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Billet de blog 16 octobre 2025

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Budget 2026 : Nouvelle dégradation de l'offre éducative

Plus de 4000 postes d'enseignants sont supprimés au budget 2026. C'est à ce prix que le ministère s'entête à mettre en place la réforme de la formation initiale. Le budget marque aussi l'orientation gouvernementale d'utiliser la baisse démographique pour faire des économies plutôt qu'améliorer le système éducatif. Qui sauvera le budget de l'Ecole ?

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4000 postes d'enseignants supprimés

Illustration 1
"Bleu budgétaire" de la mission éducation 2026 © Ministère des finances

La baisse du nombre d'enseignants est bien dissimulée dans la communication gouvernementale. Mais dès la publication du projet de loi de finances 2026, il était évident que la hausse de seulement 200 millions dans un budget de l'éducation nationale qui monte à 64.5 milliards (hors pensions), était insuffisante. Le seul "glissement vieillesse technicité", c'est à dire l'augmentation automatique de la masse salariale du fait de l'ancienneté et des promotions, augmente automatiquement le budget 2025 de près de 400 millions. Il apparait évident que des économies fortes sont faites sur les emplois (90% du budget).

L'annonce gouvernementale de 5440 emplois (ETP) supplémentaires à l'Education nationale cachait forcément quelque chose. Sur ces 5400 emplois nouveaux, on apprend qu'il y a 2 614 nouveaux postes d'assistants d'éducation (les anciens surveillants). En fait, c'est un simple transfert comptable de ces personnels qui passent du budget de leur établissement sur le "titre 2", c'est à dire les emplois officiels de l'Education nationale (EN). Il y a 2 614 emplois nouveaux mais pas plus d'AED devant les élèves. Restait 2826 nouveaux postes. Or c'est forcément trop peu alors que le gouvernement met en place une réforme de la formation initiale qui considère comme fonctionnaires stagiaires les étudiants de M1. Il apparait évident que le complément doit être trouvé en supprimant des postes d'enseignants devant élèves. Dans un premier temps, j'ai estimé que 5 500 postes seraient supprimés. MC Corbier, des Echos, calculait 4600 suppressions de postes d'enseignants.

La publication du "bleu budgétaire", le document officiel des dépenses de l'Education nationale dans le budget 2026, permet de passer des estimations aux chiffres réels. Le bleu confirme que 2026 verra la suppression de nombreux postes d'enseignants, affaiblissant encore l'Education nationale.

Selon les chiffres officiels de Bercy, 4018 postes d'enseignants (ETP) sont supprimés dans le budget 2026. C'est à dire 1891 dans le premier degré, 1365 dans le second degré et 762 dans l'enseignement privé sous contrat.

Parallèlement, 3506 postes d'enseignants stagiaires en formation sont ouverts dans le 1er degré, 3424 apparaissent dans le 2d degré ainsi que 190 postes de CPE stagiaires. La réforme de la formation initiale nécessite 7120 emplois nouveaux (ETP).

Utiliser la baisse démographique pour récupérer des emplois

"L’évolution des emplois du ministère chargé de l’Éducation nationale (+5 440 ETP en 2026 hors opérateurs) intègre la baisse prévisionnelle du nombre d’élèves", dit le dossier de presse gouvernemental. Plutôt que financer sa réforme de la formation initiale, le gouvernement fait le choix d'utiliser la baisse démographique pour supprimer des postes. On attend 90 700 élèves en moins dans le premier degré à la rentrée 2025 et 116 800 à la rentrée 2026 selon la Depp. Dans le second degré, la baisse est plus difficile à évaluer. Elle serait d'environ 10 000 élèves à la rentrée 2025 et environ 40 000 à la rentrée 2026. Au total cela correspond à 4100 postes dans le premier degré à la rentrée 2025 et environ un millier dans le second, nettement plus à la rentrée 2026. Ce choix n'est pas évident. La très récente publication de Regards sur l'éducation, une publication OCDE, montre que les classes françaises sont parmi les plus chargées, au niveau de la Colombie ou de la Bulgarie.  Un récent rapport de l'IPP assure que diminuer le nombre d'enseignants en suivant la baisse démographique serait une mauvaise idée même sur le plan de la rentabilité. Mais c'est bien le chemin qu'emprunte le gouvernement.

Des choix anti sociaux

Il y a d'autres choix qui interrogent dans le budget éducation. On constate une baisse continue des emplois administratifs dans les établissements alors que les postes "de pilotage" augmentent. Ainsi, dans le 2d degré, on va dépasser les 2000 emplois d'inspecteurs. Ils n'était que 1800 en 2017.

Plus choquant. Les fonds sociaux sont encore prélevés en 2026. "Parallèlement aux aides sociales à la scolarité, attribuées sur critères définis nationalement, des enveloppes de fonds sociaux sont versées aux établissements pour apporter une aide exceptionnelle aux familles défavorisées qui en ont le plus besoin", explique le bleu budgétaire. "Le recours aux fonds sociaux fait l’objet, en lien avec les conséquences de la crise sanitaire et, plus largement, dans le cadre du plan « égalité des chances », d’une sensibilisation forte et continue du MENESR". C'est sans doute pour cela que cette aide vitale (au sens propre) passe de 49 millions au budget 2025 à 47 millions dans celui de 2026.

Le gouvernement rogne aussi sur le Pass culture, un dispositif qui permet aux enseignants d'organiser des visites scolaires. Le budget 2025 créditait 72 millions. Le budget 206 affiche 62 millions. Pour que la baisse soit possible, un projet de décret prévoit qu'au lieu d'une somme fixe par élève, les établissements touchent une partie du budget décidé. Ainsi disparait un droit pour les élèves et une possibilité d'action culturelle pour les enseignants.

Enfin, parmi les opérateurs de l'Education nationale, Canopé est particulièrement visé. Cet opérateur "pédagogique" voit le nombre de ses emplois passer de 1305 ETPT à 1192.

Les crédits de formation divisés par deux

Le budget 2026 voit également un véritable effondrement des crédits de formation. Dans le 1er degré, on passe de 987 millions à 418. Dans le second degré c'est pire : de 781 millions les crédits deviennent 289 millions. Au total, les crédits de formation sont réduits de 1.1 milliard.

Cela n'aura pas grand effet sur le terrain. D'abord parce que l'enquête Talis (OCDE) montre que les enseignants français sont les plus mécontents de leur formation. Seulement 53% des enseignants débutants estiment que leur formation est de haut niveau, le taux le plus bas de tous les pays de l'OCDE. Seulement 35% des enseignants ont participé à une formation jugée efficace au cours des 12 derniers mois. La moyenne des pays de l'OCDE est à 55%.

Ensuite parce que ces crédits étaient déjà largement siphonnés par le ministère pour d'autres dépenses. Ainsi, en 2024, 1.2 milliard ont été pris sur la formation pour faire face au gel de 700 millions décidé par le gouvernement et à des factures imprévues. Cela a fait réagir la Cour des Comptes et la droite sénatoriale. Et le ministère se plie à leur demande. Mais en 2026 il n'a plus cette issue en cas de nouveau gel subit de dépenses.

Un signal politique et un impact de classe

Supprimer 4000 emplois d'enseignants n'est évidemment pas un bon signal envoyé aux acteurs de l'Ecole. Mais ces suppressions ne disent pas grand chose de la réalité vécue dans les classes. Elles sont d'abord un clair signal politique que le l'Education entre dans les ministères que l'on peut ouvertement pressurer. Elles sont le signal de nouvelles baisses dans les années à venir, au fil de la chute démographique.

L'impact dans les classes doit tenir compte du fait qu'il y a maintenant deux types d'emplois dans l'éducation nationale. Des emplois qui restent gérés par un système bureaucratique. Ce sont les 4000 postes supprimés. Et des emplois qui dépendent directement du marché du travail. On compte déjà 7% de contractuels dans l'éducation nationale. Une proportion qui a doublé sous E. Macron. Cette masse de contractuels amortit en premier les crises budgétaires. Ce sont des emplois qu'on peut supprimer dès qu'il faut dégager des moyens. Envoyés davantage dans les écoles et établissements populaires, leur variation transforme les économies gouvernementales en inégalités éducatives sociales. Plus qu'un impact dans les classes, le budget 2026 aura un impact de classe.

Depuis 2024, le budget de l'Education nationale est victime de coups de rabot inattendus et violents de gouvernements incapables de gérer le pays. A chaque fois, le ministère trouve des solutions en dégradant un peu plus l'offre éducative. Et chaque année, on redémarre un peu plus bas. On descend une marche de budget a budget.

Le budget de l'éducation nationale est entré dans une sinistre spirale déflationniste. Alors que l'école privée s'appuie sur des fonds privés et sur de larges subventions des collectivités locales, d'année en année, l'école publique réduit son envergure. D'année en année ses résultats s'en ressentent et la confiance des parents s'érode. D'année en année le fossé se creuse entre une école sous financée qui collecte les publics difficiles et une école privée sur financée qui réunit les plus favorisés. Les difficultés de l'école publique sont exploitées par ceux là même qui fabriquent cette crise pour la mettre à mal et vanter l'école libérale "autonome". Sans une inversion de tendance, nous verrons à courte échéance cette vague submerger l'école publique.

Qui peut sauver le budget de l'Ecole ?

Pourtant, il est facile de démontrer que l'école française est sous financée. C'est une des leçons tirée par l'OCDE dans Regards sur l'éducation. L'OCDE pointe le retrait relatif de la dépense d'éducation. " Bien que les dépenses par élève, de l’enseignement élémentaire à l’enseignement supérieur (y compris la recherche et développement), aient augmenté en moyenne dans les pays de l’OCDE entre 2015 et 2022 en termes réels (de 11 955 USD à 13 210 USD), les dépenses publiques d’éducation ont diminué en termes relatifs, passant de 10,9 % des budgets publics à 10,1 %. Cela suggère que la priorité relative accordée à l’éducation dans l’ensemble des dépenses publiques a diminué dans l’OCDE. En France, les dépenses par élève sont passées de 13 898 USD à 14 794 USD, tandis que la part consacrée à l’éducation a reculé de 8,3 % à 8,0 % des budgets publics sur cette période". Le cout salarial par élève est en France de 2961 $ dans le premier degré contre 5280 en Espagne, 5876 en Allemagne, 3539 au Japon, 3993 en moyenne dans l'OCDE. Indigne d'un grand pays développé. A cela deux raisons : des salaires enseignants bas et des classes plus chargées que dans les autres pays.

La nouvelle situation politique donne la possibilité aux parlementaires de relever le budget de l'éducation nationale, remettre à flot les dépenses sociales et utiliser la chute démographique pour améliorer les taux d'encadrement des élèves et réduire l'emploi contractuel.

Mais pour faire cela il faut une majorité en faveur de l'Ecole. En septembre, la commission de la Culture de l'Assemblée nationale a écouté les représentants syndicaux de l'éducation demander un effort budgétaire pour l'Ecole. Ils ont été soutenus à gauche. Mais se sont heurtés à de clairs refus à l'extrême droite et à droite. Quant aux macronistes, ils invitaient les enseignants à faire mieux avec les mêmes moyens. La majorité parlementaire semble pencher contre l'Ecole.

François Jarraud

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