Une réaction aux excès d'éloges, un reflet du désespoir face au gouvernement socialiste et son 49-3 encore dégainé cette semaine (dont Rocard était friand !) ? Peut-être. A moins que ce soit le besoin profond de sortir du brouillard politique dans lequel « la gauche » erre en tentant de trouver des repères collectifs.
De nombreux billets ont été publiés et discutés sur Michel Rocard : son parcours, ses apports, sa part d’ombre, sa célébration. Exceptionnellement, cette semaine l’hebdo du Club fera un focus exclusif sur ces contributions et les discussions qui s’en sont suivis. D’une part car c’était LE sujet le plus récurrent et d'autre part, vacances (en préparation ?) obligent, le nombre de contributions a commencé à se tarir.
La part d’ombre du personnage
- Le premier billet qui a focalisé l’attention du Club est celui de P.Thomé, publié le 18 août 2014, « Parcours politique de Michel Rocard : un reflet de la deuxième gauche », mis en Une du Club samedi soir. Cet article revient sur le parcours de celui qui incarnait « la deuxième gauche » :
En juin 1977, lors du 61e congrès du Parti Socialiste à Nantes, Michel Rocard, l’un des principaux fondateurs et leaders de la Deuxième Gauche, affirme l'autonomie de ce courant au sein du PS. Pour lui, deux cultures du socialisme s’opposent : « la Deuxième gauche, décentralisatrice, régionaliste, héritière de la tradition autogestionnaire, qui prend en compte les démarches participatives des citoyens, en opposition à une Première gauche, jacobine, centralisatrice et étatique. »
La discussion dans le fil de commentaires donna tout de suite le ton : les abonnés n'avaient pas envie de suivre l'unanisme médiatico-politique, qui ne tarda pas à s'exprimer autour de Michel Rocard. Lancêtre rappela ainsi l'épisode de l'anniversaire controversé de ses 80 ans :
- "On peut dire, en effet, qu'il y avait du beau monde, pour fêter les 80 ans de Michel Rocard ! Le baron Ernest-Antoine Seillière, Laurence Parisot, Nicole Notat, Stéphane Fouks (Euro RSCG), Lionel Jospin, Pierre Pringuet (patron de Pernod Ricard, qui offrait les vins, venus d'Australie), Alain Bauer ("criminologue" sarkozyste). Et, bien entendu, Manuel Valls ! Une vraie réunion de gauche! http://www.lejdd.fr/Politique/Actualite/La-tribu-Rocard-a-La-Nouvelle-Eve-222602?p=2
- Un commentaire qui inspirera un billet à Lancêtre centré exclusivement sur « La part d’ombre de Michel Rocard ». Un des articles du Club les plus lus de la semaine !
« Cette soirée d'anniversaire, qui mêlait grands patrons, hiérarques "socialistes" et chefs de la CFDT, est un excellent symbole de ce que fut le "rocardisme". Michel Rocard fut l'apôtre de la "discussion entre partenaires sociaux" substituée à la lutte des classes. Sa fameuse "deuxième gauche" est représentée, notamment, par la CFDT: le naufrage du syndicalisme. »
Autre grief détaillé dans ce billet : l’amnistie des gendarmes impliqués dans l’assaut de la grotte Ouvéa :
« C'est à coups de bottes, d'une balle dans la tête, ou en arrachant leur perfusion, que les blessés kanaks ont été achevés, et les responsables de cette abomination, grâce à Michel Rocard, ont échappé aux sanctions légitimes qu'auraient dû leur valoir ces actes de barbarie. »
Avec cette précision plus loin dans le billet :
« Bien entendu, Michel Rocard, qui devient Premier Ministre après ces exactions, n'en porte aucunement la responsabilité. C'est lui, cependant, qui a "couvert", puis amnistié, les militaires tortionnaires et assassins. »
Une erreur qui pour de nombreux abonnés fait oublier son engagement durant la guerre d’Algérie, où « il était du bon côté » ! Dans le fil de commentaires, d’autres voix essayèrent toutefois de se faire entendre. « En résumé, ni excés d’honneur, ni excès d’indignité. Mais comparé à Balladur, Fillon, Ayrault, Valls… franchement je comprends que certains aient tendance à le trouver pas mal »
- « Le président posthume » est le deuxième billet le plus lu, depuis samedi, concernant Rocard. Il porte sur sa journée de célébration.
« Pourtant, en dépit de ses qualités, ce monsieur dévoile une bien triste facette de sa personnalité. Il faut être pétri d’orgueil, de vanité, de fatuité pour coucher sur un papier posthume les conditions de son ultime célébration. Prétendre ainsi à l’hommage national, qui plus est, aux Invalides, c’est se situer de son vivant au-dessus des hommes ordinaires. C’est la preuve que ceux qui nous gouvernent se sentent investis d’une mission de nature divine.»
Cette contribution donna lieu à de nombreux commentaires (avec une indignation unanime sur le testament laissé par Michel Rocard), dont un avec une pointe d’humour, que je vous laisse savourer :
- « J’avais remarqué aussi cette exigence ridicule. La vieillesse serait elle vraiment un naufrage ? Dans ce cas il faut que je me méfie ! »
- Un autre billet très critique sur l’excès de louanges politiques et médiatiques : « Michel Rocard: étranges hommages » revient sur sa fameuse phrase « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ».
« On attribue à Rocard une posture de "dignité" voire même d'"intégrité" pour l'opposer à Mitterrand. Faut-il rappeler sa formule funeste et destructrice de 1989, «La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde » ? Contrairement à la légende bien peu digne qu'il a voulu diffuser a posteriori et à l'invention d'une prétendue formule complémentaire atténuant le propos, il s’agissait bel et bien d'un message de rejet à l'égard des migrants. »
- Et enfin, un billet sur son rôle dans la création du Revenu Minimum d'Insertion.
« La disparition de Michel Rocard est l'occasion pour beaucoup de se vanter d'avoir été proches de l'homme de la "deuxième gauche". Par ailleurs, les médias ont veillé à bien mettre à son actif la création du Revenu Minimum d'Insertion. Quitte à ce que tel homme politique en revendique la paternité ou que l'on s'accorde à dire, à tort, que sur ce terrain là la France était pionnière. »
Pour ceux qui trouveraient ma sélection trop sombre (je me suis basée sur les articles les plus lus et les plus commentés), notez à mi-chemin, ce billet plus léger :
« Puisque Michel Rocard aimait à la fois Bach et Vivaldi, le désir nous est venu de choisir une oeuvre de belle humeur, hommage à ce citoyen engagé, d'une intelligence lumineuse et d'une grande intégrité. »
Que reste-t-il de la (Deuxième) gauche ?
- Dans « De quoi Rocard est-il le nom ? », Noel Mamère apporte une réponse à cette ambivalence suscitée par son héritage, en rappelant les deux âmes du rocardisme. « Michel Rocard entra alors au Parti Socialiste pour y mener une bataille au couteau avec François Mitterrand. A cette époque apparurent progressivement les deux âmes du rocardisme, celle incarnée par Patrick Viveret, qui défendait une approche sociétale et libertaire de la deuxième gauche et celle inspirée par un technocratisme de plus en plus appuyé dont Manuel Valls, responsable des jeunes rocardiens dans les années 80, est l’aboutissement achevé. »
Et en concluant par un hommage d’une partie (seulement !) de l’héritage de la deuxième gauche.
« Rocard est mort, mais les idées de sa jeunesse sont encore présentes au cœur des combats du 21eme siècle. Nous avons besoin, aujourd’hui, d’un nouveau PSU, contre les Guy Mollet aux petits pieds qui nous gouvernent. »
Pas sûre que cette réponse nuancée ait beaucoup séduit, à voir le commentaire (le plus recommandé du fil) de Philippe Pierpont :
- « Ses idées » interprétées par Valls, Macron et toute la troupe de joyeux crétins béats du divin marché sont juste l’expression de l’inanité toxique d’une telle philosophie. A oublier donc »
- Avec une autre trajectoire que Noel Mamère (et une autre grille d’analyse), Philippe Corcuff, ancien socialiste devenu militant anarchiste, arrive à la même conclusion : « rétrospectivement la deuxième gauche est apparaît pétrie d’ambiguïtés », il faut inventer une nouvelle gauche, explique-t-il dans « En finir avec le rocardisme… et le mitterrandisme : pour une nouvelle gauche ».
« Une nouvelle gauche est à réinventer en ce début de XXIe siècle, sous peine de disparition progressive sous le triple effet du brouillard post-stalinien, de la social-libéralisation et de l’extrême droitisation. On doit pour cela se défaire des fantômes qui viennent encore nous hanter comme le rocardisme et le mitterrandisme… »
Dans le fil de commentaires, très soutenu, de ce billet Philippe Corcuff précisera une idée : l’importance de ne pas perdre le bébé (l’idée même de gauche) avec l’eau du bain.
- « Gauche? Pour moi, le notion de "gauche" ne renvoie pas seulement à des organisations politiques et à une sphère institutionnelle. C'est aussi une mémoire, des repères collectifs, une culture politique qui traversent historiquement la société française (comme d'autres sociétés), et plus particulièrement dans ce que l'on a appelé "le peuple de gauche". Pour moi, cela lie notamment l'événement Révolution française, les socialismes des 19e et 20e siècles ainsi que les apports de Mai 1968. Certes, cette notion historique est dans une phase de recul (structurel? conjoncturel?...). Cependant, dans une période d'extrême droitisation, de brouillage des repères, de bricolages idéologiques de type "ni droite ni gauche" (ou plutôt "et droite et gauche", ressemblant à ce qui dans les années 1930 a contribué à désarmer intellectuellement face à la montée des fascismes), ce serait plus risqué, selon moi, de l'abandonner que de la garder. C'est pourquoi je me détache sur ce plan de certains de mes compagnons anarchistes qui ne se reconnaissent pas en elle. »