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Billet de blog 7 déc. 2021

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Plan C : Que faudra-t-il faire quand l’effondrement sera complet ? (partie 7)

Le plan A (stabilisation et sauvegarde de notre civilisation globalisée avec quelques ajustements) et le plan B (décroissance organisée et planifiée) sont désormais enterrés. Poursuivons l’étude des implications d’un tel constat avant l’élaboration du plan C.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Après avoir un peu exploré les implications psychologiques, sociales, économiques et politiques dans la partie 6 , je peux maintenant m’intéresser aux implications d’ordre théologique et « technologique ».

L’être humain supérieur au reste du vivant et l’idéal d’immortalité

Cela fait maintenant des millénaires au moins que l’être humain s’est placé au-dessus du reste du vivant, qu’il se conçoit comme une espèce hiérarchiquement supérieure aux autres, donc ne faisant pas partie de cet ensemble que l’on appelle « la nature ». Et comme il est persuadé en son for intérieur de ne pas en faire partie, il a fini par s’imaginer qu’il n’en dépendait pas. Car c’est bien le fait que nous nous soyons placés dans cette position de « maîtres » du reste du vivant qui a laissé penser que nous pouvions l’utiliser à notre gré sans encourir aucune conséquence. Quand certains idéaux nous ont poussés à consommer des ressources dans des quantités inappropriées, cette vision tronquée de la place de notre propre espèce au sein du vivant nous a empêché d’enrayer cette folie suicidaire.

Pour arriver à comprendre cet incroyable décalage qui existe entre la réalité et la perception que nous avons de notre espèce (et cela malgré des connaissances qui devraient clairement éviter que nous nous enfoncions dans pareille erreur), il nous faut remonter à la naissance de cette étrange idée.  

En effet, cela n’a pas toujours été le cas et il y a bien eu une époque où l’être humain ne se plaçait pas ainsi : c’était pendant l’ère des chasseurs-cueilleurs. Une époque reculée certes, une époque où le danger était omniprésent et où il nous était tellement plus difficile de trouver de quoi nous nourrir, mais une époque où nous faisions attention à ne pas perturber un équilibre dont nous savions dépendre.

Mettons dès maintenant les choses au clair : je ne suis pas en train de dire qu’il faut que nous vivions de nouveau à la manière dont vivaient nos lointains ancêtres du paléolithique. Si je remonte à cette époque-là, c’est uniquement pour mieux comprendre la genèse d’une funeste erreur aux conséquences désastreuses pour notre espèce, une erreur à ne pas reproduire… 

À cette époque déjà, nous avions la capacité de nous interroger sur le monde comme aucune autre espèce ne le faisait, mais nous avions alors très peu de connaissances. Le monde n’était qu’une chose vaste, inconnue et inexplicable, recelant tous les bienfaits, mais aussi le danger et la mort… donc une source d’angoisse et de terreur. Et l’angoisse et la terreur sont des sensations que nous n’aimons pas vraiment éprouver. Nous avons donc cherché à les apaiser par tous les moyens possibles pour pouvoir arriver à continuer de vivre. Or une chose qui fait peur, commence à nous faire moins peur dès qu’on lui trouve une explication, qu’elle soit fondée ou pas. Pourtant, toutes ces questions que nos ancêtres se posaient sur le monde à cette époque-là, leurs connaissances d’alors ne permettaient pas d’y répondre. Il leur a donc fallu émettre des hypothèses qui, faute de connaissances pour prouver qu’elles étaient fausses, sont devenues des croyances. Et peu importait que ces dernières soient farfelues, il suffisait qu’un membre de la tribu se montre assez persuasif pour que tout le monde y croit et que l’effet apaisant se fasse ressentir immédiatement. Peu à peu, nous avons ainsi commencé à attribuer tous les phénomènes inexplicables qui nous entouraient à la volonté de puissances supérieures, imperceptibles et impalpables, des puissances qu’il était nécessaire de contenter pour éviter de subir leur colère.

Puis l’holocène a permis la stabilité climatique et les chasseurs-cueilleurs nomades ont été remplacés par les éleveurs-agriculteurs sédentaires : nous nous sommes établis dans des cités, construisant des sociétés de plus en plus grandes. Petit à petit, nous avons été en capacité d’éloigner toujours plus de nos sociétés les contraintes que nous imposaient « la nature ». Et en éloignant les contraintes naturelles, nos ancêtres ont aussi éloigné d’eux le reste de la nature qu’ils considéraient hostile. Dans le même temps, ils ont commencé à domestiquer la partie de la nature qu’ils jugeaient « utile » dans leurs lieux de vie, la transformant à leur convenance avec toujours plus d’efficacité. Au fil du temps, cette puissance augmentait, l’impression de maitrise du vivant grandissait et le confort matériel s’améliorait. Siècles après siècles, nous sommes arrivés à si bien repousser « la nature hostile » et à si bien maitriser « la nature utile » dans nos lieux de vie, que nous nous sommes convaincus que les autres espèces ne pouvaient plus nous vaincre. 

Et si elles ne pouvaient plus nous vaincre, c’est que nous leurs étions supérieurs. Si nous leur étions supérieurs, c’était forcément pour une bonne raison. Et comme toujours, nos ancêtres sont allés trouver l’explication dans les puissances supérieures, imperceptibles et impalpables, celles qui, d’après eux, régissaient alors le fonctionnement du monde depuis la nuit des temps. Comme ces puissances régissaient tout, cela voulait forcément dire qu’elles nous avaient désignés pour être les maîtres de la nature, nous donnant toute autorité sur elle… tant que nous respections leur autorité à elles, bien entendu… 

Mais cela ne s’arrête pas là, et il y a un autre élément qui a été déterminant pour que nous nous autorisions à devenir des maîtres tyranniques et destructeurs du reste du vivant. Au plus loin que l’on puisse remonter et partout dans le monde, les humains ont compris que leurs pensées étaient d’une nature différente de celle de leur corps. Le corps est un amas de matière, comme le reste du monde mais ce n’est pas le cas de nos sensations, de nos émotions et de nos pensées. Nous savons maintenant qu’elles sont des informations, des données générées par le corps et utiles pour son fonctionnement de manière générale, mais ce savoir est très récent pour notre espèce et nous avons cru pendant des millénaires que ces deux choses, le corps et les pensées, étaient même dissociées.

Nos ancêtres, n’ayant pas ces connaissances, ont raisonné de la manière suivante : si la nature du corps et des pensées sont différentes et que les pensées semblent échapper à la matière, alors elles ont une nature différente et doivent appartenir à une autre réalité. Ils ont ainsi créé le concept de « l’âme », censée représenter l’ensemble de nos pensées et de nos émotions, à quelques variations près selon les cultures. Le corps appartenant au monde matériel restait quelque chose de périssable pendant que l’âme, elle, devenait quelque chose d’immortel de manière toute à fait opportune pour alléger nos angoisses existentielles.

Comme nous nous pensions, de plus, désignés par des puissances supérieures comme étant des êtres à part et comme ces puissances se trouvaient elles-aussi êtres impalpables et invisibles alors cela voulait forcément dire que nos âmes seraient choisies pour siéger aux côtés de ces divinités pour l’éternité et dans la félicité la pus parfaite, pour peu que nous ne les contrarions pas trop, toutefois.

Tous les moyens sont devenus alors bons pour gagner une place de choix dans cet autre monde impalpable qui est logiquement devenu le seul qui comptait pour les humains puisque il était le siège de l’immortalité alors que le monde matériel était celui de la mort. Dès lors, peu importait la manière dont nous traitions ce monde inférieur et sans importance soumis au pourrissement de toute chose, d’autant plus que nous avions de toutes façons été choisis pour en être les maîtres. Tout était alors réuni pour que notre tyrannie destructrice commence.

Les sociétés humaines sont ensuite devenues si grandes et si efficaces pour repousser la nature que cette dernière a été perçue comme quelque chose de plus en plus distant. Et nous avons continué à nous enfoncer dans cette erreur quand nos connaissances auraient pourtant pu nous permettre de comprendre que tout cela n’était qu’illusions, d’autant plus que les religions du livre perdaient du terrain, desservies par la mise au grand jour de leurs trop nombreuses incohérences. Oui, le mal était déjà fait : ces religions millénaires avaient laissé une empreinte trop profonde sur nos modes de pensées et nos valeurs morales pour que nous soyons en mesure de faire machine-arrière. 

Les religions en recul et le monde immatériel des âmes devenant toujours plus improbable, seul s’est mis à compter notre confort matériel et la nature n’était plus là que pour satisfaire notre volonté d’en avoir toujours plus. 

Mais les limites sont arrivées et elles devraient en théorie nous obliger à faire face à la dure réalité : nous ne sommes pas les maitres de la nature, nous dépendons d’elle et nous allons payer au prix fort le fait de l’avoir tyrannisée, nous sommes soumis à des limites physiques indépassables et nous ne sommes pas immortels, pas plus que ne l’est notre espèce.

Revenons d’ailleurs un peu sur l’idéal d’immortalité avant de passer à la suite. L’athéisme et le déisme étant depuis peu devenus les deux courants de pensée théologique majoritaires en France et dans d’autres pays « occidentaux », la croyance en une âme s’est peu à peu affaiblie grâce à la progression des neurosciences. Et avec elle, s’est aussi évanouie l’idée d’immortalité d’une partie de ce qui fait de nous des « personnes ». Mais, l’angoisse de la mort, aussi irrationnelle qu’elle puisse être, n’a pas pour autant disparue de l’esprit de l’être humain contemporain. Nous nous sommes donc trouvés à devoir faire face de manière un peu désordonnée à la résurgence de cette angoisse, « l’objet contra-phobique » pour la contrecarrer nous ayant été retiré. 

Rien d’étonnant à ce que nous nous soyons dirigés vers de nouvelles errances religieuses qui nous ont poussés vers les théories bouddhistes et hindouistes sur l’âme, un peu moins en décalage avec nos connaissances, pendant que d’autres se sont mis à espérer que les scientifiques réussiraient à enrayer le processus de vieillissement donc à supprimer la « mort par l’âge ». Cette fuite en avant face à la mort ne nous a jamais permis de réaliser une chose essentielle : la mort n’est pas grave et c’est même un processus essentiel à la vie… Mais je reviendrais sur ce point ultérieurement.

L’effondrement de notre civilisation globalisée a toutes les chances de provoquer un recul des connaissances de manière générale car cela a été le cas des sociétés complexes qui se sont effondrées par le passé. Et si les connaissances reculent, il est probable que nous observerons un retour des croyances se basant sur des explications irrationnelles, d’autant plus que les élites religieuses existantes ne devraient pas laisser passer pareille aubaine pour reprendre le contrôle des masses populaires comme elles ont toujours cherché à le faire depuis leur apparition.

Et si les anciennes croyances religieuses reprennent de la vigueur, il y a tout lieu de penser qu’elle pousseront, comme c’est écrit partout dans leurs livres dits « saints », à conserver l’idéal d’une humanité maitresse de la nature malgré la faillite évidente de ce dernier.

La toute puissance de la science, le déterminisme et le « solutionnisme technologique »

Notre espèce semble avoir besoin de croire en une force toute puissante quelle qu’elle soit, quelque chose qui nous protègerait des aléas de la vie et de la mort pour peu qu’on lui consacre suffisamment de notre énergie. Quand les religions et les divinités qu’elles nous vendaient se sont révélées être des leurres pour ceux qui avaient acquis suffisamment de connaissances pour le comprendre, c’est naturellement la science qui a pris ce rôle de force toute puissante. Pourtant, si on étudie suffisamment les connaissances qui nous sont fournies par la science, on comprend justement qu’elle n’est pas toute puissante ; la science sert justement à déterminer quelles sont les lois qui régissent le monde et qui dit « lois », dit « limites » infranchissables. Mais comme nous sommes un peu têtus et que nous n’aimons pas trop l’idée qu’il y ait des limites qu’il nous serait impossible de franchir, nous préférons croire que la science peut tout, y compris passer outre les limites qu’elle a elle-même définies comme étant infranchissables. 

Nous avons continué d’y croire parce que la quasi-totalité des récits qui remplissent notre imaginaire depuis notre plus tendre enfance nous donnent l’image d’une science qui arrive à bout de tous le défis et qui rend l’impossible possible, nous avons continué d’y croire parce qu’elle a démontré pourvoir rendre tant de service par le passé que son pouvoir semblait en effet illimité et nous avons continué d’y croire parce que de trop nombreux scientifiques ont continué de nous promettre qu’ils allaient arriver à triompher de tous les problèmes. Mais ces scientifiques, au fur et à mesure que la science s’est complexifiée sont devenus toujours plus spécialisés donc toujours moins polyvalents. En même temps qu’ils devenaient moins polyvalents et que leurs disciplines devenaient de plus en plus cloisonnées avec les autres, ils sont devenus incapables de raisonner de manière systémique, conduisant des réflexions qui ne tenaient plus compte des contraintes qui s’appliquaient aux autres disciplines dont ils étaient devenus trop ignorants. Et leurs promesses sont ainsi devenues irréalistes sans que l’immense majorité des gens n’arrive vraiment à s’en rendre compte, leurs conclusions étant trop techniques pour le commun des mortels.

Une de ces limites, c’est celle du « principe d’incertitude » (ou d’indétermination) qui, avec la théorie du chaos, détruit l’idéal du déterminisme. Avant d’aller plus loin, il serait intéressant d’expliquer ce qu’est le déterminisme. L’idée qu’il était possible de prévoir la position et la vitesse de n’importe quel élément de notre univers pour peu qu’on connaisse avec précision ses caractéristiques ainsi que celles de tous les objets avec lesquels il interagit, a surgit après la théorie de la gravitation de Newton. L’univers en devenait potentiellement prévisible et donc « contrôlable ». Or, nous, les êtres humains aimons à penser que les choses n’échappent pas totalement à notre contrôle, que par nos actions, nous sommes en mesure d’influer sur le cours des événements. La religion est apparue précisément pour cela, puisqu’il suffisait d’être soumis aux puissances supérieures, de faire leurs volontés pour qu’elles nous accordent un destin enviable. Le déterminisme est venu se substituer à la religion puisque les divinités ont alors été remplacées par des lois physiques qui nous permettaient de comprendre et de maîtriser notre environnement bien plus efficacement qu’avec des prières.

Mais le « principe d’incertitude » a démontré qu’une telle chose nous était impossible et que le monde ne pouvait être appréhendé que par une approche probabiliste. Le monde cessait de devenir parfaitement prévisible selon les conditions initiales, mais tendait plutôt « vers tel ou tel état probable ». 

Quant à la théorie du chaos, elle a tout aussi largement contribué à nous imposer plus d’humilité en nous apprenant que seule l’approximation nous permettrait d’appréhender (imparfaitement) certains systèmes chaotiques .

Autrement dit, la science aurait dû nous faire réaliser que « vivre » de manière générale, ce n’était que « gérer l’incertitude par le biais des probabilités et de l’approximation ». Mais, à l’instar des idéaux véhiculés par les religions, les idées que le déterminisme a implantées dans notre manière de voir le monde ont la vie dure et sont fermement ancrées dans notre imaginaire collectif, entretenues par les récits de science-fiction et les exploits du passé. Mais vous vous demandez peut-être en quoi le déterminisme aurait un rapport avec le sujet présent.

Comme j’en ai déjà parlé dans la partie 5 de ces articles, l’idée fausse que le monde était potentiellement prévisible donc contrôlable a créé l’illusion du « solutionnisme technologique » : à un problème correspond forcément une solution technique. Mais les choses sont bien plus complexes que cela, comme on l’a vu précédemment, et cette illusion du « solutionnisme technologique » nous a empêché de le réaliser, donc d’avoir une attitude appropriée pour empêcher le désastre de se produire.

Une fois de plus, il ne faut pas surinterprèter mes propos : la science a apporté énormément à notre espèce et il ne faut surtout pas la renier. Elle est au contraire essentielle à notre avenir mais il faut juste ne pas lui attribuer une propriété qu’elle ne peut pas assumer : celle d’apporter une solution à tous les problèmes. Il vaudrait bien mieux lui redonner la place qu’elle est censée occuper, à savoir celle d’un outil pour comprendre comment fonctionne le monde qui nous entoure et surtout comment « mieux » interagir avec lui… sachant que par « mieux », j’entends « au bénéfice du vivant en général ».

L’effondrement de notre société globalisée et le choc distributif qu’il va occasionner dans nos pays occidentaux et « occidentalisés » vont certainement retentir de manière négative sur cet idéal par le biais d’au moins deux mécanismes. Tout d’abord, le choc distributif va faire la démonstration à la population que la toute-puissance de la science a été prise en défaut. De même, la difficulté d’accès aux ressources énergétiques et non énergétiques ainsi que la baisse de l’alphabétisation et du niveau d’éducation vont rendre les actuelles technologies de pointe inaccessibles et inemployables.

Quel bilan idéologique tirer de tout cela ?

L’élaboration d’un « plan C » nécessite, avant toute autre chose, de déterminer quels sont les idéaux qu’une future société se devra de viser et de défendre. Ainsi, elle en conservera certains qui faisaient les sociétés du passé, elle en abandonnera d’autres et elle en créera de nouveaux. Mais avant de déterminer lesquels de ces idéaux il faudrait tenter de préserver, lesquels il faudrait créer, lesquels il faudrait oublier temporairement ou définitivement et lesquels il faudrait combattre, il faut essayer d’abord de comprendre lesquels sont impliqués dans la survenue du désastre qui va nous frapper. 

Pour répondre à cette première question, on pourrait artificiellement les séparer en deux  groupes : ceux qui nous ont mis sur la route qui conduisait à la surproduction, la surconsommation et le dépassement des limites planétaires et ceux qui nous ont empêchés de faire machine arrière ou de viser une stabilisation en deçà de ces limites.

1 - Ceux qui ont conduit à la surconsommation : la surconsommation des ressources naturelles résulte de la consommation moyenne par habitant multipliée par la population totale. Tous les idéaux qui poussent donc à la croissance démographique et à la croissance de la consommation moyenne sont donc à mettre dans cette catégorie. Ceux qui poussent à la natalité sont le capitalisme (cf bibliographie) et les religions de manière générale. Ceux qui poussent à la surconsommation moyenne sont le capitalisme, la démocratie (celui qui prône la stagnation ou la décroissance perd les élections) et l’idéal d’abondance de richesses pour tous. L’idéal de liberté me semble aussi rentrer dans cette catégorie par la recherche d’un maximum de temps libre fourni par les machines pour pouvoir l’exercer. Et on pourrait dès lors, par esprit de logique, y ajouter l’idéal d’éducation pour tous parce qu'il nécessite la mise en place du même mécanisme (la genèse de temps libre par l’utilisation d’esclaves mécaniques), mais possiblement dans une moindre mesure, pour une raison que j’aborderai plus tard.

2 - Ceux qui ont empêché la stabilisation et la recherche d’un équilibre : 

  • La démocratie tout d’abord, parce que, comme on l’a vu dans la partie 3  et dans la partie 4, elle a empêché par son mode de fonctionnement même, la mise en place de mesures douloureuses mais nécessaires pour la majorité du peuple votant.
  • La paix et la fraternité, forcément, puisque ces deux idéaux tirent trop de bénéfices du maintien du système en place. Vouloir abattre ce système auto-entretenu si certains le jugeaient à juste titre trop dangereux, passerait forcément par une guerre mondiale et ceux qui la déclencheraient seraient parmi les premiers à en pâtir…
  • Le statut de « maîtres du vivant », légué par la puissance de Dieu dans les religions du livre, parce qu’il a légitimé toute action qui consiste à domestiquer la nature, tout simplement parce que c’est ce que nous sommes censés faire dans ces fameux livres « saints ».
  • La séparation du corps et de l’esprit avec les concepts d’âme et d’arrières-mondes qui y correspondent. Peu importe les dégradations qui sont faites dans le monde matériel  qui est un monde « impur » dont le devenir n’a que peu d’importance par rapport au « royaume de Dieu » dont la valeur est tellement supérieure,…
  • Le déterminisme et le « solutionnisme technologique » qui ont laissé espérer que, quelles que soient les conséquences de nos excès, nous parviendrions toujours à trouver un moyen d’y remédier grâce à la science et à ses applications.

Conséquences sur nos élites

Les élites sont ceux qui bâtissent une société, assurent son bon fonctionnement et sa pérennité. Dans notre imaginaire actuel, les « bonnes élites » sont ceux qui ont contribué aux éléments « salutaires » de notre société dans l’intérêt général des citoyens. Les « mauvaises élites », en revanche, sont ceux qui ont détourné le système à leur avantage, au détriment du peuple qu’ils sont censés servir ou ceux dont les actions aboutissent à la dégradation des conditions de vie du peuple. Si nos ancêtres ont pu vivre dans ces société et en retirer tant de bénéfices, on comprend qu’ils aient porté aux nues les élites qui en étaient responsables. Les élites intellectuelles, politiques et religieuses qui ont   construit les idéologies fondatrices de ces sociétés et celles qui ont contribué à leur formation d’une quelconque autre manière ne pouvaient alors qu’être admirées. Citons quelques-un de ces noms illustres : Aristote, Platon, Cicéron, Sénèque, Voltaire, Rousseau, Descartes, Kant, Marc Aurèle, Constantin, Charlemagne, Bismarck, Charles Quint, Les pères fondateurs des États-Unis d’Amérique, Karl Marx, Churchill, Roosevelt, de Gaulle, Adam Smith, Newton, Einstein, Moïse, Jésus-Christ, le prophète Mahomet, Le pape Pie XII, le pape François, Siddhartha Gautama et encore tant d’autres…

Mais qu’en est-il de nous ? Que doit-il en être de notre propre jugement vis-à-vis de ces élites, celles-là même qui ont construit une société que nous allons voir s’effondrer avec des conséquences terribles pour nos conditions de vie future et celles de nos descendants ? Eh bien, si l’on s’en tient à ce que l’on a dit précédemment, la réponse est évidente : la société qu’ils ont construite ne sera pas salutaire pour nous et leurs actions, leur manque d’efficacité ou leur absence de vision à long terme auront abouti, au final, à la dégradation de nos conditions de vie future. Ce n’est ni plus ni moins qu’un terrible constat d’échec pour ces élites : la société qu’ils ont générée puis maintenue est mal conçue, non durable, et surtout, par le biais des dégradations environnementales qu’elle occasionne, elle est susceptible de menacer à terme la survie même de notre espèce. C’est un désaveu total et il faudrait être aveugle pour ne pas le voir : tout est à refaire, il faut repartir de zéro…

Avant de poursuivre, je tiens à apporter une précision : oui, tout est à refaire, mais tout n’est pas forcément à jeter. Certaines des idées et certains des concepts qui ont été accouchés par toutes ces élites pourraient se révéler très utiles pour la construction des futures sociétés qui vont naître des cendres de notre actuelle civilisation globalisée. Là-aussi, je reviendrai sur ce sujet plus tard.

Ensuite, une des conséquences les plus importantes porte sur le regard que nous avons de nos actuelles élites intellectuelles, politiques et religieuses. Il nous faut maintenant réaliser une chose tout à fait capitale les concernant : certaines étaient conscientes du problème et n’ont rien pu faire pour l’en empêcher, d’autres en étaient conscientes et ont tout fait pour le cacher afin de tirer au mieux leur épingle du jeu, les dernières, enfin, méconnaissaient le problème et se sont donc enfoncées dans leurs erreurs. Et voici ce qu’on doit conclure de cela : les premiers, ceux qui étaient conscients du problème mais n’ont rien pu faire, sont suffisamment intelligents mais ne sont pas assez forts pour faire changer les choses, les seconds, ceux qui ont tout fait pour le cacher afin de s’en tirer au mieux, sont suffisamment intelligents mais terriblement malhonnêtes, et enfin, les derniers, ceux qui méconnaissaient la réalité du problème, sont insuffisamment intelligents et perspicaces pour le comprendre.

Les premiers gesticulent inutilement sans arriver à rien faire évoluer dans le bon sens. Les seconds gesticulent eux-aussi mais dans le but de créer une sorte d’écran de fumée devant le problème, problème qui serait susceptible de les faire chuter trop précocement, avant qu’ils ne soient préparés à échapper à la vindicte populaire qui ne manquera pas de survenir. Les troisièmes gesticulent tout aussi inutilement mais ne se rendent même pas compte qu’ils sont en train d’agiter de l’air. Dès lors, que méritent les personnes qui sont censées assurer la pérennité et le bon fonctionnement de la société mais qui, alors que le bateau coule, passent en fait leur temps à gesticuler inutilement, soit parce qu’ils ne savent pas quoi faire pour lui éviter de couler, soit parce qu’ils comptent bien récupérer le canot de sauvetage pour sauver leur peau, soit parce qu’ils ont juste envie de se montrer ? Que méritent-ils à part notre pitié, notre ressentiment le plus dur ou notre mépris le plus profond ?

Et des gens que le peuple méprise, honnit ou prend en pitié sont-ils dignes d’assurer le statut d’élite des futures sociétés ? Non, ils ne le sont pas. Et une des plus grandes difficultés à venir résidera d’ailleurs dans le fait de trouver les nouvelles élites qui le seront…

Juste pour que les choses soient claires me concernant : je faisais bien partie de ces élites il y a peu, avant que je ne présente ma démission du service public. J’ai appartenu longtemps à la troisième catégorie, ceux qui sont méprisables, puis j’ai rejoins la  première catégorie, ceux qui sont pitoyables. Fort heureusement, je n’ai jamais eu l’idée de faire partie de la seconde catégorie, ceux qui sont haïssables.

Avant de passer à la suite, je fais une précision sur les médias. Eux-aussi sont les élites de nos sociétés car eux aussi ont participé à l’élaboration progressive des idéologies qui sont à l’origine de notre société globalisée, eux-aussi défendent ces idéaux, eux-aussi font partie d'une de ces trois catégories. Et désolé de le dire, mais les journalistes de Mediapart qui ont la gentillesse de m’héberger sur ce Blog font partie des élites médiatiques et se trouvent ainsi dans la première ou la troisième catégorie. Au moins échappent-ils à la malhonnêteté ce qui n’est déjà pas si mal.

Toujours concernant les journalistes, leur responsabilité dans la situation actuelle est très lourde. Ils ont en effet un rôle essentiel d’information du peuple et n’ont donc pas joué leur rôle. Pire, ils ont participé au fait de créer l’écran de fumée qui a empêché les gens de voir la réalité du problème et de comprendre comment on en était arrivé là, s’acharnant à vendre l’information plutôt qu’à la prodiguer. Car qui dit « vente » dit « client ». Or un client doit être satisfait et il faut donc lui vendre une information dont il a envie d’entendre parler. Et si cette information ne l’intéresse pas aussi importante soit-elle, elle passera loin derrière celles pour lesquelles il a de l’appétence. C’est ainsi que ce sujet, qui devrait être le seul qui compte et qui soit totalement maitrisé par les journalistes de tous bords, est marginalisé au profit de sujets montrant des gesticulations diverses et variées comme le mariage d’on-ne-sait-quelle célébrité, le salon de l’agriculture, l’épaisseur de la couche de neige dans les stations de ski, la découverte d’une nouvelle planète à des milliers d’années-lumière ou encore les élections présidentielles.

Dernier cas particulier à aborder dans les implications à propos des élites, celui des penseurs qui avaient anticipé que ce corpus idéologique allait nous mener tout droit à l’auto-destruction. Il font donc partie de la première catégorie et on compte pourtant parmi eux des esprits parmi les plus puissants. Je citerais volontiers Friedrich Nietzsche, Claude Levi-Strauss, l’équipe du rapport Meadows, Jean-Marc Jancovici,  Joseph Tainter, Pablo Servigne (et ses co-auteurs) mais il y en aurait tellement d’autres qu’il me sera difficile d’être exhaustif. Si j’ai pour eux le plus grand des respects puisqu’ils font partie de ceux qui m’ont permis d’ouvrir les yeux, je suis obligé de constater que leur action a été d’une grande inefficacité et qu’ils ont donc manqué de force et de puissance pour empêcher un désastre qu’ils avaient prévu en partie ou en totalité.

Quelles implications pour nous, le peuple ?

Il serait, en effet, beaucoup trop facile de dédouaner la masse populaire de cet échec retentissant. Un peuple a en effet les élites qu’il mérite car elles ne peuvent se maintenir en place que parce qu’il les accepte comme telles. Ainsi, qu’il en soit conscient ou pas,  que ce soit de manière directe ou indirecte, c’est bien le peuple qui adoube ses élites, quel que soit le régime politique en place, ce qui le rend responsable de son destin quoi qu’il arrive. 

Par ailleurs, concernant les élites qui appartiennent à la première catégorie, à savoir ceux qui avaient compris mais qui n’ont pas eu assez de force et de puissance pour changer le cours des événements, si elles ont justement manqué de ces deux qualités, c’est bien parce que les masses populaires ne leur en ont pas assez conféré. C’était aux élites de convaincre le peuple mais c’était au peuple de les écouter suffisamment attentivement pour leur confier ce pouvoir et cette force.

Oui, nous sommes tout aussi responsables du désastre que nos élites le sont. Nous avons manqué d’intelligence, de force, de détermination, de clairvoyance, de discernement, de maturité, mais aussi d’humilité face au reste du vivant et face à l’inviolabilité des lois de ce monde, nous avons préjugé de nos propres capacités à contrôler une chose aussi complexe que la nature et en faisant cela nous l’avons gravement déséquilibré.

Ainsi l’humanité entière mérite ce qui va lui arriver. Nous avons semé le vent et nous n’allons faire que récolter la tempête. Mais quand on commet une erreur, ne dit-on pas qu’il faut d’abord la reconnaître puis ne pas la reproduire ? 

La question est donc : serons-nous capable de reconnaitre cette erreur de manière globale et serons-nous ensuite capable de ne pas la reproduire ? Je ne lis pas dans l’avenir et je ne suis donc pas capable de répondre à cette question mais je ne poursuis  désormais plus qu’un seul but : celui de rendre possible une telle chose avec le fameux « plan C » dont je vous parle depuis le début sans pour autant avoir commencé à l’exposer. La prochaine fois, je commencerai donc à vous expliquer quelle est selon moi la bonne méthode pour concevoir ce « plan ».

Bibliographie 

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