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Billet de blog 14 décembre 2019

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Comment expliquer tout ça ?

Comment expliquer toutes ces pratiques frauduleuses, à très grande échelle et depuis de nombreuses années de la part de l'institution Pôle emploi ? Seule une enquête judiciaire pourrait apporter un éclairage sur les ressorts de chaque préjudice, en attendant voici 7 hypothèses.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bien qu'à Pôle emploi les contrats de travail soient quasiment tous de droit privé, l'opérateur est bel et bien un établissement public à caractère administratif qui n'appartient donc à personne d'autre qu'au public. Souvent les carambouilles en entreprise s'expliquent par un enrichissement personnel, les actes délictueux servent les intérêts privés du propriétaire de l'entreprise, de salariés, d'administrateurs et/ou d'actionnaires. Mais là, concernant Pôle emploi, comment expliquer les dysfonctionnements, les pratiques frauduleuses et autres dissimulations ?

On peut imaginer plusieurs hypothèses mais naturellement, seule une enquête judiciaire pourrait les valider. Voici 7 hypothèses :

. La finance internationale : comme évoqué dans cet autre article, la dette de l'Unédic est en partie détenue par des investisseurs internationaux, certains situés dans des paradis fiscaux. L'intérêt de ces investisseurs, c'est évidemment que l'Unédic encaisse un maximum d'argent et en dépense un minimum. Or difficile d'imaginer qu'un investisseur ne communique jamais avec le gestionnaire final des fonds sur lesquels se fait la spéculation, le tout est de déterminer les mécanismes et le degré d'influence. Dans cette hypothèse, compte tenu du caractère sulfureux de ces liens d'argent, les injonctions irrégulières à Pôle emploi ne pourraient provenir que d'un très petit nombre de personnes à la fonction d'autorité majeure, permettant à ces personnes de s'assurer que les injonctions seront bien respectées sur l'ensemble du territoire national.

. Les objectifs individuels : beaucoup de cadres à Pôle emploi ont dans leur mission la bonne gestion budgétaire des fonds utilisés dans leur périmètre d'action et c'est une mission salutaire que de bien gérer l'argent public. Le revers c'est que ces personnes ont alors un intérêt privé à dépenser le moins possible pour espérer une prime salariale ou une promotion de carrière. Quitte à enfreindre les règles au préjudice du public ? De ce point de vue, l'ex-statut public de l'ANPE était plus sécurisant car les primes variables étaient bien plus modestes donc moins pousse-au-crime.

. L'incompétence : dans cette hypothèse, un petit nombre de décisionnaires majeurs définiraient de bonne foi des consignes illégales ou non conformes à la réglementation, simplement par négligence ou précipitation, puis un système très descendant ferait que ces consignes seraient appliquées par tous les salariés sans qu'aucun d'entre eux n'identifient les anomalies et/ou n'osent les contester, pas même les syndicats. Ce serait inquiétant car ça mettrait au jour soit de graves lacunes dans l'apport et l'entretien des compétences du personnel de Pôle emploi, soit un système ultra-directif et donc très peu démocratique, soit les deux. Globalement, le principe de Peter illustre très bien cette hypothèse.

. La paresse : lorsque toutes les pratiques révélées dans ce blog seront mises en conformité, naturellement ça demandera à Pôle emploi un peu plus de travail. Inscrire des jeunes pour qu'ils touchent leurs allocations chômage pendant leur formation, saisir l'IPR pour étudier les attestations où des salaires élevés sont inexplicables, traiter les dossiers ASS des intermittents du spectacle, etc. Tout ça nécessite du travail humain et comme il est expliqué dans cet autre article Pôle emploi est intégralement financé par les contributions publiques, augmenter les effectifs de Pôle emploi reviendrait donc à augmenter les contributions publiques tandis que de très nombreuses entreprises et de très nombreux citoyens se plaignent de payer déjà trop de contributions. Pour autant les droits du public, dès lors qu'ils ont été actés par le cadre réglementaire & légal, ne peuvent en aucun cas servir de variable d'ajustement ! Ce n'est pas l'objet de ce blog mais des gains de productivité considérables sont encore possibles à Pôle emploi sans conduire les agents et le management au surmenage et naturellement sans jamais (plus) priver le public de ses droits pour alléger la charge de travail...

. L'orgueil : cette hypothèse est en lien avec la précédente, des personnes décisionnaires pourraient avoir fait erreur dans une consigne mais ne pas vouloir ensuite reconnaître cette erreur et se dédire, surtout si la contestation émanait de salariés au grade inférieur si on se place dans une vision verticale de l'organisation. Dès lors, la personne décisionnaire qui refuserait la mise en conformité ne serait plus dans l'erreur mais dans la faute puisqu'elle conforterait un usage irrégulier en pleine conscience. On ne peut pas exclure non plus le sentiment de toute puissance, la sensation de pouvoir au-dessus des règles et des lois. Ce serait alors un penchant particulièrement sadique au regard des préjudices lourds pour le public mais la personne fautive en aurait-elle vraiment conscience ? Un tel narcissisme serait-il compatible avec l'empathie nécessaire pour travailler au service du public ?

. Le dogmatisme : en lien avec l'hypothèse du sentiment de toute puissance (et peut-être d'impunité), une personne décisionnaire pourrait agir selon ses propres opinions, elle pourrait estimer que le législateur ou d'autres instances ayant défini la réglementation n'ont pas agi dans le bon sens. Ce pourrait-être par exemple une explication des agissements contre les intermittents du spectacle dont le régime fait souvent débat. Mais quand une règle est définie et tant qu'elle est en vigueur, qu'on la trouve juste ou non, il appartient à chaque salarié d'un service public de s'y conformer, fusse un salarié disposant d'un pouvoir décisionnaire.

. Le corporatisme : il ne s'agit pas ici de comprendre l'origine d'une défaillance mais comment elle peut perdurer. Cette hypothèse est toute simple : par solidarité envers ses pairs et/ou pour être bien vu·e, une personne "couvre" l'ensemble des intervenants et surtout l'intiateur·trice du manquement en question. Autrement dit, la personne choisirait ainsi de servir les intérêts de salariés au détriment des intérêts du public.

La démarche des alertes de ce blog n'est pas d'ouvrir une enquête pour identifier et punir les responsables des défaillances, il s'agit d'informer le public pour qu'il puisse obtenir réparation. Cependant, outre la création d'un organisme indépendant de contrôle évoqué dans cet article, Pôle emploi devra nécessairement revoir son fonctionnement pour sécuriser ses services. Pour ce faire, les hypothèses évoquées ici peuvent apporter des axes d'analyse pour définir ensuite les dispositions adéquates. Et puis il s'agit là d'éclairer aussi la compréhension du public pour répondre à cette question : dans un État de droit comme la France, comment peut-on en arriver là ?

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♥ Pour soutenir l'auteur : https://fr.tipeee.com/alertes-pole-emploi

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