Grain de Sel (avatar)

Grain de Sel

http://www.decitre.fr/livres/quand-les-pylones-auront-des-feuilles-9791093554150.html

Abonné·e de Mediapart

64 Billets

11 Éditions

Billet de blog 21 juin 2012

Grain de Sel (avatar)

Grain de Sel

http://www.decitre.fr/livres/quand-les-pylones-auront-des-feuilles-9791093554150.html

Abonné·e de Mediapart

Quartier d'orage

Au début, je ne t’aimais pas.  Je te trouvais un peu morne, ennuyeux, disparate, et à vrai dire sans aucun charme particulier. Surtout, tu étais souvent laid, mal soigné et ne faisais rien pour t’arranger. En fait, je ne te l’ai jamais caché, si j’étais venue vers toi, c’était avant tout par commodité. Tu me rapprochais. Je n’avais plus ces interminables corvées de transport aux heures où la plupart des autres étaient encore ou déjà couchés.  J’allais enfin à pied, mais je te traversais sans te voir, sans même te regarder.

Grain de Sel (avatar)

Grain de Sel

http://www.decitre.fr/livres/quand-les-pylones-auront-des-feuilles-9791093554150.html

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Au début, je ne t’aimais pas.  Je te trouvais un peu morne, ennuyeux, disparate, et à vrai dire sans aucun charme particulier. Surtout, tu étais souvent laid, mal soigné et ne faisais rien pour t’arranger. En fait, je ne te l’ai jamais caché, si j’étais venue vers toi, c’était avant tout par commodité. Tu me rapprochais. Je n’avais plus ces interminables corvées de transport aux heures où la plupart des autres étaient encore ou déjà couchés.  J’allais enfin à pied, mais je te traversais sans te voir, sans même te regarder. Absente. Toute à la nostalgie de celui que je venais de quitter  pour toi et qui, lui, savait être animé, vivant,touchant. Celui qui savait mélanger un zest de ci, une pincée de ça, un soupçon encore d’autre chose, métisser le tout et en offrir un cocktail inimitable. Bref, qui savait séduire et retenir. Et même, je le découvrais, terriblement manquer. Au point que dès que j’avais une demi-journée de libre, c’est lui que je courais retrouver.

Et puis, mariage de raison oblige, je me suis habituée. Nous avons appris à vivre ensemble sans trop de heurts. J’ai  débusqué tes impasses, tes recoins, tes marchés, tes boutiques, tes lumières, tes kiosques, tes troquets. J’ai appris le nom de tes rues, tenté d’aller un minimum à la découverte de ton passé, assisté à certaines de tes fêtes, dont une, annuelle, qui compte parmi les plus gaies et colorées. J’ai établi quelques itinéraires de cœur, choisi quelques possibles QG,  bref, appris au moins à t’apprivoiser. Pourtant, tu n’arrivais toujours pas à me convaincre, tout incapable que tu étais — et que tu es resté —  de marier le meilleur et le pire, d’en tirer une synthèse, d’en exhaler un parfum qui te soit propre et que tu puisses signer. Comme si tu laissais différentes planètes s’entrecroiser au sein de tes boulevards, de tes rues  et de tes avenues sans jamais leur permettre de se rencontrer. Comme si tu te contentais de laisser le tout cohabiter, sans apporter cette petite bénédiction supplémentaire, le ciment qui lie, la petite magie qui opère, le sentiment d’appartenance qui fait qu’on se sent d’ici.

Ensuite est venu le temps des colères partagées. Quand l’immeuble du 20 boulevard Vincent-Auriol a brûlé en août 2005, faisant 52 morts, dont beaucoup d’enfants. Quand, trois ans plus tard, probablement dans la crainte d’une même catastrophe, l’ancienne Maison des étudiants de Côte d’Ivoire, au 150 du même boulevard a été évacuée… mais par la force et sans qu’aucun relogement des 84 occupants n’ait été envisagé. Puis, d’hivers en étés, de  rencontres en retrouvailles ou en  découvertes, de terrasses en dépouillements d’élections, de  brocantes en vide-greniers, de petits bals de la Fête de la Musique en  coups de main entre voisins pour arrosage des plantes ou garde d’animaux improvisés, une certaine proximité a commencé à s’installer. J’ai fait peu à peu connaissance avec certaines figures du quartier :  le papy danseur de la place d’Italie, la  grosse femme-habillée en ananas qui pousse son chariot entre les allées du Super-Casino, Jean-Pierre, le Roi de la Pomme de terre qui tient son stand sur le marché Blanqui, le chien en chaussettes de la place Pinel, le kiosquier du coin, le plastifieur de documents installé sur deux cageots tout en haut du boulevard, en face du MacDo, le petit cordonnier, le petit boucher, le petit fromager, le graffiteur inspiré, l’aveugle qui ne veut pas qu’on l’aide à traverser, tout un petit monde déjanté et coloré qui m’est devenu peu à peu familier….

Côté espaces verts, comme on est un peu limité dans le quartier, je me suis prise d’affection pour ces herbes folles dingues qui ont l’énergie de pousser entre les pavés, le long des trottoirs, ou en plein milieu de  fissures sur des dalles cimentées. Je les ai longuement photographiées, passant sûrement pour une cinglée aux yeux des autres habitants du quartier. Eux qui m’avaient déjà vue danser de part et d’autre de la vitrine d’une pizzeria avec Paco, mon premier (et dernier) ami perroquet, n’en ont sûrement pas été étonnés. Et puis, il y avait mon balcon pour compenser. Bénis soient les cinquièmes étages qui offrent ce bout de jardin suspendu à ceux qui ont la chance d’y habiter. Mes deux chèvrefeuilles, le blanc, parfumé, et le rose qui ne sent rien mais fleurit plusieurs fois chaque été, les  buis, le piéris, le laurier, le troëne, la véronique mauve, le rosier rescapé d’une poubelle qui fleurit sans arrêt comme pour me remercier, le pourpier des Cévennes qui refleurit et s’essaime de pot en pot tous les printemps depuis bientôt quinze années… Sans compter les pots vides, ou ceux encore habités de plantes qui ont brûlé ou gelé et n’ont que peu de chances de ressusciter un jour… mais que je n’arrive pas à jeter.

Et puis, parfois, il y a de petits miracles, comme cette fresque surgie en l’espace de deux jours à peine à l’angle, là où ma rue rejoint le boulevard où trône le métro aérien . Suffisait de tourner le dos, et soudain, elle était là, un beau matin. A ses pieds, nous étions nombreux, le portable à la main, à la photographier, comme émerveillés… Il faut  dire qu’elle pare la tranche d’un des immeubles les plus laids du quartier, celui où les tuyaux d’évacuation forment un Y à trois branches qui traversent les balcons. Je ne sais pas vous, mais moi, je la trouve belle. Je la trouve surprenante, sauvage et métissée et j’aime son regard à la fois rêveur et attendri sur le quartier. Et vous vous rendez compte ?  Maintenant, il y a sûrement quelqu’un qui quand on lui demande où il habite peut répondre : « J’habite là, juste au coin de l’œil »….ou « Ici, juste à l’aplomb du soleil chinois » !

L’orage gronde au dessus de la Place d’Italie. Le ciel se déchire. De l’autre côté, les quatre tours de la BNF continuent imperturbablement à bâiller sous la pluie. La gouttière fuit.  Des gouttes éclatent sur le zinc du balcon et mes plantes sourient. Le chat part terrifié se cacher parmi les moutons sous le lit. Merci, mon quartier. Tu y a mis le temps, mais maintenant je peux te l’avouer : tu as réussi à m’apprivoiser. Avec le pire et le meilleur de ce que tu sais offrir. Peut-être même grâce au pire et au meilleur. Et pour le meilleur et pire, je crois que je vais rester ici encore quelques bonnes années….

 Il est possible de cliquer sur les photos pour les agrandir. Et désolée, mais ce sont toutes des photos très "amateur", pas très nettes, et prises avec le portable qui plus est !

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.