En complément à ma réponse du 14 mai 2025 :
https://blogs.mediapart.fr/frederic-debomy/blog/140525/une-reaction-lune-de-mes-reactions
Cher Marc Knobel, je l'écrivais dans un billet précédent, celui-ci
, je ne suis pas familier de vos positions. J'ai cependant jeté un œil (c'est évidemment insuffisant) sur le Net depuis que vous m'avez mal cité et j'ai trouvé, notamment, un article où vous remarquiez que certains militants s’indignaient plus facilement du sort fait aux Palestiniens que du sort fait à d’autres populations également souffrantes, et je vous rejoins là-dessus.
Cela fait en effet longtemps que, moi aussi, j'ai noté que ceux qui se manifestaient pour la Palestine ne se manifestaient pas nécessairement contre d’autres injustices d’ampleur, ce qui m'a toujours mis mal à l'aise. Parce que cela est, dans le meilleur des cas, une manifestation d'un triste phénomène, celui des indignations sélectives, où l'on estime qu'il y a des causes qui devraient mobiliser tout le monde au nom de notre commune humanité et d'autres... non.
Dans les pires cas, la solidarité envers les Palestiniens exprime autre chose : un antisémitisme rentré. Il est impossible de le nier puisque, parfois, de rentré, il déborde.
Vous avez écrit, comme d'autres, que c'est ce contexte qui expliquait le retard de personnalités juives à s'indigner de l'action du gouvernement israélien à Gaza.
Je veux bien ne pas balayer cet argument du revers de la main tant les juifs, et encore si récemment, ont souffert. N'étant pas de ceux qui ont été privés de leurs grands-parents par l'abomination que fut la Shoah, je ne peux qu'imaginer, imparfaitement, ce que remuent intimement des expressions d'antisémitisme comme celles qui se sont manifestées dernièrement.
Je vous rejoins également sur le fait que dans un tel contexte les responsables politiques, surtout de premier plan, doivent maîtriser leur vocabulaire et que Jean-Luc Mélenchon, sur ce plan, a parfois failli.
https://www.mediapart.fr/journal/france/200624/l-antisemitisme-fleau-et-piege-de-campagne
Mais si, de ce côté que vous qualifiez de "propalestinien", on est parfois aptes à le regretter (et ceux qui n'en sont pas capables ont assurément tort), il serait bon que de l'autre côté - puisque, donc, vous posez les choses en logiques de camp - on admette ce que dit Claude Askolovitch, à savoir que "c’est dans les gauches, y compris LFI, que se trouve la plus grande résistance culturelle à l’antisémitisme". Vous le savez d'ailleurs à coup sûr, puisque vous avez été associé aux travaux de la CNCDH.
Je citais Claude Askolovitch ici :
https://blogs.mediapart.fr/frederic-debomy/blog/090525/joann-sfar-un-massacre-et-le-poids-des-mots
Vous pourriez me dire : "Vous me parlez de sortir des logiques de camp mais vous n'aviez pas écrit de billet après les attentats du 7 octobre 2023."
C'est vrai, de même que je ne suis pas partout où je le devrais, loin s'en faut (où sommes-nous tous face au manque de financement du Programme alimentaire mondial et à ses conséquences pour plus de victimes de la faim que l’on en trouve actuellement en Palestine ?), et que j'ai tendance à n'écrire que sur des sujets où j'ai un minimum de maîtrise (allez expliquer ça à tous ces éditorialistes qui encombrent les médias...). Alors, pourquoi Gaza mais pas le 7 octobre ? Parce que j'avais observé, après les attentats du Hamas, que cette horreur n' avait pas été accueillie, par notre monde politique et nos médias, avec indifférence (contrairement à ce qu'a pu raconter des mois plus tard une Sophia Aram sachant bien qu'elle rencontrerait le consensus). Certes, j'avais noté que Joann Sfar (non que je suive au jour le jour les élucubrations de cet insatiable bavard) s'était désolé de ne pas nous voir plus nombreux derrière une manifestation du CRIF. Mais enfin, le CRIF, c'est cette organisation dont le dirigeant s'était réjoui de la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle de 2002, parce qu'il y voyait un bon message envoyé aux musulmans de France, et c'est encore, entre autres choses, cette organisation qui avait voulu empêcher Stéphane Hessel, un homme qui s'était opposé au nazisme, avait été torturé par la Gestapo et avait connu les camps, de s'exprimer. Donc non. J'y serais sans doute allé, cependant, si le 7 octobre n'avait pas été accueilli comme il avait été accueilli, c'est-à-dire avec l'effroi et l'empathie nécessaires (sachant cependant qu’il existe heureusement des alternatives au CRIF lorsqu’il s’agit de manifester son refus de l’antisémitisme).
Il n'y a donc rien de "propalestinien", rien de campiste, à finir par prendre ma plume dans un contexte où le massacre de Gaza ne suscite pas le même effroi ni la même empathie (ça vient, mais si tard), et ce en un moment où les victimes étaient déjà bien plus nombreuses que les victimes israéliennes du 7 octobre.
Si ce que vous souhaitez est que les clivages s'estompent, peut-être pourriez-vous faire mieux que de présenter ceux qui ont tant tardé à dire ce qu'il fallait dire comme des figures morales impeccables. Dites les choses : ce fut infiniment tardif et surtout ces personnalités ont participé de la mise à l'index des mouvements "propalestiniens" et c'est, particulièrement en période de massacre, honteux. Surtout quand, ayant tardivement dénoncé le gouvernement israélien comme massacreur, un Joann Sfar continue de présenter les choses... à sa façon.
Car lorsque je vous vois écrire, sur X il y a quatre jours, en commentaire de ces pages que j'ai moi-même commenté,
https://blogs.mediapart.fr/frederic-debomy/blog/120525/sfar-sauver-la-partie-suite-et-fin
"Pleine solidarité avec Joann Sfar qui persiste à défendre la nuance et l'humanisme face aux injonctions des deux camps", comprenez bien que je suis obligé de me poser la question de votre clairvoyance et celle de votre bonne foi.
Le même Sfar évoquant aujourd'hui sur Instagram la mort - ô combien triste, regrettable et scandaleuse, ça va de soi - d'une victime du Hamas pour critiquer mine de rien les artistes du festival de Cannes qui ont réagi à l'horreur de Gaza, vous appelez ça de l'équilibre ? On lit : "Les personnes qui m'écrivent pour me dire leur chagrin, et qui craignent que le visage" de cette femme "ne soit pas sur nos chaînes de télévision, ou n'émeuve pas les artistes du festival de Cannes ont raison" (et il souligne "raison"). Mais fait-il le portrait de chacun des 53 000 Palestiniens déjà assassinés par Benyamin Nétanyahou comme il fait le portrait de cette femme ? Non. C'est ce que j'appelle du faux humanisme, cachant mal son ancrage partisan : sur les victimes du 7 octobre on n'en disait jamais assez (je veux bien mais ai-je entendu Joann Sfar évoquer une seule fois les victimes les plus récentes de la dictature militaire birmane, pourtant plus nombreuses ?) mais lorsque des professionnels du cinéma s'indignent de la mort de 53 000 Palestiniens ils montreraient, laisse-t-il entendre, leur indifférence envers les victimes du Hamas. "Nuance et humanisme"...
Ne peut-on à la fois relever les déclarations de Jean-Luc Mélenchon qui méritent la critique et ne pas verser dans cette fable qui voudrait, comme l'affirme Joann Sfar, que LFI soit "le premier parti antisémite de France" ? Surtout en un moment où des néo-nazis défilent dans Paris?
Votre "camp", je le veux bien, a ses excuses : l'histoire de l'antisémitisme et surtout son présent. Le "mien", si vous insistez pour me mettre dans un camp (je pourrais m'en défendre mais cela prendrait ici trop de temps), a quant à lui ses travers. Mais donc, que tout soit dit, à la fois sans excuse et sans faux-semblant. Et notamment que des juifs, en France et ailleurs, se sont tôt mobilisés pour dénoncer l’action du gouvernement israélien et que d’autres, que vous voudriez voir considérés comme des figures morales exemplaires, n’étaient pas à leurs côtés.
Une chose qui, dans ce contexte, me semblerait saine est qu'aucun juif (mais ce n'est que mon opinion et je ne considère pas que les juifs de France doivent agir en communauté, d'ailleurs ceux qui se "réveillent" imparfaitement aujourd'hui et les signataires de la tribune Frappes sur Gaza : "Vous n’aurez pas le silence des juifs de France" n'ont pas réagi pareillement aux événements que furent le 7 octobre et le début de l'écrasement de Gaza) ne permette aux responsables politiques ou aux personnalités médiatiques qui ont fait de la stigmatisation des musulmans leur cheval de bataille de se revendiquer simultanément du refus de l'antisémitisme.
Cela, je trouve, ne devrait pas plus exister que des musulmans antisémites.
Bref, il y a différents chantiers à entreprendre, loin de tout positionnement "propalestinien" ou "pro" je ne sais quoi. Avec le souci de la dignité humaine, simplement. Pour les juifs, pour les musulmans et pour tout le monde.
Frédéric Debomy