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Billet de blog 5 octobre 2025

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Borne : une ministre pour une Ecole qui coule

Le maintien d'E. Borne à l'Education nationale récompense sa capacité personnelle à accepter le délabrement budgétaire de l'Education nationale. C'est à cela qu'il faut s'attendre pour 2026, avec ou sans elle. Car son maintien rue de Grenelle est loin d'être assuré.

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Une ministre dans l'attente du budget Lecornu

Illustration 1
E Borne le 27 août 2025 © Flux vidéo du MEN

On aura au moins gagné en clarté. L'Education nationale ne participe pas à la valse des portefeuilles qui a vu se succéder, depuis 2024, cinq ministres de l'Education nationale. En place depuis le 23 décembre 2024, même au 1er rang de l'ordre protocolaire, E. Borne a avalé toutes les couleuvres budgétaires tout en restant fidèle aux orientations éducatives présidentielles. C'est à peine si elle a égratigné quelques décisions de G. Attal. C'est cette souplesse qui est récompensée. Pour autant son maintien n'est pas assuré tant ce gouvernement semble être le dernier tour de piste d'un macronisme déclinant.

Tout en affirmant que "il nous faut plus que jamais investir dans notre jeunesse" et en promettant "des moyens préservés" pour l'Education nationale, il est clair que la ministre s'apprête à voir à nouveau réduire son budget.

On reste dans l'attente du budget Lecornu. Mais on peut estimer qu'il se traduira, pour les dépenses publiques, par un peu moins qu'une année blanche en allant un peu plus loin que le plan Bayrou. La difficulté de l'année blanche est triple. Il faut trouver le financement de l'avancement automatique des agents (le glissement vieillesse technicité GVT). Il représente environ 400 millions à l'éducation nationale. Il faut payer le coût de la réforme des élèves professeurs, probablement un peu moins de 100 millions. Et il faut résister aux pressions des catégories. L'encadrement, par exemple, sait très bien défendre ses intérêts.

L'Education nationale est capable de construire un tel budget d'austérité. D'abord en supprimant des emplois. Bayrou voulait en faire disparaitre 3000 dans la Fonction publique. Le gouvernement Lecornu pourrait aller plus loin. Surtout l'analyse de ses comptes montre la haute technicité de la rue de Grenelle pour dégager des moyens. L'épisode de 2024 rappelle que, cette année là, elle a réussi à dégager un milliard pour répondre aux 700 millions retirés brutalement par Bercy et à des dépenses inattendues. Il n'est pas exclu qu'elle ait à redoubler cet exploit.

C'est qu'il y a une majorité à l'Assemblée pour réduire le budget de l'éducation en supprimant des postes. La séance tenue le 17 septembre devant la Commission de l'éducation de l'Assemblée nationale l'atteste. Rappelons les interventions de l'extrême droite, de la droite et des macronistes. R. Chudeau (RN) : " Depuis 2017, le gouvernement a augmenté de 24% le budget de l'éducation nationale. Donc les moyens sont abondants. Plus il y a de moyens moins il y a de résultats. Comment expliquer ce paradoxe ?". Alexandre Portier (LR), maintenant président de la même Commission : "il y a 100 000 élèves de moins. Est-il légitime de demander des postes ?". Continuons avec J Patrier-Leitus (Horizon) : "On a revalorisé comme personne ne l'a fait". Quant à A. Genetet (EPR), ancienne ministre, elle demande "comment mieux utiliser les moyens existants". Il n'y a donc rien à attendre sur le terrain des moyens de cette majorité. E. Borne le sait et elle l'accepte.

Le trésor de la baisse démographique

Tous attendent de piocher dans le trésor de la baisse démographique. On attend 90 700 élèves en moins dans le premier degré à la rentrée 2025 et 116 800 à la rentrée 2026 selon la Depp. Dans le second degré, la baisse est plus difficile à évaluer. Elle serait d'environ 10 000 élèves à la rentrée 2025 et environ 40 000 à la rentrée 2026. On pourrait utiliser cette opportunité pour réduire la taille des classes qui sont les plus chargées d'Europe. Mais on ne le fera pas. Il est probable qu'on l'utilisera pour supprimer des postes et encore plus d'emplois. Pour 2026, le ministère pourrait espérer récupérer environ 9000 postes. Même si un récent rapport de l'IPP assure que diminuer le nombre d'enseignants en suivant la baisse démographique est une mauvaise idée, au vu des débats parlementaires.

A partir de 2027, le gouvernement Bayrou souhaitait appliquer la règle d'un poste supprimé pour 3 départs en retraite. On a compté environ 20 000 départs en retraite d'enseignants en 2023 et 3000 de non enseignants. On peut prévoir 7700 à 10 000 postes qui pourraient être supprimés par an si le gouvernement applique sa règle au budget 2027 pour ce motif.  S'il l'applique dès 2026, on dégagerait, avec cet apport supplémentaire, un milliard d'économies.

Ce mouvement semble avoir été anticipé par le ministère ces dernières semaines. Selon les syndicats, on compte au moins 5000 fermetures de classes dans le premier degré. Dans le second degré les dotations horaires subissent des baisses. Un peu partout on trouve des collégiens sans place en lycée, des lycéens qui n'ont pas la spécialité demandée, des contractuels licenciés secs, des services enseignants modifiés sur plusieurs établissements.

Mais au final dans ce jeu là il y a des perdants. Et dans un ministère où 90% des dépenses sont des salaires, le seul poste d'économies ce sont les personnels. Quand l'argent manque, le ministère paye mal les personnels et rabote sur les frais de déplacement, les heures supplémentaires HSE et le Pacte. Il dégrade l'offre éducative en supprimant des postes de contractuels. En 2024 il n'a pas hésité à puiser même dans les fonds sociaux. C'est ce qui se prépare si on en juge par les nombreuses fermetures de classe ordonnées après la rentrée.

L'éducation nationale est déjà sous financée

Dans Regards sur l'éducation, publié en début d'année scolaire, l'OCDE a pourtant pointé le sous financement de l'Education en France, relevant que " la part consacrée à l’éducation a reculé de 8,3 % à 8,0 % des budgets publics" de 2015 à 2022. Le cout salarial des enseignants par élève est parmi les plus bas des pays de l'OCDE. est en France de 2961 $ en France dans le premier degré contre 5280 en Espagne, 5876 en Allemagne, 3539 au Japon, 3993 en moyenne dans l'OCDE. Nos salaires sont au niveau de ceux de la Bulgarie ou du Chili. Indignes d'un grand pays développé. A cela deux raisons : des salaires enseignants bas et des classes plus chargées que dans les autres pays. Revenons aux salaires des enseignants, à 15 ans d'ancienneté, un enseignant français perçoit (en $ en parité de pouvoir d'achat) 49 462 $ dans le premier degré, 53 086 $ au collège et autant au lycée. La moyenne OCDE est relativement de 59 673$,61 563$ et 63 925$. Mais si on regarde dans les autres grands pays développés, comparons avec les pays que l'on oppose souvent à notre système "couteux". Un enseignant allemand gagne 95 657$ à l'école, 113 544$ au collège et 107 497$ au lycée. Un professeur américain touche 72 721$ à l'école, 76 221 au collège et 76 442au lycée. Notre niveau de salaire est celui de la Roumanie ou du Chili.

L'éducation nationale en déclin

Depuis 2024, le budget de l'Education nationale est victime de coups de rabot inattendus et violents de gouvernements incapables de gérer le pays. A chaque fois, le ministère trouve des solutions en dégradant un peu plus l'offre éducative. Et chaque année, on redémarre un peu plus loin de la loi de finances et un peu plus bas.

Le budget de l'éducation nationale est entré dans une sinistre spirale déflationniste. Alors que l'école privée s'appuie sur des fonds privés et sur de larges subventions des collectivités locales, d'année en année, l'école publique réduit son envergure. D'année en année ses résultats s'en ressentent et la confiance des parents s'érode. D'année en année le fossé se creuse entre une école sous financée qui collecte les publics difficiles et une école privée sur financée qui réunit les plus favorisés. Les difficultés de l'école publique sont exploitées par ceux là même qui fabriquent cette crise pour la mettre à mal et vanter l'école libérale "autonome". Sans une inversion de tendance, nous verrons à courte échéance cette vague submerger l'école publique. Et ce n'est pas E. Borne qui fera barrage.

François Jarraud

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