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Billet de blog 4 mai 2025

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Mail envoyé aux syndicats de fonctionnaires, suite à la pétition anti 90%

Dans ce mail, je propose à nouveau aux syndicats de foncitonnaires de faire valoir un argumentaire qui mettait à l'apoque les manipulations de Kasbarian, manipulations qui pouvaient s'appuyer sur un rapport de l'IGF/IGAS "insincère" sur des éléments pourtant importants, essentiels concernant l'utilisation des données d'absences des fonctionnaires ...

Eric SAIZEAU

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bonjour,

J’ai vu récemment cet appel à signer la pétition, auquel votre syndicat participe, pour un l’abrogation du remboursement à 90 % des arrêts maladies. Mais que n’avez-vous pas agi au moment des manipulations de G. Kasbarian ! Je fais allusion à des manipulations de fond, qui partent du rapport de l’IGF/IGAS et sur lequel le ministre de la FP avait alors pu s’appuyer. J’avais contacté à l’époque (novembre) les syndicats de la FP, dont le vôtre a priori, sans avoir de réponse. Je vous recontacte à nouveau, en vous laissant mon numéro de téléphone, et je vous appellerai si je n’ai toujours pas de réponse, histoire de pouvoir confirmer ou infirmer certaines suppositions.

Pour en revenir à l’objet de ce mail, je vous fais ici un résumé permettant de comprendre de quoi il en retourne, et du poids qu’aura été – et que devrait encore avoir – la dénonciation des origines des manipulations faites.

Un résumé ici … :

Kasbarian a profité d’un rapport de l’IGF/IGAS sur les absences des fonctionnaires qui s’avère très flou, voire surtout « insincère » (euphémisme administratif/politique) sur certains éléments pourtant essentiels. Des éléments qui induisaient que SCIENTIFIQUEMENT les écarts d’absences entre la FP – en particulier et surtout la FPT - et le secteur privé ne pouvaient EN AUCUN CAS être considérés comme anormaux. Et d’autres qui interdisaient – SCIENTIFIQUEMENT là encore – de ne pas pouvoir/devoir comparer les durées d’absences ante et post 2020, ce qu’aura pourtant évidemment fait le ministre de la FP de façon purement manipulatoire. Or, AUCUN syndicat de la FP n’a utilisé ce qui vient d’être dit, et qui leur avait pourtant été communiqué, quand cela aurait permis de mettre un coup d’arrêt aux velléités d’alignement de la FP sur le secteur privé concernant le régime d’indemnisation.

… et des explications plus claires là (avec liens par la suite pour des publications plus exhaustives) :

Parmi les différents éléments qui posent question dans le rapport de l’IGF/IGAS, il y en a deux principaux, et qui découlent d’un élément central qui a permis les manipulations principales de G. Kasbarian.

Cet élément central a été dit explicitement dans le rapport, mais il n’a pas non plus été mis en avant : c’est le fait que les durées d’absence pour raisons de santé – des deux secteurs public et privé – ne sont pas issues de bases de données factuelles, mais de sondages, plus précisément des « enquêtes emplois » de l’INSEE. Des enquêtes considérées comme très précises et fiables quant aux données recueillies, et ce n’est pas cet aspect-là qui pose question, mais les conséquences qui en découlent.

Premier élément : les échantillons des enquêtes étaient trop réduits pour pouvoir procéder à un ajustement plus poussé

D’abord, à propos des sondages, il s’agit donc d’échantillons de données de taille limitée à une petite proportion des salariés. Cela ne pose pas non plus de soucis dans l’absolu, et pour un premier niveau d’exploitation des données. Et c’est là que cela devient un peu technique :

Lorsqu’un paramètre – ici les durées d’absences – sont comparées d’un groupe à un autre, il faut vérifier s’il y a des « effets de structure » - c’est-à-dire des déséquilibres de profils des individus en général qui rendent toutes comparaisons directes non pertinentes. C’était effectivement le cas pour 3 versants de la FP, la structure de chacun d’entre eux n’étant donc pas comparable à celle des salariés du secteur privé en général.

Il est alors prévu dans ce cas de procéder à des ajustements via l’application d’outils mathématiques, qui ré ajustent les durées d’absences pour les rendre alors ensuite comparables.

C’est ce qui a été fait pour la FPE et pour la FPH, jusqu’à trois niveaux de pertinences possibles : un ajustement de premier niveau concernant les effets de structures généraux (dont taux de femmes et moyenne d’âges pour les principaux), un deuxième concernant les « structures d’emploi » (type de contrat, catégorie socio-professionnelle, diplôme), et un troisième concernant la diversité et la spécificité des métiers (de par leurs caractères plus ou moins accidentogène et pathogène).

Cela a amené à « normaliser » les absences (à 5 % près pour la FPH) de ces deux versants par rapport au secteur privé.

Concernant la FPT, G. Kasbarian avait mis en avant les différences de durées d’absences entre la FPT et le secteur privé, des différences qu’il présentait comme « anormales ».

Evidemment dans sa communication, G. Kasbarian a utilisé les données « non ajustées ». Et il a profité d’une absence de mise en avant dans le rapport – pour ne pas dire absence de clarté – concernant un point essentiel : l’ajustement des deux premiers niveaux avait bien été réalisé pour la FPT, mais pas l’ajustement du troisième niveau ! Et il faut surtout comprendre pourquoi ce troisième ajustement n’avait pas pu être fait : parce que la taille des échantillons était trop petite pour pouvoir rendre compte mathématiquement des diversités et spécificités des métiers de la FPT par rapport au secteur privé. Or, et comme cela avait été dit dans certains médias, c’est dans la FPT que l’on a les métiers les plus accidentogènes, comme les pompiers, les policiers municipaux … dont ceux aussi dont les horaires de nuits – et autres paramètres – nécessitaient de devoir procéder à ce deuxième ajustement. Cela n’a donc pas pu être fait pour le simple fait que les données utilisées étaient donc issues de sondages, et non de l’ensemble des données réelles. Ce qui a donc été dit dans le rapport mais de façon trompeuse dans la synthèse – lue par « tout le monde » - quand les explications claires n’apparaissaient que plus loin dans le rapport.

Explications plus précises :

Dans la synthèse du rapport (pages 1 et 2), la formulation est :

« Les niveaux différenciés des absences des trois versants, entre eux et par rapport au secteur privé, résultent des caractéristiques des agents (âge, sexe, état de santé) et de leurs emplois (type de contrat, catégorie socio-professionnelle, diplôme) qui expliquent 95 % de l’écart des taux d’absence entre la fonction publique d’État (FPE) - fonction publique hospitalière (FPH) et le secteur privé et 53 % de l’écart1 entre la fonction publique territoriale (FPT) et le secteur privé. »

En lisant ce passage, on ne peut ainsi que comprendre qu’il y a une part (47 %) de différence des durées d’absences qui est non expliquée.

Et la suite :

«Cela signifie qu’à structures d’emplois identiques, pour les caractéristiques susmentionnées, la FPE, la FPH et le secteur privé seraient au même niveau d’absentéisme et l’écart entre la FPT et le privé ne serait que la moitié de celui observé. »

Ne fait que confirmer qu’il subsisterait donc un problème concernant les absences de la FPT par rapport au secteur privé.

Il faut lire la note 1 en bas de page (avec une faute) pour avoir une relativisation de ce qui vient d’être analysé :

« 1 L’écart inexpliqué signifie que la différence de prévalence des absences n’est pas expliquée par les variables pouvant être contrôlées par le biais de l’enquête Emploi. Une part de cet écart résiduel pourrait être justifiée par d’autres caractéristiques non retracées dans l’enquête. L’écart inexpliqué ne constitue donc pas stricto sensu une mesure de la marge de réduction de l’absentéisme dont disposerait les employeurs publics de chaque versant. »

Où il est alors dit – mais de façon peu explicite - que les écarts d’absences ne doivent pas être considérés comme anormaux, et en faisant allusion à d’obscures «d’autres caractéristiques non retracées dans l’enquête ». 

Et ce n’est que dans le corps du rapport, pages 8 à 10, que les choses sont cette fois-ci complètement explicitées avec surtout ce passage :

« La sous-catégorie des métiers du soin a été également contrôlée pour la FPH pour comparer ce versant aux salariés exerçant ces métiers dans le secteur privé. La diversité des types de métiers exercés dans la FPT et la taille de l’échantillon de l’enquête Emploi n’ont, en revanche, pas permis de réaliser ce même niveau fin de contrôle pour le versant territorial. »

Là les choses sont donc claires : dans les ajustements faits, celui tenant compte de la diversité et des spécificités des métiers a pu être réalisé pour les « métiers du soin » - on comprend effectivement sa prévalence pour les durées d’absences – mais cela n’a pas pu être réalisé pour la FPT, qui pourtant, come reconnu par les auteurs, comporte en grande partie des métiers à risque. Et, surtout, il est bien ici indiqué pourquoi cet ajustement pourtant important n’avait pas pu être fait : la taille des échantillons était trop petite …

Les pompiers, les policiers et autres métiers à risques divers et de pénibilité en plus fortes proportions dans la FPT que dans le secteur privé en général ont donc été pris en compte sans aucun ajustement !

Comment cette indication essentielle n’est-elle donc pas apparue de façon aussi claire dès la synthèse du rapport ? Pourquoi dans cette synthèse des formulations laissant à penser que cette différence de durées d’absence était anormale ?

Ainsi la part de différence des durées d’absences entre FPT et le secteur privé est restée dans un flou de par un problème inhérent au type de données utilisées … Ce dont aura pu alors profiter opportunément le ministre  de la FP pour baser sa communication manipulatoire.

Mais il y a pire …

Deuxième élément : les durées d’absences ne pouvaient/devaient pas être comparées chronologiquement (ante/post 2020) !

Autant l’intention de rester dans un flou certain, ouvrant la porte à un certain opportunisme d’interprétation, n’est pas d’une absolue évidence, autant il n’y aura aucun doute possible quant à l’intention manifeste d’escamoter l’élément important dont il est question ici.

Cela est donc toujours une conséquence de l’élément central : en 2019 les enquêtes emplois de l’INSEE ont subi une réforme pour s’aligner sur les standards des enquêtes de l’UE, une réforme appliquée à partir de 2020. Avec comme conséquence ce que la DGAFP avait indiqué de façon claire sur son graphique des durées d’absence (par des lignes pointillées et des notes claires) : les données ne pouvaient plus être comparées entre celles d’avant et après 2020. Or les auteurs de l’IGF/IGAS ont sciemment escamoté cette indication pourtant essentielle, et de façon évidente : ils ont reproduit le même graphique précédemment cité (la forme un peu différente mais avec les mêmes données) de la DGAFP, mais en faisant disparaitre à la fois les pointillés et l’indication importante. Pire, ils n’ont donc évidemment pas tenu compte de cette indication dans la suite de leur rapport, qui d’ailleurs n’aura quasiment plus eu lieu d’être.

En précisant qu’en cherchant bien, on trouve des documents qui indiquent que des « rétropolations » (adaptations des données en tenant compte des changement dus à la réforme) n’avaient pas été possibles, justement.

De plus, et pour résumer, les changements faisant suite à cette réforme ont  consister à comptabiliser certaines absences qui étaient désormais considérées pour « raisons de santé » quand elles ne l’étaient pas avant, ce qui a eu comme conséquence de faire augmenter les durées d’absences pour les femmes, mais aussi celles pour les personnels les plus âgés. Or il y a un taux beaucoup plus important de femmes dans la FP que dans le secteur privé (63 % contre 47 % !), et une moyenne d’âge d’entre 3 et 4 ans supérieure dans la FP, on comprend que les durées moyennes d’absences dans la FP auront alors mécaniquement – logiquement – augmenté par rapport au secteur privé du simple fait de cette réforme de ces enquêtes emplois de l’INSEE. D’où, donc et toutes rigueur et logique nécessaires, cette indication claire de la part de la DGAFP de ne pas comparer les données chronologiquement, et ce qu’auront ainsi caché volontairement les rapporteurs de l’IGF/IGAS … Cela implique une mise en cause de l’intégrité de ces rapporteurs, dont ils devraient répondre.

En faisant remarquer un corolaire de ce qui vient d’être expliqué : de par les différences de structures entre les trois versants de la FP et le secteur privé, le fait que les durées moyennes d’absences pour raisons de santé avait été similaires avant 2020 (et donc avant la période Covid) était purement fortuit. Le fait que la prise en compte d’autres types d’absence - dont la prévalence dépend des effets de structure des secteurs considérés – fasse diverger ensuite ces valeurs moyennes n’est donc pas du tout anormal. Faire croire le contraire revient à considérer que la réforme des enquêtes emploi de l’INSEE n’auraient eu aucune incidence sur l’évolution des durées d’absences, ce qui est donc réprouvé par la DGAFP, et par les changements factuels liés à cette réforme.

Un billet qui explique ce point avec les graphiques :

https://blogs.mediapart.fr/eric-saizeau/blog/021224/les-manipulations-de-kasbarian-pour-les-nuls-e1-la-ligne-oubliee

Evidemment, G. Kasbarian aura ainsi comparé les durées d’absence avant et après 2020, en insistant ainsi sur ce qu’il présentait comme une anormalité dans leur augmentation dans la FP, faisant ainsi plus qu’un biais, une erreur, dont on peut se demander s’il pouvait ne pas en avoir conscience … Et en faisant remarquer qu’il y avait en plus cet énorme biais suivant : le ministre avait comparé les augmentations d’absences entre 2015 et 2023, en ne tenant en plus pas compte de l’augmentation des effectifs de la FP entre ces deux dates !

Il a fait l’étalage de ces manipulations dans par exemple son intervention sur RMC le 18 novembre 2024, dont j’avais fait l’analyse ici :

https://blogs.mediapart.fr/eric-saizeau/blog/221124/interview-de-g-kasbarian-le-18-novembre-sur-rmc-la-grosse-manipulation

Voir publis (billets) plus exhaustives dans les liens, notamment avec les détails relatifs à la réforme de ces enquêtes emploi, et la façon dont les rapporteurs l’ont présentée (car oui ils y ont fait allusion). Mais aussi sur d’autres points comme les modélisations triviales (de niveau seconde/première) faites sur les impacts de changements de paramètres d’indemnisation des arrêts maladies (jours de carence, « taux de remplacement ») en « omettant » de prendre en compte des points importants, ce qui aura amené à ce qu’une des conclusions aura été erronée dans la comparaison des pertes financières entre public et privé. Mais aussi  sur les estimations des gains financiers, qui se basent sur les mêmes données que celles utilisées par la Cour des Comptes à l’occasion d’un rapport sur le coût des absences des fonctionnaires, mais sans les mêmes précautions d’interprétation (non prise en compte des primes/indemnités ne faisant pas partie de l’assiette de remboursement). Et entre autres choses encore.

Bref, votre syndicat devrait comprendre – si ce n’est déjà fait – que de tels éléments très justement à charge auraient dû être opposés aux manipulations du gouvernement à l’époque, et donc surtout à travers G. Kasbarian qui aura été le principal auteur. Si tel avait été le cas, cela aurait permis de présenter la mobilisation faite comme une réaction justifiée au vu d’attaques basées finalement sur des contrevérités et manipulations dont les rapporteurs de l’IGF/IGAS sont en grande partie responsables. Au contraire les mobilisations auront plutôt été perçues comme des réactions de la part de privilégiés qui voulaient défendre leurs avantages injustifiés …

J’ose espérer que vous comprendrez qu’il n’est a priori pas trop tard pour que les syndicats de fonctionnaires utilisent cet argumentaire comme levier important pour appuyer une abrogation de la mesure.

En restant à disposition si besoin, et s’il fallait par exemple remette enforme certains exposés, et dans l’attente surtout d’une réponse de votre part.

Cordialement.

Eric Saizeau, enseignant PLP maths-sciences

Liens :

Le « billet principal » exhaustif (devant probablement être complété si devant être utilisé) :

https://blogs.mediapart.fr/eric-saizeau/blog/031124/les-manipulations-chiffrees-de-g-kasbarian-sur-les-absences-dans-la-fp

L’analyse des modélisations des rapporteurs pour comparer les effets des alignements (partiels) public/privé, mais aussi concernant les estimations faites des gains pour les finances publiques :

https://blogs.mediapart.fr/eric-saizeau/blog/241124/comparatif-mesures-dindemnisation-publicprive-les-imprecisions-de-ligfigas

Un « réapitulatif » :

https://blogs.mediapart.fr/eric-saizeau/blog/301124/manipulations-sur-les-absences-des-fonctionnaires-recapitulatif-et-mise-jour

PS : G Kasbarian avait de la même façon manipulé, de façon plus crasse encore, au sujet de la GIPA, notamment lors de son audition à la commission des lois, en usant d’un pseudo argumentaire – très court mais dense – que même l’IFRAP n’avait pas osé faire. Malgré cela, cette audition n’avait suscité AUCUNE réaction syndicale, avec d’ailleurs des syndicats de fonctionnaires qui n’auront pas été plus que cela motivés pour défendre la fin de cette GIPA. Non pas qu’il aurait fallu tout faire pour garder cette GIPA devenue inadaptée de par la politique de rémunérations par primes/indemnités de l’Etat, mais il aurait fallu une contrepartie ou une transformation du mode de calcul de cette GIPA ‘préconisée par la CC il y a quelques années déjà) et en tous les cas pouvoir continuer à préserver le pouvoir d’achat de ceux qui en bénéficiaient le plus et de façon la plus légitime qui soit. Avec cette suppression pure et simple, le gouvernement a aussi cassé un thermomètre de la paupérisation salariale des fonctionnaires en général – plus encore de celle des enseignants – en plus de pouvoir faire de grosses économies sur les GIPA 2024 et 2025 en augmentations exponentielles …

Un billet exhaustif sur le sujet ici :

https://blogs.mediapart.fr/eric-saizeau/blog/271024/les-arguments-de-guillaume-kasbarian-pour-la-suppression-de-la-gipa-la-manipulation

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