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Billet de blog 8 février 2025

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Courtisans et Charlatans

Comme d’habitude Ésope est bref et percutant, La Fontaine plus précieux et politique. Et comme souvent, le mythe africain ajoute une explication du monde, au lieu d’une morale, qui reste implicite.

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De nouveau, très visiblement, conte sénégalais et fables ésopique et française remontent toutes les trois aux mêmes sources. (voir les épisodes précédents)

https://blogs.mediapart.fr/jean-max-sabatier/blog/210125/la-part-du-lion

https://blogs.mediapart.fr/jean-max-sabatier/blog/130125/les-outils-magiques

https://blogs.mediapart.fr/jean-max-sabatier/blog/090125/cahier-de-doleances-animalieres

https://blogs.mediapart.fr/jean-max-sabatier/blog/311224/contes-et-legendes-du-senegal

Par ailleurs, ce thème commun de la crédulité de qui se trouve dans la détresse illustre Spinoza !

Trois hypothèses : le mythe provient de la vie humaine, de sa psychologie, de sa politique, et en tout lieu on crée les mêmes ; ils s’inspirent les uns les autres (c’est vrai pour La Fontaine qui s’inspire ici d’Ésope) ; tous les trois ont un ancêtre commun. 

Comme d’habitude Ésope est bref et percutant, La Fontaine plus précieux et politique. Et comme souvent, le mythe africain ajoute une explication du monde, au lieu d’une morale, qui reste implicite.

Leuk guérit le fils du lion


Il y avait grande consternation autour de l’antre de Gayendé le Lion. Les courtisans entraient et sortaient avec des mines désolées. Till le chacal, en blouse d’infirmier, s’affairait, sautillant de sa démarche inquiète. Lèpe-Lèpe le papillon voletait de l’un à l’autre, apportant la mauvaise nouvelle :
— Le fils du Roi est malade ! Le fils du Roi va mourir !
Même Leber, l’hippopotame, était sorti des profondeurs de son fleuve pour venir aux nouvelles. Diamala, la girafe, connue pour son expérience et sa sagesse, avait été appelée en consultation.
Le fils aîné de Gayendé, Maître incontesté de la brousse, celui qui doit lui succéder, est au plus mal. Il dépérit chaque jour sans que rien ne puisse le guérir. On a fait venir les plus grands sorciers de la Gambie et même de Guinée, mais aucun n’a pu conjurer le mauvais sort.
Inutile de vous dire que le Roi est d’une humeur exécrable. Sous le moindre prétexte ses rugissements font trembler la savane, et sa griffe part avec facilité vers les imprudents. Alors, quand on annonce que le Roi tiendra une grande assemblée pour chercher un remède efficace à la langueur de son fils, tous les animaux de la brousse sont saisis d’inquiétude.
Bouki l’hyène, la plus lâche, la plus méchante des bêtes de la savane, se promet de faire toutes les bassesses possibles pour s’attirer les faveurs de Gayendé.
Le grand jour venu, le Lion s’assied sur son trône doré. Près de lui se tiennent ses lieutenants, Téné la panthère, Sègue le léopard, Mame Gneye l’éléphant... À distance respectueuse, se blottit M’Bill la biche tremblante.
Le lion demande à chacun s’il connaît un remède pour la maladie de langueur. Bouki s’aperçoit alors que Leuk le lièvre est absent. Aussitôt elle pense que l’occasion est excellente de lui jouer un mauvais tour et de se venger enfin de ses ruses :
— Oncle Gayendé, dit Bouki d’un ton courtois qui ne lui est guère habituel, as-tu remarqué l’absence de Leuk ? Cet insolent ne s’est même pas dérangé alors que ton fils est mourant...
Hodiok l’écureuil intervient timidement : 
— Leuk était en voyage dans les plaines du Sine. Il est certainement en route.
— Pas du tout, réplique Bouki. Il s’est bien gardé de venir. Car il connaît tout comme moi le remède qui peut sauver le malade...
— Parle, Bouki, rugit Gayendé, si tu ne veux pas que je t’arrache la peau. Qu’avons-nous besoin de Leuk, puisque toi-même connaît le remède ?
— C’est que, dit Bouki en s’étranglant de peur, nous avons besoin de lui. Nous étions ensemble la nuit dernière quand nous avons rencontré un vieux sorcier infirme. Comme il se disait grand guérisseur, je lui ai aussitôt demandé comment soigner le fils du Roi. Le remède qu’il a ordonné est des plus simples : il suffit d’appliquer sur le front du sang de lièvre encore chaud ! Tu comprends maintenant pourquoi Leuk s’est bien gardé de venir à cette assemblée !
— Vite ! rugit Gayendé, que tout ce qui court, vole ou rampe dans la brousse, parte à la recherche de Leuk, et qu’il me soit amené.
Mais Hodiok n’a pas perdu de temps. Vite, il a envoyé Vègne la mouche à la recherche de Leuk. Et Vègne l’a trouvé, endormi sous un buisson, comme tous les lièvres pendant le jour. Elle a bourdonné à son oreille : « Vite, vite, ami Leuk ... Viens à la grande assemblée du Roi ... La sinistre Bouki est en train de te faire du tort ...
Si bien qu’à l’instant où les animaux vont se mettre en chasse, voici notre ami Leuk, son petit sac à l’épaule, qui se présente devant Gayendé :
— Que se passe-t-il ? demande Leuk.
— Vite, vite, s’écrie Bouki, égorgeons cet animal et sauvons le fils du Roi.
— Un instant, dit Gayendé, je veux d’abord savoir pourquoi ce misérable arrive si tard alors qu’il savait comment guérir mon enfant.
— Sire, répond doucement le lièvre, j’ai dû faire un détour chez le vieux sorcier dont vous a parlé Bouki, afin de m’assurer de la manière dont il faut appliquer le remède. Je suis maintenant bien renseigné, et j’ajoute que Bouki ne vous a pas tout dit.
— Explique-toi, rugit Gayendé.
— Sire, il est vrai, comme l’a dit Bouki, qu’il faut utiliser le sang frais du lièvre, mais quelques gouttes suffisent. Seulement, ce qui est important, et qu’a bien-sûr oublié l’affreuse bête, c’est qu’il faut d’abord enduire le front du lionceau avec la cervelle fumante de l’hyène, simplement arrosée du sang du lièvre !
Aussitôt, les animaux, qui tous détestent Bouki, se jettent sur elle, et l’assomment proprement. Leber l’hippopotame lui fait éclater la tête d’un coup de pied. Till le chacal retire la cervelle. Alors Leuk, pompeusement, et avec un courage dont nul ne l’aurait cru capable, prend une longue épine et se pique l’oreille de part en part, arrosant de son sang la cervelle de Bouki.
Est-ce le hasard ? Est-ce parce que le remède était bon ? Est-ce parce que la mort de l’hyène avait apaisé les Dieux ? En tout cas, le fils de Gayendé guérit, et Leuk devint son meilleur ami. Depuis ce jour, on n’a jamais vu un lion attaquer un lièvre !
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Le lion le loup et le renard (Ésope)

Le lion devenu vieux était couché, malade, dans son antre, et tous les animaux étaient venus rendre visite à leur prince, à l’exception du renard. Alors le loup, saisissant l’occasion favorable, accusa le renard par-devant le lion : « il n’avait, disait-il, aucun égard pour celui qui était leur maître à tous, et c’est pour cela qu’il n’était même pas venu le visiter. » Sur ces entrefaites le renard arrivait lui aussi, et il entendit les dernières paroles du loup. Alors le lion poussa un rugissement contre le renard. Mais celui-ci, ayant demandé un moment pour se justifier : « Et qui, dit-il, parmi tous ceux qui sont ici réunis, t’a rendu un aussi grand service que moi, qui suis allé partout demander aux médecins un remède pour te guérir, et qui l’ai trouvé ? » Le lion lui enjoignit de dire aussitôt quel était ce remède. Le renard répondit : « C’est d’écorcher vif un loup, et de te revêtir de sa peau toute chaude. » Le loup fut incontinent mis à mort, et le renard dit en riant : « Il ne faut pas exciter le maître à la malveillance, mais à la douceur. »

Cette fable montre qu’en dressant des embûches à un autre on se tend un piège à soi-même. 
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Illustration 1

Le lion, le loup et le renard (livre 8, fable 3).


Un Lion décrépit, goutteux, n’en pouvant plus,
Voulait que l’on trouvât remède à la vieillesse :
Alléguer l’impossible aux Rois, c’est un abus.
Celui-ci parmi chaque espèce
Manda des Médecins ; il en est de tous arts :
Médecins au Lion viennent de toutes parts ;
De tous côtés lui vient des donneurs de recettes.
Dans les visites qui sont faites
Le Renard se dispense, et se tient clos et coi.
Le Loup en fait sa cour, daube au coucher du Roi
Son camarade absent ; le Prince tout à l’heure
Veut qu’on aille enfumer Renard dans sa demeure,
Qu’on le fasse venir. Il vient, est présenté ;
Et sachant que le Loup lui faisait cette affaire :
Je crains, Sire, dit-il, qu’un rapport peu sincère,
Ne m’ait à mépris imputé
D’avoir différé cet hommage ;
Mais j’étais en pèlerinage ;
Et m’acquittais d’un vœu fait pour votre santé.
Même j’ai vu dans mon voyage
Gens experts et savants ; leur ai dit la langueur
Dont votre Majesté craint à bon droit la suite :
Vous ne manquez que de chaleur :
Le long âge en vous l’a détruite :
D’un Loup écorché vif appliquez-vous la peau
Toute chaude et toute fumante ;
Le secret sans doute en est beau
Pour la nature défaillante.
Messire Loup vous servira,
S’il vous plaît, de robe de chambre.
Le Roi goûte cet avis-là :
On écorche, on taille, on démembre
Messire Loup. Le Monarque en soupa ;
Et de sa peau s’enveloppa ;
Messieurs les courtisans, cessez de vous détruire :
Faites si vous pouvez votre cour sans vous nuire.
Le mal se rend chez vous au quadruple du bien.
Les daubeurs ont leur tour, d’une ou d’autre manière :
Vous êtes dans une carrière
Où l’on ne se pardonne rien.
 

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