YVES FAUCOUP (avatar)

YVES FAUCOUP

Chroniqueur social

Abonné·e de Mediapart

887 Billets

2 Éditions

Billet de blog 9 juin 2025

YVES FAUCOUP (avatar)

YVES FAUCOUP

Chroniqueur social

Abonné·e de Mediapart

Grève victorieuse à l’hôpital psy

Dans un long billet précédent, j’ai décrit une lutte menée depuis plusieurs années par le personnel de l’hôpital psychiatrique d’Auch dans le Gers, pour éviter la fermeture de lits, et obtenir les recrutements nécessaires sur des postes créés. Au terme de 23 jours de grève, l’Agence Régionale de Santé d’Occitanie a lâché du lest et donné satisfaction aux grévistes sur de nombreux points.

YVES FAUCOUP (avatar)

YVES FAUCOUP

Chroniqueur social

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Négociation victorieuse du 3 juin avec le directeur de l'ARS, les matelas symbolisant les lits qu'il ne faut pas fermer [Ph. YF]

Dans l’article publié le 2 juin, intitulé Crise et grève dans un hôpital psy, je remontais à 2007 pour me faire l’écho des luttes menées par les soignants pour obtenir que la direction, visant sans cesse la restriction des moyens, ne ferme pas un service et se bouge pour recruter médecins et infirmières, sur des postes non pourvus mettant en danger les conditions d’accueil des patients. Je faisais le récit plus précisément des quatre dernières années que j’avais particulièrement suivies, en publiant des chroniques détaillées sur ma page Facebook, rendant compte des négociations, souvent suite à l’envahissement des bureaux de la direction de l’hôpital ou des services de l’ARS.

Le 28 mai, le député du Gers David Taupiac (LIOT) a interpellé le ministre de la santé à l’Assemblée Nationale : Yannick Neuder lui a répondu qu’il se souciait de la situation de cet hôpital (Centre Hospitalier du Gers, CHG). Il n’a pas contesté les constats faits par le personnel en grève, il a annoncé qu’il demandait au directeur régional de l’ARS, Didier Jaffre, de venir à Auch la semaine suivante et de se rendre au CHG. Sauf que M. Jaffre a voulu que ce soit à l’ARS, mais le personnel a insisté pour que la demande du ministre soit respectée et que la rencontre se passe bien là où le conflit avait lieu.

Illustration 2
Didier Jaffre (ARS Occitanie) à son arrivée au CHG en conversation avec Fabrice Lamarque (CGT) sous le regard rieur de Didier-Pier Florentin (ARS Gers) [Ph. YF]

C’est ainsi que le 3 juin, dans la salle de l’hôpital où tant d’interventions ont eu lieu depuis tant d’années, une rencontre s’est tenue entre le directeur régional de l’ARS, son directeur départemental, les cadres de direction de l’hôpital, les délégué·e·s CGT et 120 personnes (autres agents de l’hôpital et soutiens extérieurs).

Il va de soi que le directeur de l’ARS aurait préféré que les choses se résolvent sans sa venue, car il lui faut négocier, alors que sa fonction l’oblige à procéder à des coupes claires dans les dépenses de santé (c’est à ça que sert, en partie, l’ARS, en subissant le moins possible les pressions du personnel politique local, des citoyens ou des soignants). Le Gers est dans une situation sinistrée dans le domaine de la santé mentale, et cela pourrait être pire, sachant que seulement la moitié des Gersois hospitalisés le sont au CHG (les autres vont dans les départements limitrophes).

Le député David Taupiac et Camille Bonne (conseiller départemental) sont présents, l'autre député (Renaissance) Jean-René Cazeneuve est représenté par un collaborateur, le sénateur Franck Montaugé aussi. Au cours de plusieurs interventions, les grévistes et leurs délégués vont lister les problèmes (déjà longuement évoqués dans mon long article de blog). Des médecins vont aussi s’exprimer : Ionela Frantescu, présidente de la Commission Médicale, qui répète que sans moyens « on devra fermer la boutique » et Catherine Vaillant, pédopsychiatre, dont j’ai publié le témoignage dans mon article. Infirmières, aides-soignantes, assistante sociale, prennent la parole. Pour un peu, la direction de l’hôpital (représentée par quatre sous-directeurs, car le directeur en titre est absent pour maladie depuis plusieurs mois) n’allait rien dire. Les grévistes, qui ont mis en évidence des ratés dans les recrutements, demandent à ce qu’elle livre ce qu’elle entreprend réellement pour améliorer une situation plus que tendue dans cet hôpital qui a tant de postes non pourvus. Une des cadres, qui a refusé d’assumer seule la direction par intérim, liste avec précision les actions entreprises (dont logements de qualité proposés). Puis le directeur régional de l’ARS parle, tentant de tenir le micro en demandant à ne pas être interrompu (il n’y parviendra pas).

C’est tout l’intérêt d’assister à ce genre d’événements : d’une part, être en prise directe avec un mouvement social d’intérêt général, mené en solidarité entre agents ; d’autre part constater les méthodes des instances dirigeantes.

Fabrice Lamarque (CGT) rappelle que la politique macroniste (à laquelle adhère le député du Gers, JR Cazeneuve, qui n’a manifesté tout au long du conflit aucune solidarité) ne consiste pas à se préoccuper réellement de la santé mentale des Français, malgré la décision de faire de 2025 une année nationale qui lui est dévolue et dont la campagne n’a même pas réellement commencé (pas avant la journée mondiale de la santé mentale qui, elle, se tient en octobre prochain). Et la T2A (tarification à l’activité), qui doit être étendue au secteur de la psychiatrie risque d’aggraver la fragilité des hôpitaux. Au cours des échanges, M. Jaffre va régulièrement tenter, consciemment ou non, de renvoyer la balle à tout le monde : il y a un problème de recrutements ? Il interpelle les médecins et les agents sur leur participation à la recherche de candidatures ! Quand un jeune psychiatre prend la parole (exposant avec force la réalité du CHG, constatant avec tristesse qu’il faut toujours attendre un scandale, un drame, pour que l’ARS bouge), M. Jaffre insiste lourdement pour savoir pourquoi ce médecin est venu travailler à Auch. Il se plaint que la psychiatrie ne soit choisie que de façon « epsilonesque » par les étudiants. Quand il évoque le numerus clausus, certes il déclare, à raison, que le corps médical est en cause dans cette volonté de limiter le nombre de médecins en exercice [pour restreindre la concurrence], il ajoute même que le Conseil de l’ordre continue à vouloir freiner, mais pour conclure presqu’aussitôt que cet état de fait relève d’une « responsabilité collective ».

Il lui est répondu par le personnel que la responsabilité n’est pas collective mais politique : les citoyens, les soignants, n’y sont pour rien (d'autant plus que les délégués CGT contestaient ici le numerus clausus déjà en 2007 et passaient alors pour farfelus). L’ARS devrait être garante de la continuité des soins, quels que soient les moyens pour y parvenir, c’est sa « tambouille », lui lancent un délégué. Y compris si cela doit passer par une enveloppe permettant d’attirer des médecins à Auch (prime de solidarité territoriale, qui peut être légalement majorée). En libéral assumé (au mauvais sens du terme), il se réjouit qu’on ne puisse imposer à un médecin d’aller à tel ou tel endroit. Sauf qu’il lui est rappelé que la Constitution prévoit que tout le monde a droit à être soigné.

Les interventions du personnel, y compris de médecins sont chaleureusement applaudies, mais aussi l’une du directeur de l’ARS d’Occitanie lui-même quand il lâche tout de go : « il vaut mieux qu’il y ait plus de personnels que pas assez » et qu’il admet que si les postes de psychiatres ne sont pas tous pourvus alors il y a de l’argent disponible pour recruter (ce que les agents se crèvent à proclamer dans le vide depuis longtemps). Il dit même : « Vos revendications ne sont pas inatteignables » ou « on va tout faire pour vous aider », comme si ce n’était pas l’institution qui aurait dû au préalable constater et compenser les manques. Ensuite, il déroule des lieux communs du genre : « il n’y a ni baguette magique, ni argent magique », « je ne fabrique pas des billets le soir en me couchant ». À la grande surprise de ses interlocuteurs, il découvre qu’il existe dans le Gers une clinique privée psychiatrique (Embats) ! Par contre, il sait qu’il y a à Auch un Institut de formation aux soins infirmiers (IFSM) et rend hommage à Carole Delga, présidente de la Région, qui veille à décentraliser les formations. Il est prêt à financer un film sur l’intérêt de venir exercer dans le Gers.

Illustration 3
[Ph. YF]

C’est alors qu’Angèle (CGT), en colère, constate que ça part dans tous les sens : « la langue de bois vous la maitrisez bien, présentez-vous à des élections » ! On est fatigué, dit-elle, on est prêt à arrêter la grève si vous signez un protocole avec vos engagements. Au bout de deux heures et demi, l’ARS vient de reconnaitre que l’absence d’un directeur depuis six mois est problématique et annonce soudain qu’un directeur par intérim va être nommé incessamment. Il admet que les personnels dans les services doivent être recrutés conformément à ce que prévoit le projet de service (ce qui n’était plus le cas).

Un interlude permet à Didier Jaffre d’aller visiter l’établissement, tandis que la CGT prépare un protocole qui sera encore discuté durant au moins une heure et conclu vers 21 h. Je ne reprends pas tous les griefs énoncés service par service au cours de la rencontre, quant aux décisions prises au final, elles sont les suivantes : recrutement de 32 ETP (infirmières, éducateurs spécialisés, agents des services hospitaliers-ASH, une neuropsychologue), 7 psychologues stagiairisés, modification du planning qui était invivable à la MAS-maison d’accueil spécialisée, respect du temps de travail avec un e-planning adapté, non fermeture de lits, accord à trouver avec d'autres structures pour le maintien des soins en santé mentale malgré le manque d’effectifs en psychiatres, paiement intégral des journées de grève, car ce conflit n’est pas catégoriel : « chacune des parties reconnait la légitimité du mouvement. Il s’agit pour les personnels d’avoir les moyens de prendre en charge dignement les patients et de respecter les personnels », dit le protocole d'accord.

Illustration 4
La tente pendant la grève [Ph. YF]

Le soir, à la nuit tombée, les militantes et militants ont démonté la tente et plié bagages, après un verre de l’amitié auquel ils et elles m’avaient convié. Heureux de partager cette joie avec des grévistes… qui ne l’étaient plus, mais déterminés à rester vigilants.

Puisque les journées de grève seront payées, l’argent collecté pour la caisse de solidarité sera reversé à d’autres salariés en lutte en ce moment (comme les postiers de Gimont, entre Auch et Toulouse, qui contestent une réorganisation laissant des salariés sur le carreau).

Sous mon dernier post Facebook dans lequel je rendais compte de la dernière négociation, Angèle a commenté : « Merci Yves. Voilà c'est fini. Hé oui au-delà de la grande satisfaction d'avoir obtenu satisfaction sur nos revendications, dès le mercredi matin notre tente nous manquait. Aujourd’hui gros débrief au syndicat et on trouve que cette lutte et l'occupation de la tente jour et nuit nous a rapproché les uns des autres. On a créé du lien, de belles rencontres humaines, de l'amitié et une grande solidarité. J'en suis très émue ». Et de me remercier d’avoir « partagé ces moments durs et doux à la fois ».

Illustration 5
Négociation à l'ARS du Gers le 20 mai, en présence d'une forte délégation de soignants et de la mère d'une patiente qui livrera un témoignage émouvant sur les manques de l'hôpital [Ph. YF]

L’intérêt de suivre une telle lutte n’est pas seulement d’en rendre compte, c’est aussi de pouvoir assister à des temps forts, où des personnels revendiquent la dignité pour eux et pour les malades, livrant des témoignages, de soignants ou de parents de patients, dont certains sont véritablement poignants, d’autant plus percutants qu’ils sont prononcés dans un climat survolté. C’est aussi de constater combien les moments de revendications peuvent être des occasions de grande solidarité entre les professionnels, de cohérence, sans contradiction entre eux quand ils prennent la parole.

Bien sûr, mon positionnement de "chroniqueur" me conduit à prendre parti, à choisir mon camp, tout en tentant d’être tout de même le plus objectif possible. Je ne vais pas interroger la partie "adverse" mais je livre son point de vue, qui apparait dans ses communiqués à la presse ou ses prises de parole lors de négociations auxquelles j’assiste.

Enfin, comme je l’ai développé dans mon billet précédent : sur bien des sujets, a fortiori sur celui de la santé mentale, il importe plus que tout qu’une solidarité interprofessionnelle se manifeste, car non seulement il s’agit d’un fait social qui concerne tout le monde mais en plus les décideurs politiques ne peuvent totalement ignorer une forte mobilisation citoyenne sur le droit à la santé.   

Illustration 6
[Ph. YF]

Billet n° 866

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.