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L'Hebdo du Club

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Billet de blog 2 février 2022

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Hebdo du Club #116 : Ehpad, en finir avec les maltraitances

Des familles, une infirmière de nuit, une directrice d'établissement, des experts, une députée, une avocate… Depuis une semaine, le Club fourmille de témoignages et d’analyses sur le scandale des Ehpad. Il faut que ça change ! Pompes à fric indécentes, lieux de maltraitances de nos aînés vulnérables et d’exploitation brutale d’un personnel à bout de souffle, la question des Ephad mériterait d'être au cœur de la campagne !

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S’il est vrai que jusqu’ici la campagne présidentielle n’accrochait sur rien, glissant d’un sujet l’autre, comme sur une Tefal, le scandale des Ephad, remis au devant de la scène grâce à la sortie du livre de Victor Castanet devrait être le sujet en or (gris) de ce début de campagne, tant il émeut et concerne du monde. Les témoignages affluent dans le Club, mais aussi auprès de la plateforme de lutte contre la maltraitance des personnes âgées.

Que faire de sa fin de vie, ou de celle de ses parents, de ses grands-parents... ? De près ou de loin, cette question bourdonne dans toutes les têtes, quand elle n’est pas un sujet central, et souvent épineux, dans la vie des familles. Ephad ou pas Ephad, privé ou public, à quel endroit, avec quel accompagnement, quel financement ? La question de l’argent n’étant pas des moindres quand le coût mensuel d’un placement en Ephad coûte au minimum 2500 euros (dans les institutions publiques associatives, il va s’en dire). Une dépense impossible à assumer pour moult familles… Les candidates et candidats prendront-ils le sujet à bras le corps ? Rien n’est moins sûr, hélas.

« Il faut que ça crache ! »

Les fossoyeurs, révélations sur le système qui maltraite nos aînés, l’enquête du journaliste indépendant Victor Castanet a été parfaitement résumée la semaine dernière par Yves Faucoup, un blogueur spécialisé dans la question sociale. « L’auteur montre non seulement comment sont traitées des personnes âgées dépendantes dans les établissements luxueux d’Orpea (et chers : 4 à 6000 euros mensuels, et même quelques chambres à 12 000 selon la journaliste Sophie Aurenche) mais aussi met en cause Xavier Bertrand, ancien ministre, qui aurait favorisé le groupe privé. Orpea possède 1100 Ehpad dont 220 en France (sur près de 7500). On le sait, le cours en bourse de cette société qui fait dans notre pays un chiffre d’affaire de près de 4 milliards, a chuté après la parution du livre. »

Scandale qui a connu un nouveau rebondissement ce mercredi 2 février, suite à la révélation du Canard enchaîné selon laquelle le DG du groupe Orpea limogé dimanche 31 janvier, Yves Le Masne, a vendu des milliers d'actions trois semaines après avoir été informé de la future parution des Fossoyeurs mettant en cause les pratiques du groupe. « Il faut que ça crache ! » disait-on chez Orpéa, en parlant des résidents et de leurs familles, et jusqu’au bout !

Chasser les chasseurs d’or de la silver-économie — au cours des six premiers mois de l'année, le groupe a dégagé un bénéfice net de 102 millions d'euros, contre 73 millions d'euros au premier semestre 2020 — ce serait la moindre des décences, mais plusieurs contributrices et contributeurs ont mis en évidence que c’était loin d’être suffisant.

Les autorités complices de la maltraitance

Des familles, parfois même constituées en collectifs, se mobilisent et signalent aux autorités ces maltraitances et ces souffrances, chez Orpea, mais pas seulement. La réponse ? Rien, ou presque. Les autorités sont sourdes, les contrôles opaques et les sanctions inexistantes. L’avocate Claudia Canini développe en 13 points dans ce billet intitulé « La maltraitance dans les Ephad : fatalité ou surdité profonde des autorités ? », une mobilisation exemplaire à ce titre.

5 ans de perdus pour le grand âge ! résume la députée Caroline Fiat, co-autrice avec Monique Iborra d’un rapport accablant sur la situation des Ephad privés, mais aussi associatifs et publics. « Déjà en 2018 donc, les députés savaient ! Ils étaient au fait de la maltraitance institutionnelle qui touche nos soignants et résidents. Ils savaient le manque cruel de personnel et de moyens qui conduit au rationnement de la nourriture, aux soins bâclés, etc. Mais ils n’ont rien fait. Depuis son annonce par Emmanuel Macron le 13 juin 2018, les promesses sont allées bon train au sujet d’une hypothétique loi Grand âge autonomie. Or nous savons désormais, depuis fin 2021 que celle-ci ne verra pas le jour sous ce mandat présidentiel. »

Mépris, indécence, foutage-de gueule… La députée est d’autant plus au fait de cette réalité qu’elle est elle-même aide-soignante et qu’elle a subi un mépris brutal de ses collègues – les députés en Marche l’aurait appelé « la Bac moins 2 » ! Aussi, les réactions outrées qui pleuvent de toutes parts depuis la sortie des Fossoyeurs, et « les annonces de circonstances » la laissent de marbre. Une « enquête » sur Orpea promet Véran, des « contrôles », de la « transparence » dixit Bourguignon, des « indicateurs » propose Pécresse … Non, d’après la députée de la FI, seul un « changement structurel » et des financements conséquents pourraient faire cesser ces ignominies.

La vie, la nuit dans un Ephad

Un scandale humain et financier ! « Oui, c'est connu comme le loup blanc, raconte Isalsa, une infirmière retraitée qui fut aide-soignante de nuit. Voici mon témoignage personnel : je vais tenter de parler d'une simple expérience, la mienne, sans évoquer celles d'autres collègues, dans d'autres structures... mais, ne perdez pas de vue que c'est vrai partout, quel que soit le groupe ! »

Isalsa souligne une caractéristique qui passe trop souvent sous les radars : ce sont les femmes qui se coltinent le sale boulot. « Dans les Ephad, peu d'hommes, le cuisinier, l'homme d'entretien et oh, surprise, un directeur, presque tout le temps... Des médecins aussi, qui passent dans la journée si besoin. En avoir un à demeure serait du luxe, il ne faut pas abuser non plus… »

Dans son récit, fort vivant, parfois douloureux — s'occuper de personnes atteintes d'Alzheimer réclame de donner énormément de sa personne — et toujours imagé, elle explique pourquoi elle a préféré démissionner plutôt que de prendre le risque de devenir maltraitante. « Les infirmières, puis les aides-soignantes ont jeté l'éponge depuis quelques années déjà, bien avant le Covid et la réalité actuelle des Ephad en France, est qu'ils peinent à recruter. C'est la panique à bord... Alors, leur solution bête et méchante est de recruter du personnel non qualifié… A vous de juger ! Dans l'idéal, il faudrait développer de petites structures mais ne soyons pas idéalistes, n'est-ce pas ? Battons-nous pour un début de commencement dans ce qui est déjà établi. »

À l'autre bout de la hiérarchie, le malaise est tout aussi palpable. « J’ai quitté mes fonctions, et il m’a été demandé de quitter mes fonctions parce que mes demandes, mes remarques, mes remontées dérangeaient, gênaient, et mettaient à mal mes directions. Des demandes totalement hors la loi m’ont été faites par mes directions successives : j’ai toujours résisté et quelques fois je l’ai payé au prix de ma place. » Belinda Infray, qui fut directrice d'Ephad pendant 15 ans, nous raconte ainsi son expérience et les injonctions monstrueuses venant des « sièges des grosses entreprises » qui rendaient son travail détestable. « C’est une honte. Afin de faire des économies le coût alimentaire jour dans le dernier EHPAD dans lequel j’ai exercé était fixé à 3,9 € par jour/par résident ».

Soignante, directrice d'Ephad, avocate des familles, députée, toutes les prises de parole convergent vers une revendication : il faut embaucher du personnel pour s'occuper dignement de nos aînés ! Et puis arrêter le hold-up sur les personnes âgées dépendantes - et leurs familles par ricochet : elles ne sont pas des objets inertes, ni de la matière première à rentabiliser.

Risibles autruches que nous sommes…

Aucun chiffre ne pourra rendre compte de la détresse des personnes vulnérables traités comme des rebuts en fin de vie, aucun chiffre ne peut mesurer la violence psychique infligée aux aidants et aux familles embarquées malgré-elles dans cette “gestion” inhumaine et glaçante de leurs aînés. Pour faire entendre ce déchirement intime, de belles plumes comme Sergent Petit Pois affrontent les malaises indicibles face à nos vieux et les peurs irrationnelles de vieillir — on donne des thunes et on se taille —, comme si tourner le dos à la mort avait le pouvoir de la faire disparaître...

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