exemple, l’ANAP (agence nationale pour l’amélioration de la performance) préconise de valoriser les fonctionnements en « dispositifs », de « prévoir une plus grande transversalité des postes et de la gestion des ressources humaines », c’est-à-dire de démanteler toutes les dynamiques collectives et institutionnelles. Désormais, la notion de « projet » devient envahissante : il faut en permanence s’adapter, se réajuster, à court terme ; il faut « innover », faire plus avec moins, quitte à faire mal ou à faire n’importe quoi…
Au final, on exige des professionnels de toujours plus accompagner les "parcours inclusifs", d’aller vers l’extérieur, de soutenir et de tisser des dispositifs mobiles, sans en donner les moyens nécessaires. D’un côté, il faut faire toujours plus d’actes rentables (c’est-à-dire recevoir les patients à la chaîne sur un mode taylorisé), de façon à préserver l’équilibre budgétaire des institutions. De l’autre, il faudrait pouvoir mettre en place des soins complexes, à l’interface du thérapeutique et du social, nécessitant des ajustements spécifiques, des interventions décentralisées mais non prises en compte ni financées…
Tout cela revient à brasser du vent, à imposer des « dispositifs innovants » type plateformes sans prendre en compte les réseaux interinstitutionnels préexistants, à exiger le remplissage d’indicateurs se sédimentant toujours plus en couches successives, à créer un marché parasite de cabinets de conseil et d’évaluations siphonnant les finances des établissements de santé, à désavouer les initiatives locales des équipes soignantes organisées pour faire face à des situations de crise…
Des préconisations d’experts ayant un véritable ancrage dans les pratiques de terrain
Si la pédopsychiatrie ne suscite plus de vocation, c’est sûrement parce que cette pratique clinique ne permet pas de faire une carrière prestigieuse, de publier dans des revues internationales à fort impact factor, d’obtenir une reconnaissance académique, de mener des protocoles expérimentaux en laboratoires, d’être reconnu par ses pairs comme un véritable médecin / chercheur, avec une légitimité scientifique et universitaire…Ainsi, pour les responsables politiques et la Cour des Comptes, totalement alignés sur le discours du ministère de la santé, « la mise en œuvre d’une politique d’attractivité à destination de la pédopsychiatrie repose sur la valorisation des parcours hospitalo-universitaires, sur le soutien à la recherche française dans la discipline ». Une recherche s’appuyant sur des approches pluridisciplinaires, mobilisant à la fois les neurosciences du développement, mais aussi les sciences sociales, l’anthropologie, la psychanalyse, etc. ? Non, pas du tout… « Concernant les travaux de recherche financés par le ministère en charge de la recherche et de ses opérateurs, les champs les plus visibles dans le domaine de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent sont ceux relatifs aux troubles du spectre de l’autisme et du neurodéveloppement ainsi qu’aux neurosciences et à l’imagerie cérébrale ». « La dynamique observée sur la recherche dans le champ de l’autisme et des TND serait susceptible de profiter favorablement à l’ensemble du champ de la pédopsychiatrie, à la condition que des communautés de recherche se structurent sur ces nouveaux thèmes ». Donc, les technocrates imaginent que c’est en proposant de faire des recherches de laboratoire sur les récepteurs dopaminergiques murins et des IRM fonctionnels que l’on va non seulement faire rêver, mais en plus faire face à l’incurie… Que se passe-t-il dans la tronche d’un rapporteur de la Cour des Comptes pour penser, en tout sincérité, que c’est ainsi que l’on va susciter du désir et des vocations, en réduisant les thématiques, les approches, le cadre épistémique, la profusion des travaux antérieurs, etc. Il ne faudrait surtout pas mettre en avant la richesse de la clinique, l’intérêt de la psychopathologie, l’épistémologie passionnante de cette pratique, au carrefour de multiples champs disciplinaires mais aussi de nombreux enjeux socio-politiques, la fécondité du travail institutionnel, les effets thérapeutiques tout à fait importants observés sur des suivis de long terme, etc.

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Non, la priorité est de « positionner l’actuel délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie au niveau interministériel et le dénommer ainsi : « Délégué interministériel à la santé mentale, à la psychiatrie et à la pédopsychiatrie » afin d’identifier la pédopsychiatrie explicitement dans le champ des réformes actuelles. Hop, un petit changement de nomination, et le tour est joué !
Et puis, soyons réalistes, la crise de la pédopsychiatrie n’est pas en rapport avec une question de moyens, mais d’organisation. Répétez ce mantra encore, et encore, jusqu’à la nausée, et tout ira bien – même si 32 % des CMP considèrent leurs locaux inadaptés à leur activité, avec des infrastructures vétustes et dégradées, et qu’il est constaté une fuite de certains professionnels vers le privé pour des raisons salariales …
Ainsi, « faute de gradation des soins et de structuration d’un parcours de soins progressifs, une part non négligeable des patients est suivie en pédopsychiatrie alors qu’ils relèvent de troubles légers ». Les fameux « troubles légers » …Déjà, il faudrait la définir, à un moment, cette insoutenable légèreté. Franchement, sur le terrain, c’est plutôt du gros lourd qui tâche. Par ailleurs, de telles affirmations supposent tout simplement de balayer d’un revers de la main les missions de prévention. Recevoir précocement un enfant qui ne va pas encore trop mal, c’est aussi éviter de faire le lit d’une décompensation ultérieure ou empêcher des fixations pathologiques plus ou moins irréversibles…Laisser la « légèreté » dépérir et moisir suffisamment longtemps, et cela finira par s’appesantir sérieusement. Or, compte-tenu de la saturation des institutions soignantes, il vaut mieux prendre contact en amont, avant que les situations n’aient complètement décompensées…
La Cour des Comptes, avec son regard exclusivement comptable et gestionnaire, vient donc donner des leçons de soin institutionnel, tout en n’ayant manifestement rien compris à la logique du secteur, à l’intérêt clinique de panacher et de diversifier les profils et les situations, etc. Non, il faut des parcours, des filières, des niveaux, des spécialisations, des cloisons…
« Pour remplir toutes les missions qui leur ont été confiées, les CMP sont organisés pour pouvoir proposer une offre homogène et généraliste (consultations, psychothérapies individuelles et groupales) mais cette dernière est aujourd’hui submergée par le flux des demandes, au détriment des soins spécifiques attendus par les patients rencontrant les troubles psychiques les plus graves ».
Ces fameux patients souffrant de « troubles légers » emboliseraient donc les institutions, et feraient mieux d’attendre d’aller vraiment mal avant de pointer le bout de leur nez. Ceci dit, vu les délais d’attente, on peut être sûr que la situation se sera dégradée entre la demande de soins et le moment des premiers rendez-vous…Que la Cour des Comptes se rassure, tout peut finir par devenir grave, et on est déjà en plein dedans…
Cependant, la Cour des Comptes semble découvrir la « pression sur les besoins d’évaluation » au détriment du soin…Pourtant, toutes les recommandations, les orientations et les dispositifs impulsés par les pouvoirs publics vont dans ce sens : évaluer pour ne pas soigner. D’ailleurs, n’en étant pas à un paradoxe près, le rapport de la Cour des Comptes préconise explicitement que les CMP-IJ puissent « assumer un rôle d’expertise en pédopsychiatrie. Ce dernier pourrait prendre la forme d’une réponse téléphonique ou numérique aux demandes des professionnels de première ligne, simple d’accès et réactive. Ainsi repositionnés, ils pourraient également développer des actions de formation continue pour les professionnels libéraux, en lien avec les autres professionnels des services intra-hospitaliers des établissements publics ». Par ailleurs, « la mutualisation de certaines fonctions, et tout particulièrement l’organisation d’un accès partagé, permettraient de pallier en partie les carences actuelles de l’offre de première ligne ». Heu, l’idée n’était-elle pas de donner véritablement accès à des soins, et non pas de créer de nouvelles strates foireuses de coordination ?
Par ailleurs, les rapporteurs de la Cour des Comptes se polarisent exclusivement sur l'offre thérapeutique dans le domaine hospitalo-sanitaire, négligeant par exemple des structures associatives telles que les Centre Médico-Psycho-Pédagogiques, ce que regrette amèrement la Fédération des CMPP : après avoir été « les grands oubliés des Assises de la santé mentale en 2021, les CMPP sont, une nouvelle fois, relayés en arrière-plan de la politique nationale en matière de pédopsychiatrie ». Pourtant, ces structures pionnières dans le soin institutionnel assurent actuellement un tiers des consultations ambulatoires à destination des enfants en souffrance psychique. D'après le rapport IGAS de 2018, les CMPP recevaient alors 213 000 enfants, avec une augmentation de l'activité de 60% entre 1996 et 2006, sans ajustement des moyens alloués....
Mais, plutôt que de s'intéresser à la réalité des pratiques existantes, nos gestionnaires responsables exhument le fantasme d’une optimisation par une réorganisation et un « pilotage de l’offre de soins », à travers « le renforcement des acteurs de première ligne permettrait, à terme, de désengorger les CMP-IJ et de les positionner sur une activité de soins de centre spécialisé, d’appui aux professionnels de ville et de coordination de parcours ». Alors, bon ; on a la tête sous l’eau, on n’arrive pas à recevoir dignement, à accueillir toutes les enfants en besoin de soin, etc. Mais en plus, il faudrait qu’on coordonne, qu’on appuie les professionnels, qu’on organise les parcours, qu’on effectue du triage, qu’on alimente des filières…All right, finger in the nose !!
Heureusement, pour revitaliser la pédopsychiatrie, ou plutôt pour la réanimer, compte-tenu de son stade de dépérissement avancé, des orientations administratives fortes ont été décidées par le gouvernement, comme par exemple la fameuse feuille de route « santé mentale et psychiatrie » du 28 juin 2018, ou encore les « Assises de la Santé mentale » de septembre 2021, ainsi que l’émergence d’un nouvel acteur en charge de la coordination de la santé des enfants de trois à 11 ans : la « maisons des enfants »…Tout cela plutôt que de redonner prioritairement aux institutions soignantes moribondes les moyens de fonctionner correctement. La Cour des Comptes s’inquiète donc, à juste titre, de la dispersion des annonces, de leur manque de complémentarité, de leur illisibilité pour les professionnels et les usagers, tout en proposant de nouvelles couches administratives venant siphonner les ressources vives et ajoutant de la confusion…
D’ailleurs, « depuis le début des années 2010, avec l’adoption du plan psychiatrie 2010-2015, les ARS bénéficient d’une certaine autonomie pour la détermination des politiques de santé en pédopsychiatrie de secteur », et pour la mise en place « d’outils de pilotage opérationnels ». Alors même que certaines ARS, comme par exemple en Nouvelle-Aquitaine, ont tout simplement saborder les institutions pédopsychiatriques, la Cour des Comptes regrette que ces baronnies locales soient encore « trop timides sur le pilotage concret de l’offre de soins »…
Et puis, soyons transparents : par « réforme de l’offre », il faut évidemment entendre la transformation managériale des institutions soignantes, en favorisant la privatisation, la marchandisation, la plateformisation, l’intervention lucrative de prestataires de service, la mobilisation d’une surveillance généralisée par le biais d’applications numériques, la constitution de filières avec une logistique de mise en flux, l'inscription en cohortes afin d’extraire des données pour créer des algorithmes et des publications, etc.
En tout cas, la priorité sera d'ériger des cloisonnements et de promouvoir des parcours thérapeutiques à partir de gares de triage initial, avec des effets de bascule dans des filières plus ou moins étanches les unes avec les autres : on aurait donc le parcours TED, le parcours THADA, le parcours HPI, le parcours transidentitaire, etc., (avec à chaque fois, la possibilité d'ouvrir un marché, en déclinant des produits pédagogiques, un "coaching" spécifique, des bilans et prescriptions adaptés, des spécialistes médiatiques, des structures "innovantes", des psychotropes marketés sur mesure, des associations militantes financées par les laboratoires, etc.).
Petit exemple des effets concrets de ce genre de réorganisation de l'offre : j'ai encore reçu il y a quelques jours une mère complètement désœuvrée par rapport aux parcours de soin de son fils. Celui-ci a commencé à présenter un retard de développement et de langage au décours du confinement : "je le laissais tout le temps devant la tablette" regrette cette mère très démunie sur le plan socio-éducatif, et n'ayant pas du tout été accompagnée... Par la suite, le pédiatre, très connu, l'oriente vers un centre expert hospitalo-universitaire. Là, le prestigieux professeur l'oriente vers la PDA (Plateforme de Diagnostic Autisme) "La Boussole". Finalement, le diagnostic de Trouble du Spectre Autistique est retenu. La famille est alors orientée vers le CMP-IJ de secteur. Après trois ans d'errance diagnostique, aucun soin n'est mis en place, à part une orthophonie en libéral que la famille a finalement réussi à organiser par elle-même...Vive la coordination ! Et des familles déboussolées, on en reçoit à la pelletée : un vrai jeu de flipper, ou plutôt de plateformes...Et les situations s'aggravent, et rien n'est fait...Certes, les recommandations de bonne pratique sont respectées, et le néant est sans doute validé, protocolisé, fondé sur l'épreuve...Mais pour soigner, vraiment, il faut des équipes, des lieux, et du temps...
Dans le cadre du LDIP (Lutte contre le Désespoir Induit par la Pénurie), il a donc été décidé de déployer un nouvel acteur innovant, disruptif et performant, la PCPBV (Plateforme de Coordination des Plateformes Brassant du Vide), de façon à proposer un nouveau parcours de qualité, conforme, dématérialisé et ubérisé, à destination des usagers en rupture de foutage de gueule. On n'arrête pas le progrès !

Un démantèlement lucratif des services publics
Dans une logique de rentabilité, il s’agit finalement de promouvoir le dépeçage des structures publiques, sans prendre en compte les conséquences concrètes pour les usagers et la qualité des soins, en brandissant des slogans : virage ambulatoire, désinstitutionalisation, partenariat public-privé, réforme des financements (T2A, SERAFIN-PH, etc.).
L’objectif sous-jacent est manifestement de pouvoir morceler les pratiques, afin de prévoir la cession de l’activité rentable au secteur privé, et de maintenir dans la sphère publique les domaines non profitables.
Pour ce faire, il suffit par exemple d’allouer des enveloppes budgétaires dont les montant sont indéniablement inférieurs aux besoins réels pour maintenir les missions. Un véritable injonction paradoxale se déploie ainsi : on exige une mise en conformité, une montée en gamme, des critères de qualité, un élargissement de l’activité, une réactivité immédiate, tout en diminuant les moyens effectifs…Dès lors, on peut allègrement dévaloriser, pointer les défauts de performance, l’incompétence et, in fine, placer sous tutelle…De surcroit, et là se situe toute la perversité de la manœuvre, on peut également faire porter la responsabilité des dysfonctionnements à ceux-là même qu’on a empêché d’exercer.
Dernière étape : on segmente, on découpe, puis on externalise les activités rentables en les offrant par tranche au secteur privé lucratif. Quant aux autres, les « déficitaires », et bien on s’en passera…
Ainsi, les professionnels observent la mise à mort programmée des institutions thérapeutiques et médico-sociales, comme lieux de soins, d’émancipation, de socialisation, en faveur de prestations externalisées de réhabilitation, de remédiation, de rééducation, à temps modulé.
« En 2021, les établissements privés à but lucratif ont assuré environ 205 000 journées d’hospitalisation à temps plein pour des enfants et adolescents, soit 22 % de l’ensemble des journées d’hospitalisation pour ce public ». La Cour des Comptes semble amèrement regretter que le régime actuel des autorisations ne permette pas à ces structures réalisant de haut taux de profit de proposer également une offre ambulatoire…Comme le souligne Caroline Coq-Chodorge pour Médiapart, « la Cour des comptes fait aussi un appel du pied au privé, presque absent en pédopsychiatrie. Il y a là de quoi s’inquiéter, tant certains groupes privés lucratifs ont investi la psychiatrie adulte avec des arrière-pensées lucratives à peine masquées ».
De fait, « en 2019, selon la Drees, les établissements privés à but lucratif du secteur psychiatrique ont un taux de rentabilité de 7,6 % du chiffre d’affaires. Ce taux est plus de cinq fois supérieur au taux moyen de rentabilité des cliniques privées de médecine, chirurgie, obstétrique et odontologie (MCO) » …A bon entendeur, y a un pognon de dingue à se faire sur le dos de la souffrance infantile !

Après avoir survolé les remèdes miracles des experts/managers/gestionnaires/technocrates/gouvernants en termes de gouvernance pour la pédopsychiatrie, nous aborderons les dérives idéologiques, les conflits d’intérêt et les compromissions, ainsi que tous les acteurs qui s’ébrouent autour du corps gisant de la pédopsychiatrie, en attendant d’en dépecer le cadavre fumant….
A suivre