Édouard Philippe a donc décidé de se lancer dès à présent dans la campagne des prochaines élections présidentielles.
Je n’ai jamais été convaincu par celles et ceux qui soutiennent qu’Édouard Philippe aurait une autre vision pour l’avenir du pays que celle qu’il avait déjà lorsqu’il était Premier ministre, à savoir d’optimiser une politique très libérale qui favorise avant tout les plus riches au détriment des « riens », et surtout des plus démunis. Son discours actuel pour préparer sa campagne présidentielle ne laisse aucun doute sur ce point : il prône par exemple la fin du régime des retraites par répartition, ou encore le recours aux ordonnances « pour aller plus vite », et donc en réduisant du mieux possible le rôle du Parlement. Au fond, il y a très peu de différence entre ses idées et celles qui guident la politique actuellement menée par Emmanuel Macron.
Cette élection présidentielle, il y pense de longue date, et son parcours est lui-même révélateur de ce qui constitue le fond de sa pensée.
Édouard Philippe est toujours maître de requêtes du Conseil d’État dont il refuse de démissionner, ce qui présente l’avantage de pouvoir y revenir « au cas où ». Haut-fonctionnaire en activité dans cette Institution quelques petites années à la sortie de l’ENA, il a été rapidement recruté par Areva au poste de directeur des affaires publiques pour y exercer une activité de lobbying de l’industrie nucléaire (le quotidien Le Monde, dans un article du 16 mai 2017 intitulé « Édouard Philippe, un chef de gouvernement pas très vert », rappelle qu’« ancien cadre d’Areva, le Premier ministre a voté comme député contre les lois sur la transition énergétique et sur la biodiversité »).
Puis il est devenu avocat d’affaires au sein du cabinet de droit américain Debevoise &Pimpton pour y travailler (en France, personne ne trouve étonnant qu’un membre du Conseil d’État, censé être juge de cassation des décisions des juridictions administratives, puisse exercer « en même temps » le métier d’avocat !!), cabinet au sein duquel, selon un article de Reporterre du 18 mai 2017, il opérait « comme conseiller indépendant pour le conseil d’administration de Monsanto dans son opération de fusion avec Bayer », deux leaders mondiaux dans la fabrication de pesticides, avant d’être nommé Premier ministre (en cette qualité, il pouvait par exemple décider de présider l’Assemblée générale du Conseil d’État …). Quittant Matignon, il n’hésite pas à se faire recruter comme administrateur de la société Atos, un géant de l’industrie numérique, tout en étant maire de la commune du Havre, second port de commerce français !
Voilà qui révèle quand même pas mal d’intérêts contradictoires …
De plus, comment ne pas oublier sa gestion calamiteuse de la crise sanitaire lors de la pandémie du covid.
Sa principale préoccupation au cours des trois premiers mois de cette pandémie était de faire passer « en force » sa loi sur les retraites à points (il a échoué), et de ne pas perdre les élections municipales, en particulier la sienne, allant jusqu’à accepter que sa ministre de la santé, Agnès Buzyn, quitte à un moment crucial de la crise le poste clé qu’elle occupait de longue date, ceci pour faire campagne à Paris histoire d'y remplacer au pied levé le candidat de la majorité présidentielle empêtré dans des affaires privées malvenues (ce sera un nouvel échec).
Et l’on ne parle plus de sa responsabilité dans la pénurie des masques, notamment dès l’année 2019 lors de la présentation de la loi de finances 2020 prévoyant la suppression dans le budget de l’État de celui de l’Agence Santé Publique France chargée de constituer les stocks de masques[1], alors que le gouvernement disposait depuis mai 2019 d'un rapport alarmiste de cette agence, précisément sur ce point. L’on n’évoque pas plus d’autres manquements (résumés dans l’un de mes nombreux billets de l’époque[2]), notamment la prise en compte du sort tragique qui a été réservé aux personnes âgées dans les EPAD, les souffrances psychologiques de leurs proches, ou encore son refus de réquisitionner les cliniques privées pour participer à la lutte contre cette pandémie, au moins en soulageant les hôpitaux du secteur public.
Mais tout cela est rapidement tombé dans l’oubli.
Dès le mois de juin 2020, en plein confinement, mais juste avant le second tour des municipales, le Journal du dimanche annonçait en effet, haut et fort, les résultats d’un sondage IFOP selon lequel « plus de 50% des français étaient satisfaits de l’action du Premier Ministre »[3], lequel a finalement réussi à gagner son élection au Havre, non sans une aide médiatique fort opportune rendue par Paris-Match[4], et au bon moment. Le tour était joué : Édouard Philippe pouvait quitter serein le gouvernement pour aller offrir ses services au sein d’un cabinet américain.
S’agissant des erreurs d'appréciation et des fautes qu’il a commises au cours des tous premiers mois de la crise sanitaire, Édouard Philippe n’a jamais, à ma connaissance, exprimé le moindre regret.
En définitive, il me semble utile de bien réfléchir avant de tresser des lauriers à cet acteur politique, et en le jugeant uniquement sur ses idées et sur ses actes : mon avis est que les conditions permettant d’envisager de lui faire confiance pour présider aux destinées de la France sont loin d’être remplies.
NOTES:
[1] https://blogs.mediapart.fr/paul-report/blog/140420/coronavirus-cachez-ces-masques-que-nous-ne-saurions-avoir