C’est l’été. Le temps des séries. Cette année, revenons sur un conflit qui a fait des dommages collatéraux et culturels : la guerre du Golfe (1990-1991). À la BBC ou à la radio française, des chansons furent alors privées d’antennes. Une censure qui en disait long. Des chansons interdites pour une raison impérative ou pour deux cent mille raisons confuses. Voici quelques chroniques d’une censure, le long de la guerre du Golfe pas très claire (avec ses reflets d’argent). Pour chanter, pas pour faire la guerre.
C’était le temps du Top 50. C’était le temps où Carmen chantait très très bien "Sally’s gone". C’était le temps de Niagara. Groupe pop, bd, rock. Niagara. Indochine. Top Moreno et Bob Morane. À la voix et aux textes, ça tchiki-boumait avec Muriel Moreno, en poche une licence de lettres et le sens de la belle pop, et aux claviers, à la guitare et à la production, Daniel Chenevez.
Pop sucré, sugar ? Le groupe a su garder une tonalité propre qui finit par éclater, sale, en pleine guerre du Golfe.
En France, on n’avait pas de pétrole, mais on avait Niagara.
Avec Niagara, ça Rita Mitsoukait presque. Il y en avait pour les dénigrer. Mais les clips pas faits par Mondino valaient le coup d’œil. Un duo. Une voix. Un musicien. Tous deux étaient de Rennes. Dans ce duo, qui avait les rênes ? Sans doute l’inspiration.
La cascade de tubes eut lieu l’espace de quelques années. 10 ans et 4 albums. De la malice à la maturité. Un groupe qui marche et qui pffuuuiiii disparait. « Assez ! » chanta Nougaro. Assez chanter, conclut Niagara. Je crois que deviens vraiment cinglée.
L’eau et le feu. L’amour et la rébellion. Les références cinéphiles, le Niagara d’Hataway et Quand la ville dort de John Huston.
Une veine romantique qu’on ne s’ouvre pas, parce qu’on aime la vie, qu’on la conteste dans ses erreurs, ses égarements.
En avril 1990, sort l’album « Religion ». Les années 90 seront Niagaresques ou ne seront pas.
« J'ai vu Berlin, Bucarest et Pékin comme si j'y étais » dit leur chanson « J’ai vu ». À l’écran, ad nauseam, la chute de Ceaucescu et puis - tant qu’il y aura des hommes, il y aura des tanks - la place Tian’anmen. De la musique engagée. Des citoyens pas ravis qu'on les veuille, sans rêves, rivés devant l’écran.
Sur l’album « Religion », une piste 4 : « Pendant Que Les Champs Brûlent ». La chanson marcha. Se vidéoclipa. Un succès mérité. Une chanson ardemment indolente. Comme un lucrècien « suave mari magno » où la tempête aurait été remplacée par un immense feu. Le champ, comme un recul, comme une distance et ces larmes qui ne viennent pas. Ça, c’était en avril 1990, date de la sortie de l’album. Quelques mois avant le début de la guerre du Golfe.
Le groupe avait déjà un passif avec son "Tchi boum", sorti en 1986. "tchiki boum, tchiki boum, ah tchiki boum Tchiki boum Ah tchiki boum, tchiki boum, ah tchiki boum Tchiki boum". Sachant ce qui était arrivé à Trenet pour moins de Boum que ça, il fallait s'attendre à ce que la censure se penche sur sa paire de ciseaux et sur ce duo pop impertinent.
Dans les derniers mois de cette guerre, des puits de pétrole furent incendiés par une armée irakienne qui battait en retraite. La vieille politique de la terre brûlée. « Pendant que les champs brûlent » ne résonnait plus de la même façon. Les milliers de degrés dégagés enflammèrent même les ondes. Chanson trop brûlante d’actualité. Niagara, niagrillé.
Aujourd’hui, sur le net, beaucoup de gens restent convaincus que la chanson parle de la guerre du Golfe. L’album est sorti en avril, la guerre a commencé en août. La censure doit être furieuse de cet échec à faire oublier la chanson. La censure n'a pas encore compris qu'elle participait d'un archivage.
#1 Chanson de Jean-Patrick Capdevielle : "Quand t'es dans le désert"
#2 Chanson de Charles Trenet : "Boum"
#3 Chanson des Bangles : Walk Like an Egyptian
#4 Chanson des Dire Straits : Brothers In Arms
#5 Chanson de Tears for Fears : Everybody Wants To Rule The World