Au-delà de la paix du monde qu’elle met en péril, la guerre d’invasion de l’Ukraine ordonnée par Vladimir Poutine fait deux victimes. D’abord, évidemment, le peuple ukrainien qui en est la cible : ses villes, ses civils, ses libertés et ses espérances. Mais aussi le peuple russe dont le régime poutinien brutalise la société, mettant fin à toute possibilité d’expression critique, d’information libre, d’opposition politique, bref de dissidence.
C’est pour faire entendre les voix de celles et ceux qui, en Russie même, ne s’y résolvent pas que Mediapart, en novembre 2022, a ouvert, dans son Club participatif en accès libre, un blog sous l’intitulé : « Russie : les voix de la dissidence d’aujourd’hui ». En partenariat avec une constellation de ces dissident·es et de leurs réseaux d’entraide, cet espace de libre expression est ouvert à toutes les expressions de la crise profonde que traverse la société civile russe. Réprimée et bâillonnée, traquée et exilée, elle n’en continue pas moins de lutter et de résister, entre désespoir et espérance.
Après un premier billet de présentation, nous y avons publié quatre autres billets : un texte d’une activiste russe de la résistance féministe anti-guerre ; un texte d’un jeune militant russe pour le climat aujourd’hui en exil ; un texte documentant la pratique de la torture en Russie. Avant ces trois contributions, le premier texte publié sur ce blog, le 13 novembre 2022, était écrit et signé par Oleg Orlov, l’une des figures de Memorial, un mois avant que l’ONG, interdite et dissoute fin 2021 par le Kremlin (lire sur Mediapart, ici et là), reçoive à Oslo son prix Nobel de la paix.
Depuis Moscou, Oleg Orlov n’hésitait pas à lancer ce cri d’alarme : « Ils voulaient le fascisme, ils l’ont eu ». « Le pays, qui s'est éloigné il y a trente ans du totalitarisme communiste, est retombé dans le totalitarisme, mais désormais fasciste », écrit-il dans ce texte poignant, en s’appuyant, non sans malice, sur la définition du fascisme donnée en 1995 par l’Académie des sciences russe, sur les instructions du président Boris Eltsine, le prédécesseur de Vladimir Poutine.
Co-président du Comité de défense des droits de l’homme de Memorial, Oleg Orlov a été arrêté et son domicile perquisitionné, mardi 21 mars à Moscou. Tandis que plusieurs autres employés de Memorial et leurs proches étaient eux-aussi interpellés et perquisitionnés, sous un autre motif, Oleg Orlov s’est vu reprocher d’avoir « discrédité » l’armée russe à plusieurs reprises, en vertu de la partie 1, article 280.3 du Code pénal. Déjà poursuivi à deux reprises pour des piquets anti-guerre, en vertu de l’article 20.3.3 du Code des infractions administratives, Oleg Orlov a été laissé en liberté mais interdit de quitter le territoire (les précisions sur le site de Memorial France).
Or sa mise en accusation repose sur un post Facebook, daté du 14 novembre 2022, soit le lendemain du billet de blog de Mediapart, qui en est simplement la traduction russe. C’est donc pour ce texte initialement paru en français sur notre site qu’Oleg Orlov est aujourd’hui poursuivi. Lors de son interrogatoire, il a déclaré sur procès-verbal qu’il avait « publié son opinion personnelle sur les événements qui se déroulent dans la Fédération de Russie et dans le reste du monde ». Il a refusé de continuer sa déposition en vertu de l’article 51 de la Constitution russe qui autorise à ne pas témoigner contre soi-même.
On ne saurait mieux illustrer ce sur quoi alertait courageusement Oleg Orlov, comme toutes ces dissidences russes qui ne se résignent pas à l’aventure catastrophique dans laquelle Vladimir Poutine veut entraîner son pays. Son texte a été publié à notre initiative et en toute indépendance, pour affirmer notre soutien à un peuple russe qui ne saurait être confondu avec le régime actuellement en place à Moscou.
Nous sommes évidemment solidaires de son contenu et de son auteur. Et nous continuerons à accueillir ces voix qui font entendre l’autre Russie, celle qui, en résistant à Vladimir Poutine et en refusant sa guerre impérialiste, prépare une paix véritable.