« Le contexte politique ne doit pas impacter cette rentrée, préparée depuis plusieurs mois », déclare Nicole Belloubet devant les recteurs le 26 août. Pour la première fois sans ministre en exercice, la rentrée scolaire est pourtant suspendue aux choix politiques.
Un budget insuffisant

Premier choix : le budget. Après le prélèvement de 10 milliards qui a eu lieu au printemps, dont 700 millions pour l'Education nationale, G. Attal a annoncé un budget 2025 pour les ministères à la hauteur de celui de 2024. Cela peut sembler une bonne nouvelle. Mais ce n'est pas le cas.
En 2024, avant prélèvement, le budget de l'Education nationale était de 64,2 milliards. Le maintien annoncé ne permettra pas de faire face aux dépenses obligatoires du ministère. En effet, la masse salariale, qui correspond à 90% des dépenses à l'Education nationale, a sa propre dynamique. Par le jeu de l'ancienneté et des promotions, elle croit de près de 400 millions chaque année. Maintenir le budget au niveau de 2024 c'est déjà perdre la capacité de financer 8000 emplois, soit presque une année de recrutement dans le 1er degré. Il y a un an, la loi de finances 2024 prévoyait d'augmenter d'un milliard le budget en 2025 (65.1 Mds). Ce milliard va manquer à l'Ecole.
Une crise du recrutement aggravée
Mais stabiliser aussi le budget c'est aussi interdire toute amélioration salariale. Or la dévalorisation salariale est le premier facteur de la crise du recrutement. L'ouvrage En quête d'enseignants, dirigé par G Farges et L Szerdahelvi (Le sens social) met en évidence la concurrence entre l'éducation et les autres métiers. « Seule une réelle revalorisation de la profession... ainsi que des conditions de travail... sera à même de répondre à cette situation problématique » (du recrutement), concluaient les auteurs.
À cette rentrée 2024, 1583 postes n'ont pas été pourvus dans le premier degré, principalement dans les académies de Versailles, Créteil et la Guyane, trois académies qui ont de nombreuses écoles en éducation prioritaires. Dans le second degré, 635 postes restent vacants aux concours de certifiés, 101 à l'agrégation. Il s'agit en premier lieu de professeurs de maths et de lettres, les deux disciplines où les besoins augmentent du fait du « Choc des savoirs ».
Même si la baisse démographique est sensible dans le 1er degré (-55500 élèves à la rentrée 2024), la chute du nombre d'entrants se traduit par des suppressions de classes et des tensions dans les établissements. A la rentrée 2024, 2251 fermetures de classes sont annoncées dans le premier degré. Un nombre qui pourrait encore évoluer sous la pression des politiques et des parents. Mais globalement, après plusieurs années de pertes de postes aux concours, de hausse des démissions, le ministère met de plus en plus de professeurs contractuels face aux élèves. Ils ont doublé sous Macron, passant de 4000 à plus de 9000 depuis 2017 dans le premier degré.
La normalisation pédagogique en marche
Le second choix est pédagogique. Dans sa circulaire de rentrée, publiée le 27 juin, N. Belloubet demande, pour le primaire, « une nouvelle méthode d'enseigner les mathématiques et le français ». « Seule la pratique quotidienne, soutenue et systématique, à chaque niveau de l’école élémentaire, de la lecture et de l’écriture de lettres, de mots, puis de phrases et enfin de textes d’une longueur croissante, peut permettre de réduire les écarts scolaires », écrit-elle, comme si les enseignants faisaient autre chose en classe !
Le vrai changement est annoncé : c'est la labellisation des manuels scolaires du primaire, au moins pour le français. Selon la circulaire, « elle permettra, sans être une condition obligatoire, de guider les professeurs dans le choix des manuels ». Il n'y a aucun doute que la hiérarchie impose les manuels désignés par le ministère. Or , selon la récente Note du CSEN de juin 2024, les manuels jugés bons par ce service ministériel (« méthode synthétique stricte ») ne sont actuellement choisis que par 5% des enseignants. La labellisation aura donc des conséquences sur la liberté des enseignants et aussi sur le marché de l'édition. Elle n'a pas été annulée à ce jour.
Le second degré sous le « choc des savoirs »
Dans le 2d degré, le Choc des savoirs devait se traduire par la mise en place de groupes de niveau, même si N. Belloubet parlait de « groupes de besoin ». Dans le flou politique actuelle, les groupes de niveau ne devraient pas être imposés partout. Selon le degré de résistance des enseignants, des groupes hétérogènes ou pas seront mis en place. Leur avenir va dépendre directement de l'évolution politique.
En attendant , ce qui est commun aux collèges c'est que ces groupes ont été financés aux dépens d'autres dispositifs. L'offre pédagogique des établissements, les emplois du temps des enseignants, leur liberté pédagogique sont affectés par ce choix du prince. La rentrée voit aussi la mise en place de classes de « prépa lycée » en expérimentation. Là aussi leur avenir va dépendre du choix gouvernemental.
Imposées aux élèves en difficulté, avec un horaire scolaire abaissé, ces classes pourraient faciliter le décrochage. La « stratégie Pisa » voulue par G. Attal dans sa dernière lettre aux députés semble se réduire à l'écrémage social des classes de 2de pour améliorer les statistiques. Au lycée professionnel, la réforme est maintenue. Elle se traduit surtout par " l’accélération de l’évolution de la carte des formations professionnelles initiales", c'est à dire la disparition de sections au profit de l'apprentissage.
La privatisation de l'Ecole ciment de la future majorité ?
Pour cette rentrée sans ministre en exercice, l'avenir de l'Ecole va dépendre du choix présidentiel pour le nouveau gouvernement. Le Nouveau Front Populaire (NFP) promettait l'abolition du « Choc des savoirs », la mixité sociale des établissements, la revalorisation des enseignants et une politique éducative ambitieuse. Malgré son résultat aux législatives, on assiste à la construction d'une union des macronistes et des droites.
Cette hypothèse conduirait à un autre avenir pour l'Ecole. On assiste à une vraie convergence sur l'Ecole des macronistes à l'extrême droite. Selon ses déclarations, le RN ne remettra pas en question les groupes de niveau. Il validera la nouvelle évaluation du brevet, dont il fera par contre un examen d'entrée en lycée. Le RN est pour la labellisation des manuels scolaires, tout comme les Républicains avec comme objectif commun le controle des pratiques pédagogiques des enseignants. La « nouvelle méthode d'enseigner » le français et les maths à l'école primaire ne posera pas plus de problèmes. il n'y a pas d'opposition entre les choix d'E Macron et les options des Républicains ou du RN, comme nous l'avons expliqué ici. Il n'y a pas plus de différence dans l'évolution du métier enseignant, qui reste la grande réforme en panne.
Rarement une rentrée aura été aussi politique. L'Ecole est à la veille d'une grande révolution libérale. Macron voulait des établissements scolaires dirigés par des chefs embauchant et payant les enseignants. C'est le modèle recommandé par la technostructure dans l'institution. C'est aussi ce que veulent les Républicains, avec la loi Brisson. C'est aussi le choix du R.N. Pour l'Ecole, alors que le pouvoir cherche une majorité, cette convergence pour détruire l'Ecole républicaine est l'angoisse de la rentrée.
François Jarraud