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Charles Heimberg. Historien et didacticien de l'histoire

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Billet de blog 1 janvier 2023

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Covid-19: une crise pandémique qui n'en finit plus

Rien n'indique à ce jour, après les cinq vagues de l'année écoulée, que la crise pandémique touche à sa fin. En revanche, la capacité de la société et des autorités à oublier le passé même immédiat ne manque pas d'interroger. Comment, dès lors, pour tout un chacun, s'informer et se situer avec discernement face aux narrations caricaturales du rassurisme et du déni? Notamment en Suisse.

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Chronique pour mémoires

La pandémie Covid-19 est loin d'être terminée et il n'y a vraiment pas de quoi se rassurer pour la suite.

Observée depuis la Suisse, cette crise frappe d'abord par l'ampleur du déni qu'elle suscite. Nous avons déjà évoqué ici, ici et ici la gestion helvétique néolibérale de la pandémie et ses conséquences délétères lors des automnes 2020 et 2021, tant il avait été difficile, étant donné la nature très décentralisée de la politique sanitaire dans ce pays, mais avec surtout la force de l'influence d'intérêts économiques immédiats, de relancer des mesures de protection qui avaient prévalu lors d'une phase précédente. Aujourd'hui, la situation est un peu différente, parce qu'il n'y a pas d'explosion visible de la circulation du virus. Nous ne sommes plus non plus dans le même contexte, en particulier grâce à la vaccination qui, même si elle est encore insuffisante, est déjà globalement protectrice. Cependant, cette vaccination protège des cas graves dans l'immédiat, mais trop peu des infections. Ainsi, si une très grande partie de la population a été infectée par le virus, parfois plusieurs fois, l'incertitude demeure quant aux effets possibles à long terme de ces infections de masse à répétition.

En Suisse, ce qui frappe d'emblée aujourd'hui, c'est le silence, l'indifférence, et par conséquent le laisser-faire d'autorités qui feignent de croire que nous aurions toute et tous une mémoire de poisson rouge. Circulez, il n'y a rien à voir. Sans compter que d'autres drames sont malheureusement survenus entre-temps. Mais qui ne font pas disparaître le virus pour autant.

La passivité des autorités et l'inertie de la santé publique en Suisse sont ainsi devenues impressionnantes en matière de Covid-19 pour plusieurs raisons:

- la Confédération a décrété la fin de la situation extraordinaire au 1er avril 2022, redonnant aux cantons toute la responsabilité de gérer la crise, ce qui lui permet de s'en laver les mains, notamment sur le plan financier;

- les informations sur l'évolution de la pandémie sont devenues seulement hebdomadaires, et non plus quotidiennes. Elles ont surtout été rendues des plus lacunaires par le fait que le nombre de tests a sérieusement fondu;

- sans doute parce qu'elles paraissent encore trop coûteuses, les mesures du virus dans les eaux usées, qui sont l'un des instruments du monitorage de la pandémie encore effectif, ont été réduites de moitié dès 2023;

- par une décision inique de la droite et l'extrême droite du Parlement réunies, les tests sont devenus payants au 1er janvier 2023, empêchant ainsi toute surveillance de l'évolution des variants et ouvrant encore davantage la voie à leur circulation incontrôlée;

- comme c'est aussi le cas au niveau mondial, la surmortalité paraît sous-évaluée et le constat d'une surmortalité des plus de 65 ans mis en évidence par l'Office fédéral de statistiques est laissé dans un certain brouillard par l'Office fédéral de la santé publique, dont les données sont inférieures et incomplètes en l'absence de confirmations tardives encore à venir.

Illustration 1

Dans cette situation où tout un chacun peut être porteur du virus, parfois sans le savoir, parfois en l'occultant pour pouvoir vaquer à ses activités, il est en outre significatif, et déplorable, qu'aucune mesure de protection n'ait été maintenue dans l'espace public, au détriment des plus précaires et des plus fragiles. Le port du masque est ainsi extrêmement rare dans les lieux clos très fréquentés et les transports publics. Et rien, strictement rien, n'a été entrepris pour assurer une aération et une qualité suffisante de l'air dans les espaces intérieurs.

Où en est-on en réalité?

Pour répondre à cette question, il faut aller au-delà des frontières de la Suisse et lire par exemple ce que déclare le spécialiste de santé globale Antoine Flahault à la toute fin de 2022 sur l'évolution de la pandémie, les covids longs et les infections post-covid.

Florilège.

"Ce virus a en effet provoqué une série de vagues épidémiques presque ininterrompues depuis 2020. De plus, la résurgence de la pandémie en Chine, où le virus n'avait pratiquement pas circulé depuis l'épidémie de Wuhan début 2020, nous montre clairement que la pandémie n'est pas encore terminée."

"C'est une grande inconnue. Il y a beaucoup de recherches sur ces sujets et je crains que nous ne soyons assis sur une bombe à retardement avec ces manifestations post-infectieuses chroniques du Covid."

"Je crains que l'on ne prenne pas suffisamment en compte les risques de maladies cardiovasculaires et de diabète, et peut-être aussi de maladie d'Alzheimer, consécutifs à l'infection par le virus Sarscov2."

Dès lors, et c'est là encore une préoccupation régulièrement exprimée par Antoine Flahault, la question se pose d'autant plus de savoir ce qui est fait, ou pas, en termes de prévention et de protection des plus vulnérables avec, encore une fois, les mesures déjà mentionnées: surveillance de la qualité de l'air et assainissement des lieux clos, port du masque dans les espaces fermés très fréquentés et les transports publics, critères épidémiologique pour le rendre obligatoire le cas échéant...

Illustration 2
Capture d'écran: https://www.reuters.com/graphics/world-coronavirus-tracker-and-maps/fr/countries-and-territories/switzerland/

Les questions d'aujourd'hui

Alors que les autorités suisses n'avaient plus comme objectif déclaré de santé publique que d'éviter une surcharge des services de soins intensifs dans les hôpitaux, cela n'a pas empêché, ici comme ailleurs, de fortes tensions de s'exercer sur les établissements hospitaliers, à cause du manque de personnel soignant et de moyens financiers, mais aussi, notamment pour les urgences, sous l'effet récent de la conjonction de trois virus respiratoires, grippes et bronchiolites comprises.

Mais surtout, le silence et l'absence de toute surveillance globale pèsent sur des questions nouvelles, qui recoupent largement celles posées par Antoine Flahault, et qui pourraient se révéler bien plus problématiques qu'attendu, même si c'est au conditionnel:

- l'apparition toujours possible, surtout avec une forte circulation virale, d'un/de nouveau(x) variant(s) plus contagieux et échappant peut-être davantage à l'immunité;

- des atteintes à la capacité immunitaire consécutives à une infection par le Covid-19;

- les covids longs, leur ampleur et leurs conséquences à long terme qui pourraient engendrer aussi des coûts sociaux et économiques considérables;

- les affections post-covid, en particulier cardio-vasculaires, dont il faudrait aussi déterminer la nature, l'ampleur et les conséquences;

- et même, pour les enfants non-vaccinés, après une infection au Covid-19, des atteintes possibles à l'évolution de leur immunité à moyen terme.

Ces questions complexes produisent de l'incertitude et devraient pousser les autorités à la prudence. Or, c'est précisément cette incertitude qui tend aujourd'hui à être mise sous le tapis.

Ces questions devraient tout particulièrement préoccuper les partis, syndicats et associations progressistes qui ont en principe pour raison d'être et pour objectif le souci de protéger les plus vulnérables.

Malheureusement, à quelques exceptions près, ces milieux sont restés et demeurent plutôt discrets dans ce domaine. Tout particulièrement en Suisse romande. À tel point que d'aucuns, au-delà de la Suisse, en sont même venus à se demander pourquoi la presse financière fait mieux que la gauche sur le Covid-19 (en s'inquiétant par exemple des effets... pour l'économie, des covids longs et autres risques encourus). Parce que, oui, en effet, c'est parfois davantage dans la presse économique que s'expriment des préoccupations pourtant légitimes sur l'état et l'évolution de cette pandémie.

Illustration 3
via 'Forbes': https://www.forbes.com/

Mise en perspective

Comme nous l'avons évoqué ici et  ici, la pandémie Covid-19 présente trois caractéristiques majeures:

- c'est une tragédie sociale qui touche d'abord les catégories les plus défavorisées, en créant encore davantage de précarité dans la société, un phénomène qui est encore accentué par la crise géopolitique et énergétique, et par la phase inflationniste en cours;

- c'est une crise des échelles et des focales d'observation aussi bien sur le plan des espaces (à quelles échelles prendre les mesures pertinentes de santé publique, avec quelles coordinations, etc.) que sur le plan des temporalités (autour de ce qui est advenu, de ce qui advient, de ce qu'il est plausible qu'il advienne un jour, etc.). Ainsi, un enjeu de temporalités engendre les errements actuels qui s'expliquent par la domination d'un rapport au temps plus ou moins immédiat pour les décideurs politique et leurs priorités - pas de débordement des urgences hospitalières, pas de désorganisation économique -, en négligeant les échéances plus lointaines qui correspondent aux questions, incertitudes et périls encore ouverts: covids longs, affections post-covid, effets sur l'immunité, mais aussi conséquences à terme de la précarisation potentielle des plus vulnérables...;

- c'est surtout une expérience intense de l'incertitude qui finit, entre autres dynamiques, par produire des mécanismes de défense suscitant assez largement les postures de déni que nous observons aujourd'hui.

Et c'est probablement autour de ces trois perspectives que la question de savoir comment sortir de cette crise pandémique devrait pouvoir trouver une résolution: par des politiques sanitaires qui soient à la fois, et fermement, sociales, globales et préventives...

Charles Heimberg (Genève)

Mise à jour du 3 janvier 2023

Christian Lehmann, médecin et écrivain, tient pour Libération la chronique régulière d’un pays traversé par le coronavirus. Merci à lui, son "Journal d'épidémie" est salutaire. Et dommage qu'il n'y ait pas, de loin, l'équivalent en Suisse romande où il y aurait pourtant aussi de quoi en développer un non moins solide.

Dans sa chronique de ce jour, il donne la parole à Claude-Alexandre Gustave, biologiste médical, qui donne son avis sur un dispositif de contrôle aléatoire aux frontières sur les vols en provenance de la Chine.

Florilège.

"Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer en voyant qu’en trois ans de pandémie nous n’avons apparemment rien appris… De quoi parle-t-on exactement ? De la vague de contaminations en Chine. Et en quoi devrions-nous avoir peur face à cette vague ? D’une “réimportation” du virus en Europe ? Mais le virus y est, en Europe, et circule largement."

[...]

"Les discours rassuristes, le populisme, les prises de position antiscience ont nourri la défiance de la population envers les mesures de prévention, au point que la simple évocation du port du masque lors d’une pandémie respiratoire fait convulser une portion non négligeable de la population au nom de la liberté de s’infecter et de contaminer les autres. Donc on va gentiment continuer notre stratégie inavouée d’immunité collective par infection de masse, enchaîner les vagues et faire s’effondrer le système de santé. Mais par pitié arrêtons les visites protocolaires dans les aéroports, les déclarations martiales comme quoi on protège les Français..."

[...]

"Il faudrait plutôt se focaliser sur les moyens permettant de limiter la circulation virale sur notre territoire. Ces méthodes on les connaît parfaitement. Ce sont toutes celles qu’on a abandonnées méthodiquement depuis plus d’un an afin d’affirmer pendant la campagne électorale que le Covid était vaincu."

[Quid alors, en effet, des "rappels vaccinaux réguliers",  des "masques de protection, c’est-à-dire FFP2 ou FFP3", de la "ventilation normative des lieux clos", de "l'isolement des malades" et de la "surveillance virologique"...].

"Toutes les mesures efficaces pour diminuer l’impact de la circulation virale, ce qui serait pourtant le “vivre avec“, sont méthodiquement abandonnées. On ne pourra pas se plaindre de la suite, on l’aura bien cherchée."

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