Le dimanche 7 juillet, je suis resté dans mon canapé, car j'ai considéré que le candidat du Rassemblement national (RN), un diplomate placardisé, n'avait aucune chance de l'emporter, vu son score du 1er tour et le désistement dès le 30 juin au soir de la candidate du Nouveau Front populaire (NFP). Mon analyse s'est avérée juste : avec 59% des suffrages exprimés, Nicolas Ray, face à qui le camp macroniste n'avait pas présenté de candidat au 1er tour, a été facilement réélu pour un second mandat.
Je n'ai pas voté pour M. Ray le 7 juillet dernier, car, président depuis fin 2023 de la fédération Les Républicains (LR) de l'Allier, il ne s'est pas opposé au maintien de Romain Lefebvre dans la circonscription voisine de Montluçon, bien que ce dernier se soit classé 3e à l'issue du 1er tour : le seul député d'extrême droite en Auvergne, Jorys Bovet, a été confortablement réélu. Méconnaissant sans doute la signification du nom de leur parti, les candidat·es LR de la Creuse, de la 8e circonscription du Rhône, de la 4e circonscription de la Drôme ou encore de la 7e circonscription de l'Oise n'ont pas non plus jugé utile de faire « front républicain », comme d'ailleurs une bonne part de leurs électeurs.
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Je n'ai pas voté pour M. Ray le 7 juillet dernier, parce que son logiciel est déjà d'extrême droite :
- Les trois principales valeurs du député de Vichy rappellent fort le triptyque vichyste : « La valeur Travail, que m'ont transmise mes parents et grands-parents commerçants, qui ne comptaient pas leurs heures ; l'Autorité, trop contestée et trop peu respectée ; la Famille, qui doit être au cœur d'un projet de société. » [1]
- M. Ray s'est félicité d'avoir voté en décembre 2023 la loi dite « Asile et Immigration », qui est directement inspirée par la « préférence nationale » promue depuis un demi-siècle par le parti de la famille Le Pen. A la suite du RN, son parti est lui aussi obsédé par les étrangers, l'Aide médicale d'Etat, les Français non-blancs, les habitant·es des quartiers populaires, les vêtements des femmes et les personnes trans.
- En septembre 2023, M. Ray a fait sa rentrée aux côtés du très conservateur eurodéputé François-Xavier Bellamy, qui n'a pas caché ce printemps qu'il voterait « bien sûr » pour le RN en cas de 2nd tour face à la gauche ; la rencontre avait lieu chez son collègue et voisin de la Loire Antoine Vermorel-Marques, dont le principal soutien est le très droitier maire de Roanne (lire ici, là et là) ; et le 7 juin dernier, c'est en accueillant à Vichy l'ancien ministre de l'Identité nationale Brice Hortefeux, que M. Ray a conclu la campagne locale de soutien à la liste de M. Bellamy aux européennes.
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- M. Ray avait lourdement revendiqué en 2022 le soutien de Laurent Wauquiez et s'apprête à siéger dans le groupe La Droite républicaine (sic) présidé par lui. Pour rappel, le seigneur des panneaux ponot, c'est entre autres « le cancer de l'assistanat » au printemps 2011 et la trahison de Jacques Barrot, les conseils de Patrick Buisson puis la validation d'Eric Zemmour, la remise en cause devenue systématique de l'Etat de droit, de la justice et des contre-pouvoirs en général (lire notamment ici et là), le fait du prince érigé en principe de gouvernance (voir notamment ici et là), enfin une succession d'affaires (lire notamment ici, là et là), dont celle du désormais fameux « dîner des sommets ».
- M. Ray, dont l'éloquence ne compte pas parmi les qualités les plus visibles, est d'abord le candidat d'une baronnie locale, qui s'est elle aussi radicalisée ces dernières années : le maire de Vichy Frédéric Aguilera multiplie les outrances sur son compte X (ex Twitter), le maire de Cusset voulait des élèves en uniforme, le maire de Bellerive-sur-Allier « n'[a] pas voté Macron » – pour lui préférer Marine Le Pen à deux reprises ? Ailleurs dans le département – dont l'emblème est la fleur de lys (!) depuis début 2022 –, on relève aussi les méthodes musclées du maire de Saint-Pourçain-sur-Sioule ou les prises de position répétées du maire de Montluçon, qui a joué un rôle décisif dans la victoire du candidat RN aux législatives de 2022, qui opère des distinctions suivant « l'origine ethnique » et pour qui « la France insoumise est bien pire que le Rassemblement national ».
- Le parti de M. Ray contribue, aux côtés des macronistes et de l'extrême droite, à la diabolisation non pas seulement de la FI (un parti « factieux et antisémite » selon M. Aguilera, qui a « rompu avec la laïcité et les principes fondamentaux de notre République » selon M. Wauquiez), mais de la gauche dans son ensemble : cf. par exemple dans le Puy-de-Dôme l'attitude de la candidate LR de la 2e circonscription, qui a renvoyé dos à dos la députée socialiste sortante et l'une des nombreuses « brebis galeuses » du RN, ou encore celle des conseillers départementaux de droite au lendemain du scrutin.
- Quand M. Ray a pris sa carte à l'UMP en 2003, « le 1er flic de France » Nicolas Sarkozy s'apprêtait à prendre la présidence du parti et Claude Malhuret venait de publier son brûlot « contre la gauche morale » : l'actuel député de Vichy n'a donc connu qu'une droite qui parle comme l'extrême droite [2]. En 2007, MM. Sarkozy et Le Pen avaient recueilli respectivement 11,4 et 3,8 millions de voix ; en 2024, le RN et les amis d'Eric Ciotti et de Marion Maréchal ont réuni 10,6 millions de voix, contre moins de 3,3 millions pour LR et les Divers droite.
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Je n'ai pas voté pour M. Ray le 7 juillet, car il n'a pas respecté l'engagement pris dans la soirée du 19 juillet 2022 : « Je n’oublie pas qu’au 1er tour, quatre candidats avaient plus de 20% des voix [et que] l’électorat de cette circonscription est fracturé, mais j’ai pu rassembler, et je rassemblerai encore plus dès demain, car je serai le député de tou·te·s les citoyen·ne·s. » Début 2023, l'indécision de l'élu bellerivois au sujet de la réforme des retraites du gouvernement Borne, qu'il jugeait tout de même « nécessaire » (lire ici et là), a contribué à accroître les tensions localement. Ses mandant·es ont dit leur ferme opposition à cette contre-réforme, en manifestant une dizaine de fois dans les rues de Vichy en moins de trois mois : M. Ray les a si bien écouté·es et représenté·es, qu'il fut le seul des cinq député·es LR auvergnat·es à ne pas voter la motion de censure du 20 mars.
Je n'ai pas voté pour M. Ray le 7 juillet, car il n'est évidemment pas « le député libre et indépendant » qu'il prétend être, mais l'élu d'un camp social et politique bien défini : en ne votant pas les multiples motions de censure, lui et ses collègues du groupe LR ont été des alliés de fait du pouvoir macroniste entre 2022 et 2024. Pendant la première année de son mandat, M. Ray a même voté 2/3 des textes présentés par le gouvernement Borne, notamment la punitive réforme de l'assurance-chômage. S'il a aussi approuvé le RSA sous conditions (15 heures d'activités obligatoires), il s'est par contre opposé au repas à 1€ pour les étudiant·es ou au blocage des prix d'un panier de produits de première nécessité. Comme les macronistes et le RN, le député bourbonnais considère que les cotisations qui assurent le financement de notre protection sociale nuisent au pouvoir d'achat des Français·es, et s'il dit défendre les services publics et la justice sociale, il n'envisage pas pour autant de redonner à l'action publique les moyens financiers d'agir, contrairement au programme du NFP. M. Ray, ancien agent comptable de la Chambre d'agriculture de l'Allier, est également un relais assumé de la FNSEA : il n'a pas voté l'instauration de prix planchers pour les agriculteurs (voir ici et là) et reste focalisé sur « la baisse des charges et la diminution drastique des normes et des contraintes administratives ». Enfin, le principal fait d'armes de son premier mandat est d'avoir défendu jusqu'au ridicule et au mépris du désastre climatique les intérêts de l'industrie aéronautique : « Les jets privés sont utiles pour désenclaver nos territoires ruraux souvent mal desservis [sic]. »
Je n'ai pas voté pour M. Ray le 7 juillet, car cela me fait honte d'être représenté à l'Assemblée nationale par un homme qui exerce son mandat à la manière d'un épicier [3], voire d'un marchand de tapis : était-ce bien vous, Monsieur le député, et le Contournement Nord-Ouest de l'agglomération de Vichy si cher à votre cœur, qu'Aurore Bergé désignait dans l'entretien ci-dessous ?
.@auroreberge évoque "des députés LR" venus "frapper à la porte de Matignon, en disant : 'je suis prêt à voter la réforme par contre vous me mettez 170 millions d'euros sur la table pour un contournement autoroutier'". "Heureusement que le gouvernement a dit non." #QuestionsPol pic.twitter.com/4A6rp0iF4c
— France Inter (@franceinter) March 19, 2023
[1] Extrait (page 6, « Mes valeurs ») de la plaquette « Nicolas Ray, engagé pour vous » (12 pages), distribuée dans les boîtes aux lettres de la 3e circonscription de l'Allier au début de la campagne électorale des législatives de juin 2022.
[2] Rappelons que la droite bourbonnaise a connu d'autres figures droitières par le passé : citons en particulier l'ancien maire de Vichy Pierre Coulon (1913-1967), connu pour sa politique de grands travaux inspirée du plan Bardet, qui fut un député poujadiste et pro-Algérie française dans les années 1950, ainsi que l'ancien maire de Moulins Hector Rolland (1911-1995), farouche opposant de l'IVG (« le choix d'un génocide », avait-il lancé en novembre 1974 à l'Assemblée nationale), qui ne cachait pas sa proximité avec les idées portées par Jean-Marie Le Pen.
[3] Je n'ai rien contre les épiciers : je suis fier au contraire de compter parmi mes ancêtres une glorieuse lignée de « bougnats » (mes arrière-arrière-arrière-grands-parents étaient « montés » à Paris depuis Laguiole autour de 1865). Je conteste par contre que M. Ray fasse croire que le mandat d'un·e député·e consiste principalement dans la recherche de financements pour sa circonscription. Dans sa dernière profession de foi, il n'a par exemple pas hésité à s'attribuer la prochaine construction d'un nouveau bâtiment à l'hôpital de Vichy, ainsi que d'une nouvelle gendarmerie au Mayet-de-Montagne, et même « la sauvegarde de 12 classes », alors que les fermetures se succèdent rentrée après rentrée. Pour rappel, les parlementaires votent la loi (qui s'applique à tou·te·s) et sont censés contrôler l'action du gouvernement.