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2020 : année mondiale du courage

Commissaire d'exposition et écrivain
SENS - FRANCE
À propos du blog
André Breton, voyait l’homme au début du XXème siècle comme un être définitif, plus précisément il nous définissait comme ‘des rêveurs définitifs’, et à l’orée d’une des plus grandes abjections de l’histoire : la Seconde Guerre mondiale ; ne fallait-il pas disposer d’une grande humanité pour rêver ainsi l’humanité ? Parallèlement au Surréalisme, existait un autre rêveur : Walter Benjamin, membre de l’école philosophique et littéraire de Francfort, habile observateur des bouleversements de l’hyper déjà paroxisme du capitalisme, et là où Breton, le trotskiste, percevait l’apport considérable de la psychanalyse freudienne, Walter Benjamin lui, définissait l’homme de son temps comme ce flâneur moderne accroché aux enseignes électrifiées des magasins et aux lumières portées des lampadaires de la ville. Et, puisque le langage est aussi par principe glissement : l’humanité était donc encline en 1936 à abriter des ‘flâneurs définitifs’ et cela jusqu’en mars 2020, et ce confinement viral déstabilisant pour la quasi totalité des habitants des pays du G7 et de quelques autres pays car pour d’autres, le confort n’est pas l’apanage d’une vie et ne pas le préciser serait omettre les hommes et les femmes assignés à résidence ailleurs et simultanément par ‘tant’ de guerres. En 2020, nous avons tous été confrontés à une menace infectieuse qui a provoqué les morts de 365 437 habitants de notre planète. Confinés pendant cinquante cinq jours, cinquante jours au milieu des cercueils apparaissant sur les écrans et matérialisant toute notre immatérialité, les hommes ont subi un nouveau mode révolutionné de vie avec la gestion d’un quotidien contraire et anxiogène. Puis en 2020, nous avons tous entendu les experts nous annoncer que le dé-confinement serait certainement plus encore problématique que son antithèse et nous ne voulions pas y croire. Et, force est de constater que nos premières heures dans ce périmètre de 100 kilomètres furent déstabilisantes à plus d’un titre : en effet, comment croiser sans masque obligatoire son prochain sans qu’il vous prenne d’office pour cet ennemi public susceptible de faire de vous le suivant sur la liste des 365 437. Ainsi, de lavage de mains en distance de sécurité, en attestation de sortie déjà omise, nos journées arboraient non sans peine les couleurs de la morosité, la tessiture du danger, le goût âcre d’une défiance des plus troublantes et rare dans l’histoire : celui de la crainte de la liberté. Un étrange retour certainement en 2020 pour Walter Benjamin lui qui décida en 1940 de mettre fin à sa vie, alors qu’il parcourait l’Europe afin d’échapper à l’oppression fasciste. Ainsi, pour les hommes de cette époque, ne pas désirer la liberté même recouvrée devait être cette part de l’inimaginable. Pour notre génération, en 2020, qui jamais n’a jamais connu une telle privation ce retour dit progressif vers la libre circulation donc vers la flânerie fut ce trouble inédit, cependant que nous rêvions d’évasion depuis cinquante cinq et longues journées. Aujourd’hui, le square a rouvert ses grilles. Allongée dans l’herbe, j’ai regardé le ciel où vivent les arbres, un merle flânait dans l’herbe et je voyais les passants qui voyaient aussi les autres passants. J’ai cru décelé un souffle rare, celui de la liberté à nouveau réfléchie car perdue puis regagnée, cette liberté qu’il nous a fallu donc réintégrer dans nos bases de données et j’ai pensé aux hommes, aux femmes, tout comme aux enfants de 2020 qui avaient été d’un grand courage. Nous avons tous vécu cette année à la surface du globe des épreuves :, nous avons participé ou assisté à de grandes manifestations afin de dénoncer les inégalités trop souvent de fait et tenter ainsi de reconstruire le politique. En ce moment même aux Etats-Unis, une énième onde de choc vient perturber un pays qui ne respire plus et c’est ce que nous avons tous ressenti ces derniers mois : cette envie, réfrénée par les circonstances, de respirer l’air d’un monde moins pollué, ce désir de souffle, cette envie de voir les enfants courir à nouveau ici ou là, d’aller respirer l’air du temps en terrasse, de se penser en vie sans trop y penser, et de se savoir libre dans son existence par essence. Il serait bien difficile de définir l’homme d’aujourd’hui : est-il toujours ce rêveur définitif ? Est-il resté seulement ce flâneur ? Est-il juste compensante économique ? Est-il celui qui a vraiment perdu cette potentialité à aimer ? Est-il cet animal politique ? Est-il toujours cet être de mutation ? Est-il celui des combats ? Des silences ? Des lâchetés ? Sait-il mieux que ses ancêtres débusquer les manipulations ? Sait-il aujourd’hui plus encore l’importance de la liberté ? N’est-il pas tout ceci et un peu plus tout comme un peu moins, faisant de notre humanité en 2020, une énième terre d’espoir encore à conquérir.