Les mots ont été répétés. "Guerre". Puis comme pour en préciser la nature devant le flou qu'il n'aurait pas manqué de susciter, le président de la République a précisé : "guerre sanitaire".
Mais nous ne sommes pas en guerre, comme Maxime Combes en faisait la démonstration dans Bastamag. Du moins, nous habitants ne sommes pas en guerre. Sous-entendant de fait que, Macron — qui a tant à cœur de le répéter — lui l'est. Or s'il ne s'agit du virus, qui est l'ennemi ? Et l'idée qui me vient est : nous autres, lesdits habitants. Car à transposer sur le plan militaire la bataille contre le virus, ceux qui sont les premiers concernés, qui sont en "premières lignes" comme qui dirait, et qui luttent, eh bien ce sont nos corps. C'est notre système immunitaire, logé en chacun de nous qui guerroie contre cet "ennemi invisible". Ce qui exclut de fait toute implication de l'État. Que ne saurait-il se substituer à notre corps pour tenir le front ou même en devenir le général ? Son rôle ici est préventif, palliatif mais exogène. Le "nous" évoqué n'y a pas sa place. Il s'agit de l'union nationale appelée des vœux du président, de lui-même se confondant avec l'État et vice-versa. Ce dernier voulant signifier qu'il se rangeait auprès de la population dans cette épreuve.
Seulement, il y a un hic à cet endroit. Nos corps sont tout à la fois le lieu du conflit avec le virus et ses agents de transmission. De sorte que ces derniers se trouvent être la cible des mesures sanitaires. Le confinement les isole et la police les traque et les renvoie à leur invisibilité coutumière. En cela, la situation s'inscrit dans une continuité, celle des violences d'État contre les corps. Et où à la soumission et à l'identification, s'ajoute le besoin de disponibilité. C'est de cette guerre-là dont il est question, s'exprimant usuellement dans les espaces jugés en dehors de la cité et du quotidien, mais qui aujourd'hui, constitue notre présent à une échelle jamais vue.
Cette guerre intérieure pourtant, n'est pas nouvelle en soi. Elle s'inscrit dans une continuité. Celle de l'année écoulée qui a vu des mouvements sociaux d'ampleur réprimés. Celle d'une guerre à un concept, le terrorisme. A un statut, pour les sans-papiers. Enfin, s'y inscrit aussi dans la continuité une guerre qui ne dit que rarement son nom, à l'intérieur de territoires véhiculés dans l'imaginaire collectif comme relevant de l'exotisme (l'espace de la banlieue, l'outre-mer, les Zones A Défendre). Et si la phrase de Carl von Clausewitz déclarant que « la guerre n'est que le prolongement de la politique par d'autres moyens » pourrait à ce moment se rappeler à nos souvenirs, à citer la phrase, je trouve plus intéressant d'évoquer sa thèse :
« La guerre est un acte de violence dont l'objectif est de contraindre l'adversaire à exécuter notre volonté »
Car à elle seule, elle illustre l'absurde de la situation : contraindre un virus par la violence, occultant que le virus est un parasite et que nos corps en sont les hôtes. Contraindre le virus signifie donc contraindre les corps, contraindre les habitants à la volonté de l'État. Ce qui donne à voir une autre représentation à cet extrait du discours du président de la République :
« Nous sommes en guerre, en guerre sanitaire certes. Nous ne luttons ni contre une armée ni contre une autre nation, mais l’ennemi est là, invisible, insaisissable, et qui progresse. »
L'ennemi n'est plus celui de l'intérieur, mais juste intérieur. Partout présent, en chacun de nous, invisible aux procédés conventionnels de contrôle et de répression, ce qui les rend d'autant plus dangereux qu'ils peuvent s'appliquer dès lors sans discrimination. C'est donc l'ensemble de la population et non plus une partie qui est visée. Jusqu'au chef de l'État lui-même, qui vêtu ou non de telle ou telle prestance monarchique, patriotique, militaire, médicale ou démocratique, n'en reste pas moins aussi fragile qu'il l'était auparavant. Car il faut rappeler une chose essentielle : le corps du roi est nu, et ni la fonction ni les titres n'auront jamais arrêté un virus.
Pas même celui de la liberté.
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Pour continuer sur le même sujet, différents billets de blog avec différentes lunettes et approches, écrit la même semaine suivant l'allocution d'Emmanuel Macron du 16/03/2020 (non-exhaustif) :
Non Monsieur le Président de la République, nous ne sommes pas en guerre
Guerre contre le Covid-19 et violences interpersonnelles : attention danger !