
La Préfecture de la Haute-Garonne a établi une liste des squats et bidonvilles : en tout 18 sur la commune de Toulouse, un sur celle de Blagnac, établissant une évaluation insuffisante du nombre de personnes par site et négligeant un certain nombre de sites, dont l’un existe depuis 2016, assez connu pour avoir défrayé la chronique. Des associations veillent à l’approvisionnement en nourriture des personnes vivant dans des conditions plus que précaires, ne se limitant pas à la liste qu’a dressée la Préfecture. Elles attendent de cette dernière qu’elle fournisse une aide sur la foi des chiffres qu’elles avancent et non en listant pour chaque site le nombre de personnes (jamais la distribution alimentaire ne s’est faite avec des listes par adresse de résidence, dans une conception policière du traitement du problème).
Mardi, cette dernière a arraisonné un camion plein de nourriture de la Banque alimentaire dont la cargaison était destinée à au moins 800 personnes vivant dans des squats, alors même qu’elles n’ont rien reçu depuis dix jours ! Situation ubuesque si elle n’était pas tragique : car les entrepôts de la Banque alimentaire et ceux des Restos du Cœur sont pleins.

Le Directeur départemental de la cohésion sociale (DDCS) a estimé qu’il n’était pas urgent de compléter cette liste. Les associations, tous les acteurs de la solidarité, qui se battent au quotidien pour rendre la vie moins dure à celles et ceux qui subissent une misère grandissante, constatent que la Préfecture et l’Agence régionale de Santé (ARS) ont tendance à tergiverser, comme si ces institutions de l’État ne prenaient pas la mesure de la gravité de la situation. Lenteur à prendre conscience que les acteurs de la solidarité devraient être équipés de protection (au moins masques, en particulier ceux qui distribuent en direct l’aide alimentaire) et que l’État a à agir en ce domaine. Cette inertie en dit long sur l’approche bureaucratique de ces questions vitales par un certain nombre de cadres de l’État.
Plusieurs associations ont fermé leurs accueils de jour à cause des règles de distanciation physique : de façon ubuesque, la Préfecture s’est insurgée devant cette fermeture, alors même que c’est l’État, qu’elle représente, qui n’a pas donné les moyens de résister à la contamination.
Thomas Couderette, co-fondateur du CEDIS (Collectif d’entraide et d’innovation sociale), dit que cette incapacité à travailler correctement en réseau sur les enjeux liés à l’hébergement, avec tous ceux qui sont engagés dans cette lutte, « devient dramatique voire criminelle ».

Que ce soit Médecins du Monde, la Fondation Abbé-Pierre ou le CEDIS, tous constatent que la crise du Covid19 et le confinement font plonger un plus grand nombre de personnes dans la grande précarité. Les enfants ne mangent plus dans les cantines scolaires, les petits boulots (même à peine rémunérateurs) ne sont plus possibles. Ce qui est générateurs de tensions, tant dans les quartiers populaires que sur les aires de stationnement, ainsi que sur les points de distribution de colis alimentaire où se produisent des actes de violence. Il va de soi que les services de l’État ont tout intérêt à jouer le jeu avec les acteurs de la solidarité plutôt que de leur mettre sans cesse des bâtons dans les roues, et bien pire que ça.
L'État ne donne presqu’aucun élément concret permettant d’apaiser la situation dans les squats et bidonvilles, les quartiers populaires, les aires de stationnements licites ou illicites, et les cités de sédentarisation. La ville de Toulouse, compte tenu du report du deuxième tour des élections municipales, est peu armée pour agir et ne vient pas compenser autant que d'habitude les insuffisances de l'État.
Thomas Couderette redoute que l’on soit entré « dans un cercle vicieux dont il sera difficile de sortir. De très fortes tensions, voire des "émeutes de la faim", risquent de se développer dans les jours ou semaines à venir ». L’État, qui pourrait être confronté à une situation explosive, en particulier dans les quartiers où la crise déjà existante est démultipliée, ne pourra pas dire qu’il n’a pas été averti.

Billet n° 543
Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup
[Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Voir présentation dans le billet n°100. L’ensemble des billets est consultable en cliquant sur le nom du blog, en titre ou ici : Social en question. Par ailleurs, les 200 premiers articles sont recensés, avec sommaires, dans le billet n°200. Le billet n°300 explique l'esprit qui anime la tenue de ce blog, les commentaires qu'il suscite et les règles que je me suis fixées. Le billet n°400, correspondant aux 10 ans de Mediapart et de mon abonnement, fait le point sur ma démarche d'écriture, en tant que chroniqueur social indépendant, c'est-à-dire en me fondant sur une expérience, des connaissances et en prenant position. Enfin, dans le billet n°500, je m’explique sur ma conception de la confusion des genres, ni chroniqueur, ni militant, mais chroniqueur militant, et dans le billet n°501 je développe une réflexion, à partir de mon parcours, sur l’engagement, ou le lien entre militantisme et professionnalisme]