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Billet de blog 30 août 2013

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Vendredi-Club (2): la preuve par la Syrie

La preuve, le retour. C’est une chanson que Mediapart a entendu pendant des mois au sujet de l’affaire Cahuzac. Elle revient en force avec le massacre à l’arme chimique survenu mercredi 21 août dans les faubourgs de Damas.

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La preuve, le retour. C’est une chanson que Mediapart a entendu pendant des mois au sujet de l’affaire Cahuzac. Elle revient en force avec le massacre à l’arme chimique survenu mercredi 21 août dans les faubourgs de Damas.

Le 22, un article de Caroline Donati rapporte le témoignage d’un médecin sur place, qui lui décrit « les bombardements de vaste ampleur sur toute la banlieue de la Ghouta, qui commencent à 3 heures du matin ». « Selon le comité de coordination de la localité, l’aviation de l’armée syrienne a largué dans la nuit 15 obus chargés de gaz mortels sur cette banlieue de plus d'un million d'habitants », peut déjà écrire Caroline, qui poursuivra son enquête.

Dès le samedi 24 août, une lettre ouverte à François Hollande affirme que « le régime syrien, au mépris de toutes les mises en garde internationales, de toutes les normes du droit, de toutes les valeurs humaines, a froidement ordonné l'assassinat de plus de mille de ses compatriotes en quelques minutes, par le tir de missiles munis de têtes chimiques ». Signé par de nombreux chercheurs, militants, humanitaires, et quelques journalistes dont Caroline Donati, qui a recueilli de nombreux témoignages en provenance de la Ghouta, le texte interpelle François Hollande: « Vous, président de la République, serez-vous le chef de l'Etat courageux et déterminé capable de dire, au nom de la Nation, que nous ne tolérons pas et n'acceptons pas qu'un peuple soit exterminé ? » « De toutes parts en Syrie, ce cri nous parvient : "Que faites-vous? Nous, peuple syrien, nous avons choisi de nous battre pour la dignité et la liberté. Et, vous, peuples occidentaux, vous nous regardez mourir"...», rappellent les signataires dans le blog de Thomas Pierret.

Une autre offensive s’engage, sans victime, celle de certains lecteurs contre Mediapart. La crise est là, et il faut en tirer, comme nous y invite l’historien François Delpla, « les leçons les plus concrètes et les plus fécondes ». Commençons par la modération des commentaires: il y a eu, nous dit le même, de trop « nombreuses "dépublications par la rédaction" de messages dont ceux qui avaient eu le temps de les lire vantaient parfois la qualité et la mesure » dans le fil de l’article de Thomas Cantaloube, Vers des frappes militaires sur la Syrie, tandis qu’après le parti pris de François Bonnet, Syrie: la guerre, les silences et les mensonges, Mediapart aurait été « apparemment plus tolérant ». A s’en tenir aux commentaires indiqués comme “dépubliés par la rédaction” (une quarantaine, jeudi en milieu d’après-midi, dans le papier de Thomas, 2 à la même heure dans l’article de François), c’est en effet la conclusion que l’on pourrait tirer. Mais la réalité, c’est que le ton des commentaires a changé. Qualité et mesure? Pouvait-on ainsi qualifier cette phrase supprimée: « cet article rend son auteur complice de crime contre l'humanité »? La modération des commentaires a permis de faire baisser les propos diffamatoires contre la rédaction.

Sur le fond, je republie ici la réponse de Thomas Cantaloube à ceux qui l’accusent de prendre parti pour la « guerre » et dont l’écrivain Salah Guemriche, de retour sur Mediapart, se fait en quelque sorte le porte-parole : « Je pense que vous, ainsi que de nombreux commentateurs sur le fil de l'article que vous mentionnez, prenez ce que j'écris pour un article d'opinion, ce qu'il n'est absolument pas. A aucun moment, je ne prends parti pour ou contre des frappes sur la Syrie. J'ai écrit un article pour expliquer où en étaient les régimes occidentaux, lundi 26 août, dans leur attitude par rapport à la Syrie. Et c'est dans ce sens-là qu'il faut prendre la phrase du chapo (qui est bien de moi, même si elle a été validée par la rédaction en chef) "l'emploi d'armes chimiques change la donne". Revenez quelques jours en arrière, et vous n'entendiez pas les mêmes bruits de bottes. Il s'est passé quelque chose la semaine dernière et ce week-end qui a "changé la donne". Nous sommes passés d'une certaine indifférence coupable à des préparatifs de bombardements. Je ne juge pas, je ne dis pas si c'est bien ou mal, je rapporte juste ce changement d'attitude des occidentaux, et en particulier des Etats-Unis. Et quand je rédige le titre : "Vers des frappes militaires sur la Syrie", je ne fais que décrire ce qui est en train de se produire. Ce n'est pas un appel aux frappes. Ensuite, concernant l'emploi d'armes chimiques, je fais confiance à ma collègue Caroline Donati qui, dans deux articles parus ces derniers jours sur Mediapart, a recueilli un faisceau de témoignages concluant à l'emploi de gaz neurotoxiques par Damas. MSF, une ONG qui a l'habitude d'être très prudente, le confirme aussi. Or, nous savons très bien que le régime d'el-Assad possède de telles armes (qui ont été employées par le régime frère irakien baasiste dans les années 1980), et qu'il s'agît également d'un régime aux abois qui n'a que peu d'égard pour sa population civile. »

Si ce n’était pas l’armée de Bachar el-Assad, que tout accuse, y compris la situation strictement militaire dans le quartier visé et à Damas plus généralement, comme l’explique Caroline Donati le 27 août (Armes chimiques en Syrie: ce qui s’est passé le 21 août), qui pourrait donc être à l’origine de cette attaque ? Roger Evano, pour qui « un calcul diabolique de l’opposition au régime de Bachard el-Assad n’est pas à exclure », suggère par exemple d’examiner « les photos aériennes fournies par la Russie montrant que l’origine des tirs est située dans une région tenue par l’ASL ». Seulement, Moscou n’a pas jugé bon de les rendre publiques. Ne faut-il pas exclure un « calcul diabolique » du principal soutien de Bachar el-Assad ?

Le collectif FocusOnSyria, qui rassemble « des journalistes, des photographes, des travailleurs humanitaires et d’autres professionnels actuellement occupés à documenter l’impact humanitaire de la crise (en Syrie) et à offrir de l’aide à ses victimes », évoque dans son blog sur Mediapart « la fermeture des frontières syriennes et l’effet “cocotte minute” »: les frontières des pays voisins se ferment peu à peu aux réfugiés syriens, et « la communauté internationale devrait exercer des pressions diplomatiques accompagnées d’incitations financières sur les pays voisins pour assurer le libre passage des réfugiés », propose le collectif.

Dans un texte intitulé «Le chimique et moi», publié en février dernier dans l'édition Paroles syriennes, Mr X, « un ancien prisonnier d’opinion communiste, détenu dans les geôles assadiennes durant 15 ans », témoignait de son expérience du « chimique », et concluait, alors que Barack Obama mettait le régime syrien en garde contre l'usage d'armes chimiques: « Alors, laissez-nous tranquilles avec ces menaces d’usage d’armes chimiques! Après nos quarante mille martyrs, ou peut-être deux fois plus, après toutes ces destructions, ces ruines, ces réfugiés et ces torturés, il ne reste plus de place pour de nouvelles souffrances dans nos cœurs - et sûrement pas pour ces douleurs que causeraient des armes chimiques. »