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Billet de blog 27 février 2020

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«Cyrille, agriculteur, 30 ans…», galérien

Dans ce film de Rodolphe Marconi, dont le titre complet est « Cyrille, agriculteur, 30 ans, 20 vaches, du lait, du beurre, des dettes », Cyrille galère tellement dans son exploitation qu’il en vient à envier le sort de ses vaches. Il est besogneux, pas en colère : mais triste, le spectateur aussi. Présentation, suivie des commentaires d’agriculteurs de la Confédération paysanne.

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Illustration 1

Cyrille a 30 ans : il est agriculteur en Auvergne. Rodolphe Marconi, documentariste, le croise sur une plage : étonné de voir Cyrille assis au bord de la mer, Rodolphe l’interroge et apprend qu’il ne sait pas nager. On se demande même comment ce paysan sans cesse au travail a pu atterrir sur cette plage, ne serait-ce qu’un instant. Il n’en faut pas plus au cinéaste pour avoir envie de le filmer chez lui, dans sa ferme. Cyrille accepte cette intrusion dans sa vie intime : pas seulement dans sa chambre exiguë lorsqu’il se lève chaque matin à 6 h (il doit passer par la chambre de son père pour s’y rendre), avec la sonnerie du réveil, qui va scander tout le film, mais aussi avec ses bêtes, qu’il appelle ses « fi-filles ». Il en a mis au monde plusieurs, il les appelle toutes d’un petit nom, il ne cesse de leur parler, lui qui est si seul. Au point qu’il aimerait bien être à leur place : « j’aurais une belle vie ». Autre que celle qu’il a auprès de son frère, handicapé à vie après une opération d’une tumeur au cerveau, bon ouvrier agricole, mais peu causant.

Auparavant, sa mère le comprenait, le soutenait, le conseillait, mais elle n’est plus de ce monde, malheur des malheurs, elle est partie trop tôt. L’ouverture sur l’extérieur c’est le restaurant où il effectue quelques heures pour mettre un peu de beurre dans les épinards et le marché où il y vend ses molettes (il baratte jusqu’à 2 heures du matin). Il a un seul ami, qui collectionne les aventures, mais lui, homosexuel, qui affiche dans l’étable le calendrier des playmates, échoue dans ses tentatives amoureuses (« plus tu cherches, moins tu trouves »). Comme Au nom de la terre, il s’est endetté et a construit un immense bâtiment pour ses 35 vaches laitières, mais plusieurs sont mortes (cata des catas), avant l’arrivée des huissiers.

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Son père, taciturne, ne comprend pas qu’il n’y arrive pas (mais il paye les courses). Les conseillers agricoles sont bénévoles et sympas, même si un peu directs : « ça t’est arrivé de penser au suicide ? ». Réponse laconique : « pas tout à fait » ! Évidemment, sans doute la FNSEA, on lui a mis dans la tête que le reste de la population le méprise (« on nous prend pour des moins que rien, alors qu’on est la base du monde »). Le redressement judiciaire ne suffira pas, les larmes non plus, encore moins le cierge qu’il fait brûler dans l’église du village. Cyrille est besogneux, pas en colère, mais triste, et Rodolphe est bienveillant, plein d’empathie pour son héros : nous aussi.

Musiques classiques de Stefano Landi et d’Edvard Grieg (1876) : La Chanson de Solveig, interprétée superbement, tragiquement, par une cantatrice sur fond de troupeau de vaches, au pré ou à l’étable : « Peuvent s’écouler à la fois hiver et printemps Et puis l’été prochain, et même tout un an Mais un beau jour tu viendras, cela je le sais »…

. bande-annonce du film sorti en salle le 26 février :

Cyrille, agriculteur, 30 ans, 20 vaches, du lait, du beurre, des dettes - Bande annonce HD © Digital Ciné

Sylvie et Romain, paysans

Le film projeté en avant-première le 25 janvier à Ciné 32 (Auch) était suivi d’un débat avec Sylvie Colas, co-porte-parole de la Confédération paysanne, engagée dans l’agriculture bio depuis plus de 30 ans dans le Gers (à Lectoure) et de Romain Florent, producteur de fromage de chèvre et éleveur de porc noir gascon (bio), à Riguepeu (Gers).

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Sylvie Colas, lors d'une manifestation intersyndicale contre la réforme des retraites, début janvier dans le Gers, à Auch [Photo YF]

Sylvie Colas atteste de la galère qu’est l’agriculture pour de nombreux paysans, quand il faut s’occuper des bêtes matin, midi et soir. A la différence d’un salarié, en cas de maladie, impossible de se mettre en arrêt de travail. Le film montre aussi le poids de la famille : quand il faut reprendre l’entreprise familiale avec les exigences de la transmission (faire mieux), ne pas planter la ferme, alors même qu’elle n’est pas forcément viable.

Construire un seul bâtiment peut coûter 300.000 euros, parfois il en faut deux : les amortissements sont très longs, sur 15 ans et plus. Les agriculteurs sont pieds et poings liés avec la coopérative, ils ne savent jamais combien ils seront payés : « On ne peut concevoir que, dans une société civilisée, des gens travaillent sans cesse sans être rémunérés ». Le budget alimentaire de ces ménages est relativement bas.

C’est pourquoi les paysans réclament leur autonomie, que ce soit en matière d’approvisionnement que de vente. Les coopératives sont bien loin de leurs grands principes des débuts : elles sont devenues des trusts, des holdings, dans la logique de la grande distribution (pour le lait, ce ne sont plus que deux grands groupes au niveau national). Elles sont sur des pratiques de sanctions des récalcitrants, certaines ont des comportements carrément mafieux. La FNSEA contrôle les coopératives, est complice des grands lobbys (cf. le glyphosate) et impose un système agricole productiviste. Même les plus grosses fermes sont en difficulté, car elles ne sont que difficilement transmissibles. Des coopératives agricoles, dans le Gers, en ce moment, sont en difficulté, compte tenu de la concurrence mondiale et du libre-échange. En Allemagne, les producteurs ne gagnent même plus de l’argent avec le lait qu’ils produisent… mais avec le méthane !

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Photo extraite du film "Au nom de la terre"

La crise est due aux politiques agricoles qui ont toujours favorisé la mécanisation à outrance. Il y a 30 ans, la France comptait 1,2 million de paysans, aujourd’hui : 400.000 (alors même que la population du pays a fortement augmenté). En 1962, Edgar Pisani, ministre de l’agriculture, pronostiquait qu’il fallait réduire le nombre d’exploitations à 300.000 (il s’est rétracté peu avant sa mort). Dans le Gers, les propriétés étaient en moyenne à 28 hectares : certaines atteignent aujourd’hui 1000 hectares. Sylvie résume les objectifs de la Confédération paysanne : pour une agriculture locale, écologique et économique en énergie.

Romain Florent confirme que les coopératives n’en ont plus que le nom. Il dit avoir été bouleversé par le film Au nom de la terre, car cela lui renvoyait les images de son enfance (les chèvres, les poulets, les bâtiments nouveaux construits chaque année). Il soutient toute démarche qui consiste à valoriser les productions, sans endettement. Aujourd’hui, le prix est défini par l’aval (la grande distribution), c’est ce qu’il faut combattre. Il importe que l’agriculteur ait la maîtrise des prix.

Interrogé sur l’agribashing tant agité par la FNSEA, alors même qu’Au nom de la terre a fait deux millions d’entrée, Romain ne pense pas qu’il y ait mépris des urbains pour les paysans, mais certainement méconnaissance. Le renouveau d’intérêt de la société pour l’agriculture est plutôt rassurant.

Un maraîcher, dans la salle, adhérent de la Confédération, atteste qu’il est organisé de telle sorte qu’il a droit à des temps de rupture, à la différence de Cyrille. Il faut développer ces possibilités qui rendent la vie paysanne viable et vivable. Et surtout moins s’endetter, avec un accompagnement digne de ce nom des porteurs de projet, afin qu’un projet ne soit pas validé (comme le fait parfois l’État) alors qu’il envoie le porteur au casse-pipe.

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Une personne dans l’assistance, issue du monde agricole, précise que sa grand-mère considérait qu’être paysan ce n’est pas un métier mais une condition. Elle témoigne alors : « putain, mais nous enfants, on faisait tout pour partir, ne pas vivre ça : j’ai réussi tous les examens, on a tous foutu le camp, on a tous été universitaires, militaires, on a fourni les grands corps de l’État ». « Les paysans n’ont jamais été rémunérés à hauteur de leur travail et ce depuis la nuit des temps ». « Une moissonneuse batteuse, je croyais que cela coûtait 50.000 euros, c’est quatre fois plus. L’agriculteur rembourse durant des années. Un ophtalmo, lui, amortit son matériel en deux ans. »

Sylvie se souvient d’un temps où les paysans s’entraidaient, ils avaient un regard bienveillant les uns envers les autres. Le système compétitif mis en place entretient l’isolement, chacun est dans son coin, et n’ose faire part de ses difficultés. Elle cite cependant Solidarité Paysans (que l’on voit dans le film en soutien à Cyrille même si leur intervention est trop tardive) qui facilite l’expression et combat l’omerta favorisée par les règles de succession. C’est comme dans le reste de la société où des gens meurent seuls dans leur appartement. « Quand un agriculteur va mal, c’est toute la société qui va mal ».

Si elle se réjouit elle aussi du fait que la production agricole industrielle est de plus en plus rejetée, elle se méfie des gadgets comme les salades sur les toits des immeubles. Elle témoigne que lorsqu’elle dit qu’elle a 100 poules, il arrive que des citadins soient choqués, croyant qu’elle n’en avait qu’une petite dizaine : « ils veulent juste leurs œufs, ignorant que certaines exploitations ont jusqu’à 250.000 poules pondeuses ». Elle craint qu’on ait là un autre problème de société, plus largement répandu : une forme de naïveté et d’égoïsme.

. voir mon post Facebook sur Au nom de la terre

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Manifestation organisée dans le Gers par la Ferme Canopée, en lien avec la Confédération paysanne et le village de Sansan [Photo YF]

  Billet n° 530

Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup

   [Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Voir présentation dans le billet n°100. L’ensemble des billets est consultable en cliquant sur le nom du blog, en titre ou ici : Social en question. Par ailleurs, les 200 premiers articles sont recensés, avec sommaires, dans le billet n°200. Le billet n°300 explique l'esprit qui anime la tenue de ce blog, les commentaires qu'il suscite et les règles que je me suis fixées. Le billet n°400, correspondant aux 10 ans de Mediapart et de mon abonnement, fait le point sur ma démarche d'écriture, en tant que chroniqueur social indépendant, c'est-à-dire en me fondant sur une expérience, des connaissances et en prenant position. Enfin, dans le billet n°500, je m’explique sur ma conception de la confusion des genres, ni chroniqueur, ni militant, mais chroniqueur militant, et dans le billet n°501 je développe une réflexion, à partir de mon parcours, sur l’engagement, ou le lien entre militantisme et professionnalisme]

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