De nombreux auteurs, de Jean Jaurès à Régis Debray en passant par Henri Lefebvre et Pascal Ory (dans la présente édition), ont décrypté le nationalisme xénophobe comme une perversion radicale de l’idée moderne de nation née avec la Révolution française. Jean-Michel Ducomte a analysé ce phénomène dans une conférence reprise sous forme de contribution écrite. Ce travail, à la fois érudit et clair, a été réalisé dans le cadre des activités du GREP MP (Groupe de Recherche pour l’Éducation et la Prospective de Midi-Pyrénées) et publié dans la revue « Parcours ». Il est plus que jamais d’actualité.
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En voici des extraits significatifs :
La conception révolutionnaire de la nation

La conception révolutionnaire de la nation apparaît très vite dans le discours révolutionnaire, avec Mirabeau qui propose, le 15 juin 1789, que les États Généraux se constituent en Assemblée Nationale. La nation n'est ici qu'un adjectif, mais quel adjectif ! On admet dorénavant que ce qui était une composante de la culture de la société holiste d'ancien régime puisse devenir l'expression de l'universalité des Français, quelle que soit leur origine ou leur appartenance, à l'égard desquels commence à se construire un principe de ré-élaboration : l'idée nationale permet de considérer qu'à partir du moment où l’individu s’affirme en son sein, il devient titulaire de droits égaux à ceux de ses semblables et libre d'en faire usage…

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 va parachever l’édifice en faisant de la nation le fondement du régime issu de la révolution. Son article 3 affirme en effet : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément ». Il s’agit là d’un changement considérable, qui se traduit notamment par le fait que le principe de souveraineté qui fonde le pouvoir ne réside plus désormais dans un principe transcendant (le droit divin), mais simplement dans l'existence de la nation, constitué des individus qui en font partie. C’est de cette Nation que les soldats de Valmy, le 20 septembre 1792 (24 heures avant la proclamation de la République) se revendiqueront, lorsqu’ils s’élanceront au combat au cri de « Vive la Nation »...
Les temps ont changé et les vieux mécanismes intégrateurs semblent avoir perdu de leur capacité à générer un sentiment de commune appartenance et l’idée d’unité nationale a conduit des forces politiques, clairement héritières des nationalismes fermés d’hier, toujours antisémites mais désormais islamophobes, antirépublicaines, nostalgiques de la collaboration et de la colonisation, a construire un discours de l’identité nationale, substituant à l’unité civique et à l’universalité juridique, le concept d’identité ethnique et culturelle. Des forces politiques revendiquant une filiation républicaine n’ont pas hésité à leur emboîter le pas. La ruse a consisté à s’emparer d’un certain nombre des principes républicains pour en subvertir la signification et les muer en concepts chargés d’une fonction identitaire comme le principe de laïcité…
Comment résister à la dérive nationaliste ?

On connaît le célèbre aphorisme de Romain Gary : « le patriotisme, c'est aimer son pays, le nationalisme c'est détester celui des autres » ! Et c'est ce qui aujourd'hui se joue : oui, il faut manifester son intérêt pour la nation à laquelle on appartient, oui il faut être attentif à la patrie dans laquelle on se trouve. Pour citer Jaurès : « un peu d'internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup d'internationalisme y ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l'internationale, beaucoup de patriotisme y ramène ». Oui la question des mots est importante, et je pense qu'aujourd'hui nous avons l’obligation à redonner aux termes de nation et de patrie la signification initiale qui était la leur, en rappelant notamment que le patriotisme est civique, qu'il mobilise le citoyen dans sa loyauté mais aussi dans son esprit critique, qu'il soumet le gouvernement à la critique du public, alors que le nationalisme, en jouant sur la force contraignante du déterminisme social et culturel, en imposant une vision identitaire de la nation et en stérilisant l'esprit critique qualifié de menace pour la communauté, pousse au conformisme, à la massification et à la démission de la raison…
Retrouvez les articles de Jean-Michel Ducomte publiés dans nos éditions : L’Europe face à ses responsabilités ; Condorcet et Jean Zay, deux grands éducateurs ; ses contributions lors des Rencontres laïques sur la liberté d’expression et sur Question laïque / question sociale et la présentation d'un de ses maîtres ouvrages: Laïcité, laïcité(s)?
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