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Billet de blog 26 novembre 2022

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Confier l’enseignement professionnel aux régions : une fausse bonne idée

Le lycée professionnel révélateur d’une injustice scolaire en amont, à l’école et au collège, voilà sur quoi un quasi consensus est possible. En revanche, en faisant silence sur les savoirs enseignés, la piste proposée de confier l’enseignement professionnel aux régions est illusoire.

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Dans une tribune récente publiée par l’AEF[1], un excellent expert de l’éducation nationale, Bernard Toulemonde, qui fut recteur, directeur de l’enseignement scolaire et inspecteur général, propose de confier l’enseignement professionnel aux régions.

Son diagnostic est plein de lucidité : il constate l’échec assuré d’une énième campagne de « revalorisation de l’enseignement professionnel », fondée, dans l’actuel projet ministériel, sur une meilleure liaison avec les milieux professionnels et l’augmentation de la durée des stages en entreprise. Cela fait quarante ans que cela dure. Il répond ensuite à la question : pourquoi ces échecs répétés ? Sa réponse tient en une phrase : parce que l’enseignement professionnel reste le parent pauvre du système. En effet, le collège est resté l’antichambre du lycée général, et quiconque n’est pas reconnu comme digne d’y accéder est orienté vers le lycée professionnel. Pour preuve, Bernard Toulemonde souligne que les enseignements au collège ne font aucune place aux disciplines pratiques, comme l’observait déjà le ministre René Haby en 1975[2], et que le délabrement de l’enseignement de la technologie en est un symptôme. Les professeurs qui y enseignent sont justement les mêmes qu’au lycée général : enseignant une discipline, ils partagent avec eux la même inspection pédagogique régionale, alors que les professeurs de lycée professionnel de l’enseignement général en enseignent deux et relèvent d’une inspection de l’éducation nationale comme les professeurs des écoles. En quelque sorte, les professeurs de lycée professionnel sont les héritiers des professeurs d’enseignement général de collège (PEGC), eux aussi bivalents et dont le recrutement a cessé à la fin des années 80.

Pour Bernard Toulemonde, il faut donc sortir les lycées professionnels du giron de l’éducation nationale où ils sont condamnés à être toujours le parent pauvre, pour les confier aux régions, qui connaissent mieux le tissu industriel et commercial que les rectorats et sont responsables de la carte des formations et de l’information sur les métiers et les formations. Responsables de la gestion des lycées, elles ont montré qu’elles font mieux que l’Etat ne le faisait auparavant en ce domaine. Cette mesure permettrait en outre de confier aux mêmes mains l’apprentissage et l’enseignement professionnel, si l’on revenait sur le retrait en 2018 de leur compétence sur l’apprentissage au profit d’un établissement public national.

La démonstration est d’une logique parfaite. Mais est-elle irréprochable ?

On pourrait partager pleinement le diagnostic établi par Bernard Toulemonde, qui rejoint celui formulé notamment par Daniel Bloch, expert s’il en est de l’enseignement professionnel [3], sans pour autant souscrire à la solution clé en mains qu’il propose.

Faut-il rappeler ce qui se joue actuellement dans les lycées professionnels de Paris dont plusieurs d’entre eux sont fermés par décision conjointe du conseil régional d’Ile de France et de la région académique[4] ? On voit que la région fonde ses choix sur des données chiffrées, sans jamais prendre en compte la réalité des conditions d’apprentissage des élèves concernés par ces fermetures ni des conditions d’emploi des personnels qui les y encadrent. Il y aurait fort à parier que l’exemple parisien se généraliserait si l’on suivait Bernard Toulemonde dans ses conclusions.

Si l’on veut vraiment donner « un nouveau souffle » à l’enseignement professionnel, il conviendrait sans doute de revenir, comme l’a proposé Daniel Bloch, sur les mesures discriminatoire qui y ont réduit la durée de formation d’un an, pour faire de notables économies d’emplois – la dictature du chiffre, déjà-, au détriment de la formation effective des lycéens, ce qui permettrait d’augmenter leur temps de formation en entreprise sans diminuer leur formation générale comme l’envisage l’actuelle réforme. Il faudrait expérimenter un bachelor professionnel en trois ans dans les lycées professionnels de façon à sortir de l’échec massif de leurs élèves en STS ou en IUT. Il faudrait enfin s’appuyer sur un secrétariat d’Etat à la formation professionnelle et à la planification pédagogique avec, pour socle, une loi de programmation budgétaire.

Mais cela ne saurait suffire. Comme le diagnostic porté par Daniel Bloch et Bernard Toulemonde l’atteste, il faudrait repenser les savoirs enseignés et les savoirs non enseignés au collège, comme le proposait René Haby dès 1975, et transformer la politique des savoirs indiscutée publiquement, fondée sur la domination de certaines formes de savoirs et d’enseignement à l’exclusion d’autres domaines de la culture humaine. C’est ce que propose la Collectif d’interpellation du curriculum[5] : se préoccuper vraiment de ce qui est effectivement enseigné, de ce qui ne l’est pas et devrait l’être, et de ce qui est effectivement appris par les élèves. Cela dépasse bien entendu le cadre étroit du collège, c’est tout l’enseignement scolaire qui doit être repensé dans cette perspective. Si l’on ne s’attaque pas à ce chantier prioritaire, on ne parviendra pas à changer la scandaleuse injustice scolaire qui confirment les premiers résultats des dernières évaluations en début de classe de 6e[6].

En français, « au niveau national, en début d’année scolaire 2022-2023, le score moyen est en baisse (256,5 points en 2022 pour 260,8 points en 2021). Cette évolution se traduit par une hausse de la part des élèves dans les bas niveaux (groupes 1 et 2), celle-ci passant de 22,4 % en 2021 à 27,1 % en 2022. Dans le même temps, on observe une baisse de la part des élèves dans les hauts niveaux (groupes 5 et 6) : de 36,7 % à 33,8 % ».

En mathématiques, « Sur la période 2017-2022, la part des élèves dans les bas niveaux a légèrement augmenté, passant de 30,8 % à 32,5 % (+1,7 point). Dans le même temps, la proportion d’élèves dans les hauts niveaux a connu une hausse plus importante, passant de 28,2 % à 31,4 % (+3,2 points) ». C’est dire que après les années d’école, on constate qu’augmentent en mathématiques le nombre d’élèves ayant les meilleurs résultats et celui des élèves ayant des difficultés, comme si notre enseignement était plus capable de polariser une élite d’un côté, et les élèves en difficulté de l’autre que de garantir à tous un apprentissage correct.

A lire ces résultats, on se dit que la « fatalité » des « destins scolaires » n’est pas prête de disparaître, faute d’une refonte globale de notre école et des savoirs qui y sont enseignés.

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[1] https://www.aefinfo.fr/depeche/682812-confions-l-enseignement-professionnel-aux-regions-par-bernard-toulemonde

[2] https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/211122/le-college-homme-malade-du-systeme-quelques-pistes-de-traitement

[3] Voir nos deux billets :

https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/230622/nouveau-souffle-pour-le-lycee-professionnel-un-angle-mort

https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/240722/enseignement-professionnel-une-histoire-engagee-tous-les-sens-du-terme

[4] Voir nos deux billets :

https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/211022/lycees-professionnels-parisiens-ferme-deplace-segregue

https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/091122/l-ecole-geree-comme-une-entreprise-un-modele-parisien-revelateur

[5] https://curriculum.hypotheses.org

[6] https://www.education.gouv.fr/evaluations-de-debut-de-sixieme-2022-premiers-resultats-343396

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