Trois volets pour aborder le sens et l'actualité du confinement Macron du déconfinement et la mise en place progressive d'une société de surveillance par la surenchère technologique. Vous pouvez retrouver les deux volets précédents.
Confinement-déconfinement: libertés sous surveillance 1/3 :
épidémie et confinement
Confinement-déconfinement: libertés sous surveillance 2/3 :
déconfinement de tous les dangers
Libertés fondamentales menacées
par la société de surveillance technologique
La bataille de l'opinion pour imposer, faire consentir par soumission ou fatalisme, une politique, une loi, une disposition réglementaire, est toujours une bataille majeure de tout pouvoir qui tente de faire passer la pilule. Chacun sait que les sondages d'opinion, omniprésents dans nos sociétés, disponibles quasiment en temps réel sont un élément majeur pris en compte dans l'élaboration et surtout l'annonce de mesures politiques, locales ou nationales, populaires ou non. Emporter la bataille de l'opinion est souvent un impératif sauf à déclencher un large mouvement social même si la gagner n'empêche pas toujours la contestation.
Présenter le produit - la disposition - n'est pas la bonne approche mais présenter l'emballage, le meilleur emballage possible amène à considérer favorablement le produit par un regard biaisé. C'est vrai aussi évidemment au supermarché ! C'est même de cet univers que les politiques tirent leurs ficelles.
Bref, amener l'adhésion passive ou active du plus grand nombre, limiter les oppositions pour mieux les neutraliser, c'est raconter une histoire (storystelling), délivrer un récit, non pas centré sur la mesure elle-même mais sur ce qu'elle est censée favoriser, ce qu'elle va amener de meilleur et de meilleur à chacun ; meilleur qui évidemment varie suivant l'époque, le moment, la circonstance. L'histoire racontée doit apporter à nos oreilles le récit que nous avons envie d'entendre ou que nous ne pouvons pas, à nos yeux, ignorer, quelque chose qui nous charme ou nous oblige.
Storystelling pour vendre ce confinement
Confinement et déconfinement sous surveillance ne dérogent pas à cette stratégie de communication qui nous oblige, nous contraint mais que finalement nous acceptons par nécessité ou ce que nous croyons être la nécessité, présentée comme civisme. C'est d'autant plus insidieux que civisme, responsabilité, nécessité, choix, désir, contraintes sont mêlés, souvent pour beaucoup, inextricablement mêlés.
Le confinement façon Macron a donc été vendu comme solution unique, indispensable. En s'appuyant sur cette adhésion, l'état a organisé le contrôle et la sanction de ces « inconscients », « inciviques » qui ne respectent pas le confinement et les conditions draconiennes des dérogations prévues. Le contrôle au nom de quoi ? Au nom d'une raison incontestable, évidente, aveuglante : ne pas surcharger l'hôpital quand les soignant.es débordé.es sauvent des vies en risquant leurs propres vies. Personne ne peut transgresser cette consigne ne pouvant rejeter cet argument sauf à se désolidariser de la communauté nationale et être rejeté.e socialement, mis.e au ban. La communication gouvernementale relayée inévitablement par le plus grand nombre de médias a donc présenté sur des images contestables, les récalcitrants-contrevenants comme des délinquants sociaux, des quasi-criminels, matraqué en permanence un « Rester chez vous ! » impérieux. Qui a utilisé l'argument indépassable et bien réel de mise en danger des soignant.es par surcharge de l'hôpital ? Ceux-là même qui leur ont refusé pendant leur longue grève depuis plus d'un an, les moyens réclamés pour soigner ; ceux-là même qui ont mis en danger ces soignants faute de matériel de protection. Ils ont osé ! Bien sûr, ils ont osé, il n'avait pas d'autre argument pour justifier le confinement, ayant abordé cette épidémie avec retard et sur un mensonge de taille : l'absence de moyens de protection, le déni de l'intérêt du masque et des tests pratiqués massivement comme le recommandait l'OMS.
Suspension sine die des libertés fondamentales
Les libertés fondamentales de réunion, de circulation, de manifestation sont passées à la trappe, suspendues sine die. Preuve s'il en fallait, avec une circonstance particulière, sans même un pouvoir dictatorial, que ces libertés, du jour au lendemain, peuvent disparaître dans un consensus général.
Comme toujours dans des circonstances présentées comme exceptionnelles (elles le sont pour diverses raisons depuis des années, cesseront-elle un jour ?) le Pouvoir a poussé ses pions vers une société de surveillance et de contrôle pour sanctionner.
Avec Sarkozy, ce fut la loi anti-casseur, avec Hollande, l'état d'urgence et ses dispositions liberticides, la loi Renseignement aussitôt utilisée contre des manifestants. Macron a intégré bien des dispositions de cet état d'urgence, dans la législation permanente. L'épidémie est l'occasion à ne pas rater de pousser ses pions vers cette société de surveillance. Deux objectifs guident cette nouvelle offensive :
- La première : Habituer la population à de nouvelles autorisations ou interdits, adapter la réglementation aux volontés de l'exécutif.
- La deuxième : Introduire de nouveaux dispositifs de surveillance, en banaliser l'usage, amener un tacite ou fataliste consentement social. La banalisation passe, dans un premier temps par un usage déclaré limité, peu intrusif même s'il l'est déjà plus qu'avant pour un pas de plus.
Livret de circulation et attestions de dérogation
A différentes époques, La France a réclamé de diverses catégories de citoyen.nes un carnet ou un livret de circulation : activités ambulantes, travailleurs saisonniers, étrangers et surtout nomades...
« Le 22 décembre 2016, l’adoption de la loi « Egalité et citoyenneté » a mis fin au régime d’exception imposé aux « gens du voyage » et symbolisé par le livret de circulation obligatoire. Ce système concernait près d’un demi-million de personnes sur le territoire. » Lire : La fin du livret de circulation. Il était temps, « En 2014, c’est l’ONU qui condamne la France pour atteinte au « droit de circuler librement sur le territoire d’un État ». Lire : « La fin du fichage des « nomades ».
Nos autorités ont réinventé un livret de circulation temporaire, « Attestation de déplacement dérogatoire » à présenter avec la carte nationale d'identité pour des cas précis. Pour l'activité physique, vous le savez, une heure dans un périmètre d'un kilomètre sous peine d'une amende de 135€ (la récidive sous 15 jours est de 200 ou 400€). Si le manque à gagner des radars en rade de véhicules à flasher est évident, quelques centaines de milliers de verbalisation ont récupéré une belle recette !
M.a.j : Au 4 mai et depuis le 17 mars, plus d'un million de verbalisations ont été dressées. A 135€ la contredanse, la recette est vite calculée.
Cette attestation devrait être supprimée le 11 mai (dans tous les départements ou pas ?) mais maintenue pour des déplacements de plus de 100 km ; encore que la diversité des situations selon le département peut montrer sur ce point aussi des différences.
Bref, nous avons pris l'habitude d'un nouveau document officiel pour circuler avec force contrainte.
Etat d'urgence sanitaire : légiférer par ordonnances
Pour piloter et règlementer durant cette épidémie, l'état d'urgence sanitaire est instauré pour deux mois, le 22 mars. Le Parlement se dessaisit de ses prérogatives au profit de l'exécutif qui peut légiférer par ordonnances et ne s'en prive pas : faut en profiter.
Dernière minute : et hop, deux mois de plus pour l'état d'urgence sanitaire... deux mois de plus d'ordonnances et de députés dépités ?
Paul Alliès critique largement cet état d'urgence sanitaire et les circonstances de son adoption : «Fallait-il donc faire voter à l’à-va-vite en un week-end, un nouveau texte par une Assemblée en « comité restreint » aux effectifs réduits comme jamais dans son histoire (94% des députés « représentés » l’ont ainsi voté), et le promulguer à toute vitesse, quand les premières mesures de confinement s’appliquaient déjà ?... En résumé, il n’y a plus de contrôle certain ni garanti, a priori comme a posteriori, des textes légalisant l’état d’urgence....Cette paresse va avec une autre énormité : l’absolution donné au gouvernement violant la Constitution dont l’article 46 exige un délai de 15 jours pour voter un texte (une loi organique) portant sur le fonctionnement des institutions afin de laisser un temps à la réflexion et au débat des parlementaires... »
Le président de l’Assemblée Nationale, Richard Ferrand a mis en place la mission d'information composée d’une majorité de députés de LREM avec le souci « ne pas entraver l’action des pouvoirs publics » (Le Figaro du 31/03). Bref commission d'enquête bidon pour donner un satisfecit complice...
Les notions d'urgence et de provisoire autorisent tout ce qui ne pourrait pas être obtenu hors état d'urgence quand aucune contestation sérieuse dans la rue et à l'Assemblée Nationale ne peut être organisée. Par exemple, la remise en cause du code du travail :
Mise en cause radicale du code du travail
« Des 30 ordonnances adoptées dés les conseils des ministres des 25 et 27 mars il ressort, dans certains secteurs dits stratégiques et jusqu’au 31 décembre 2020, une remise en cause radicale du droit du travail : 60 heures par semaine (et non plus 48), 7 jours sur 7, repos limité à 9 heures (et non plus 11) entre deux journées de travail dont la durée quotidienne peut être de 12 heures (et non plus 10). Et on reviendra sur la restriction de quelques autres droits essentiels. » !
Provisoire ? Il conclut son propos par ceci : « un provisoire qui disparaîtrait avec la crise, ce n’est plus le cas, on l’a bien vu avec la loi du 30 octobre 2017. Et on peut s’interroger sur celui-ci, allant avec l’urgence sanitaire. En règle générale et partout les gouvernants ont tendance à conserver et reproduire les exceptions qu’ils ont pratiquées en temps de crise » Paul Alliès
La palme de la dérogation légale qui joue contre l'état de droit ne va-t-elle pas à la Ministre de la Justice, Nicole Belloubet ?
Prolongation automatique de la détention provisoire
L'ordonnance du 25 mars est signée par le Président, le premier ministre et la garde des sceaux. Il y aurait beaucoup à dire sur les mesures qui ont été prises en dépit du bon sens et hors droit. Ce 25 mars, certain.es tweetaient "les français vont expérimenter le droit des étrangers". C'est si vrai. Nous disons souvent que le droit des étrangers est le laboratoire du pire, aujourd'hui nous expérimentons cela au niveau de toutes les libertés, confisquées, confinées » m'a confié une avocate.
L'article 16 de l'ordonnance du 25 mars 2020 prévoyait que les délais maximums de détention provisoire (ou de placement sous surveillance électronique) soient prolongés de plein droit de deux mois, pour les peines encourues égales ou inférieures à 5 ans, de trois mois dans les autres cas, de six mois en appel (matière criminelle ou affaires).
Comme l'indique le syndicat de la magistrature : « Le texte, épouvantablement mal écrit, laissait subsister une ambiguïté très forte : prolongeait-il les durées maximales théoriques des détentions provisoires – ce qui pouvait s’entendre compte-tenu des retards pris par les enquêtes dans le contexte de l’épidémie – ou prolongeait-il chaque mandat de dépôt de chaque détenu, quels que soient son terme et le moment de son échéance ? ». Réponse : « dans une circulaire d’application du 26 mars, puis un mail du 27 mars, la directrice des affaires criminelles donnait corps à l’interprétation la plus jusqu’au-boutiste de son propre texte : tous les détenus provisoires de France devaient voir leur détention automatiquement prolongée » ;
Résultat, les détenu.es provisoire (avant jugement) représente 30% des détenu.es, Leur détention, quelle que soit la peine encourue est automatiquement prolongé sans l'intervention du juge ni avocat : un déni du droit par le Ministère de la Justice qui, dans le même temps, veut désengorger les prisons pour cause de contagion aisée en milieu collectif ! Belle logique de la Ministre qui garde les non-condamné.es (prévenu.es) et libère les condamné.es (courte ou fin de peine) ! Le Conseil d'état, sans sourciller, a validé cette prolongation le 3 avril !
Pour couronner le tout, si des prévenu.es devaient être acquitté.es ou relaxé.es, la responsabilité financière de l'Etat pourrait être engagée pour détentions provisoires injustifiées, prélude à réparation financière allouée à chacun.e au prorata de la durée de détention !
Mais l'histoire ne s'arrête pas là : « C’est pourtant une terrible déconfiture qui, tapie dans l’ombre, attendait le ministère de la Justice... il s’est trouvé de hauts magistrats, à la Cour de Cassation notamment, pour … faire savoir officieusement qu’aucune garantie n’existait de ce qu’elle n’annulerait pas l’ensemble des prolongations automatiques des détentions provisoires intervenues depuis le début du confinement. » Lire sur Médiapart par le Syndicat de la Magistrature : « L'honneur de juges »
Lire aussi, très bien documenté sur la situation générale, par « L'observatoire des prisons » : Face au risque sanitaire en prison, une politique de libérations à plusieurs vitesses.
Oui, l'objectif est bien d'habituer la population à des périodes d'autorisations ou d'interdits supplémentaires et arbitraires, adapter la réglementation à la discrétion de l'exécutif, ajoutons : à ses lubies.
Des drones pour surveiller et punir
La Quadrature du Net lance l'alerte : « Covid-19 : l'attaque des drones » !
« À travers le pays, la police déploie des drones pour contrôler l’application du confinement. Non seulement pour diffuser par haut-parleurs les directives du gouvernement, mais aussi pour surveiller la population, en orientant les patrouilles au sol et même en filmant celles et ceux qui leur échapperaient pour mieux les sanctionner après....Ce déploiement inédit ressemble à une gigantesque opération de communication des autorités, qui mettent ainsi en avant leur arsenal technologique. Cette crise est instrumentalisée pour banaliser l’utilisation d’un outil de surveillance pourtant extrêmement attentatoire à nos libertés. Et le tout dans un cadre juridique flou, voire inexistant. L’État profite ainsi de l’état de sidération pour imposer ses technologies policières.... »
« ...Il ne s’agit pourtant pas d’un outil anodin : robo-militarisation de l’espace public et aérien, pollution sonore, coût énergétique, danger pour les biens et personnes en cas de défaillance, accès non autorisé aux espaces privés, l’usage policier des drones démultiplie la surveillance. ».
Durant cette épidémie, ils peuvent servir à verbaliser, surtout à effrayer les gens. pas à empêcher la propagation du virus.
Renforçant et démultipliant la surveillance, le drone fait son apparition, au grand jour, dans la surveillance au côté des caméras de surveillance, des caméras-piétons, des IMSI-catchers, de la Plateforme nationale de cryptage et de décryptement et davantage. On pourra certes dire qu'ils sont peu nombreux, qu'ils n'ont pas beaucoup d'autonomie de batterie... oui, mais ils sont là et le progrès de ces machines va faire progresser la surveillance dans de plus en plus de circonstances, de plus haut on voit mieux et plus vaste. Certains appareils en fonctionnement sont équipés de moyens thermiques permettant de détecter un regroupement de personnes dans une forêt ou sous une halle, par exemple. Des drones filaires sont en préparation pour être mis en observation stationnaire, alimentés en permanence par un câble électrique : plus de limitation de batteries trop vite déchargées.
Ils décuplent le pouvoir de surveillance et de sanction de la police sans aucun cadre juridique spécifique pour leur utilisation par la police (pour les particuliers oui et contraignants) ce qui rend très difficile les recours devant une juridiction. En gros, pour le moment, la Police les utilise comme elle veut.
Le 25 avril, Clément Le Foll et Clément Pouré, journalistes à Médiapart et sous le titre « Avec le confinement, les drones s’immiscent dans l’espace public » livrent une synthèse générale et chiffrée de ces nouveaux outils de surveillance. A travers le récit de divers responsables d'associations, ils précisent bien les difficultés pour les défenseurs des libertés : l'acceptation sociale et le maintien du dispositif après l'état d'urgence d'autant que des commandes importantes d'appareils sont passées (4 millions d'euros, 650 drones), des policier.es formé.es à leur pilotage. Maryse Artiguelong, vice-présidente de la Ligue des droits de l’Homme citée, précise : « ...tout le monde ne sera pas surveillé mais l’on prend la direction de la surveillance généralisée. »
Surveillance et fausse protection sont les deux mamelles de la société de surveillance : liquidation des libertés fondamentales et vie privée - si privée existe encore - !
StopCovid : STOP au traçage de la population
L'idée du StopCovid est simple, emballage idéal : si nous pouvions connaître le plus vite possible tous les contacts d'une personne déclarée infectée par test PCR alors ceux-ci seraient tous testés et ceux infectés, à leur tour isolés. Cet outil qui permettrait d'identifier les chaînes de contact serait une application sur téléphone portable appelé Stopcovid mais elle n'est pas prête et ne le sera pas pour le 11 mai : de trop nombreux problèmes techniques restent à résoudre, ce sont les premiers utilisateurs qui serviront de testeurs, même si l'appli est encore non fiable ou déficiente techniquement (mais on n'en dira rien).
Présentée au départ comme aux mains des chercheurs, elle est surtout l'occasion de faire rentrer dans le projet cinq sociétés très intéressées : au côté de l’Inria, de l’Inserm et de Santé Publique France, notamment le groupe de services informatiques Capgemini, la filiale « cloud » de Dassault Systèmes et Orange. Chacune n'y va pas pour les beaux yeux de l'Etat et de la population mais pour y placer ses billes dans ce marché qui en amène d'autres.
Sur le papier, pour cette grande première française du traçage de population, les conditions sont déclarées minimales ! connexion bluetooth soi-disant sécurisée (faux), réservée aux volontaires, anonymisation des données (au départ, pas après)... reste que cette appli ne pourrait cerner ces contaminations qu'avec au moins 60% de la population totale d'utilisateurs.es malgré les faux-positifs (vous recevez l'appel d'une rencontre avec une personne contaminante et c'est faux) ou faux-négatifs (vous ne recevez pas d'appel mais vous avez vraiment rencontré une personne contaminante). L'identification des chaînes de contamination a été utilisée un court moment en début d'épidémie pour les clusters mais abandonnée face à l'explosion de l'épidémie. Si ce scénario devait se répéter (et nous ne pouvons pas l'exclure), l'appli n'arrêterait pas de sonner pour n'en rien faire sauf affoler et réclamer un test vite. Bon, il paraît que cette fois, on a des tests !
A distance rapprochée, le face à face d'un quart d'heure avec un contaminant.e malade ou pas, est à peu près le temps qu'il faut pour une probabilité sérieuse d'infection. Le bluetooth, paraît-il maintenant, calcule bien la distance mais le calcul du quart d'heure minimum n'est pas résolu. Très ennuyeux ! Pour le moment, l'appli ne peut être implantée sur iphone, concurrence Androïd/Apple ! Ces difficultés techniques retardent d'autant la réalisation de l'appli, si elles peuvent être résolues avec certitude, pas seulement déclarée mais démontrée ! Ennuyeux si les premières chaînes de contamination échappent au radar Stopcovid. Le Premier Ministre a dû reporter le vote des députés sur le StopCovid, ce 28 avril, jour de l'adoption de son plan de déconfinement dont ce Stopcovid est une « pièce-maîtresse » (ou peut-être plus maintenant, qui sait ?).
Avec peu de volontaires, il est clair que cet appli ne servira à rien mais elle sera installée, première française du traçage. Le risque est de la rendre obligatoire ou de mettre en place des moyens de pression (par les employeurs par exemple qui l'exigeraient), de culpabilisation pour les soignants-héros, les enseignants, les collègues de travail. « Les responsables du projet étudient [même] la possibilité de concevoir un objet connecté destiné aux personnes dépourvues de smartphones. » (Le Monde 28 avril)
Si nous considérons cette mise au point et la diffusion de l'appli, ce n'est pas du tout une appli de plus, anodine mais l'entrée dans une ère nouvelle pour notre pays, celle de la surveillance par le traçage de la population, technique du pied-dans-la-porte, du cheval de Troie.
Quantités d'organisations, d'informaticien.nes, scientifiques - spécialistes ou non de la sécurité informatique et de la crytologie – relayés par certains médias, sur les réseaux sociaux apportent de solides arguments pour dire NON au Stop-Covid et « Mise en garde contre les applications de traçage ».
Cette application sera-t-elle réellement efficace pour ce qu'elle est conçue (repérer les chaînes de contamination) et au-delà dans cette lutte sanitaire ? Question essentielle : Ben, on ne sait pas très bien ! C'est pas sûr : « Il est crucial que le bénéfice sanitaire d'une solution numérique soit analysé en profondeur par des spécialistes, et suffisamment avéré et important pour justifier les dangers encourus. » https://attention-stopcovid.fr/
Elle peut favoriser la chasse aux sorcières, les détournements, y compris des données de santé (par exemple, laisser traîner son téléphone près de quelqu'un sans l'approcher). Si un jour il/elle est infecté.e, vous serez appelé.e, et même anonymisé si vous avez noté vos contacts suspects ou par curiosité, vous saurez qui c'est.
La Quadrature du Net décline ses critiques de cette appli en gestation : Utilisation trop faible, résultats trop vagues, contre-efficacité sanitaire, libertés inutilement sacrifiées : discriminations, surveillance, acclimatation sécuritaire.
Elle alerte dans son communiqué du 8 avril : « … L’atteinte au secret médical, à la confidentialité des données de santé, est aussi mise en cause, car ces applications offrent une possibilité d’identifier les malades et de les stigmatiser.... il semble que le gouvernement tente de masquer ses manques et ses erreurs avec des outils technologiques présentés comme des solutions miracles. Et alors que leur efficacité n’a pas été démontrée, les dangers pour nos libertés sont eux bien réels. »
L'acclimatation sécuritaire, critique fondamentale
En France, c'est la première tentative d'imposer (urgence et nécessité vitale ne sont pas des choix) un traçage individuel de la population. Quoi qu'il en soit aujourd'hui des menaces inhérentes à celle-ci, c'est une première qui justifiera tout ce qui viendra inévitablement derrière, de périodes d'urgence en périodes d'exception en nous anesthésiant pour aller toujours plus loin dans ce traçage individuel, tueur de libertés fondamentales et de démocratie. Les circonstances exceptionnelles ne manqueront pas entre virus à venir, épisodes météorologiques extrêmes, bouleversements climatiques majeurs et durables, crises dans la finance ou l'industrie ; les arguments-emballages culpabilisant sous couvert de solidarités et de protection bienveillante qui-respecte-la-vie-privée nous seront servis et matraqués à satiété comme chantage pour soumission librement consentie. Les industriels du secteur français, européens, mondiaux ou internationaux sont à l'affût pour vendre, installer, contaminer sur un marché promis aux profits et aux rendements élevés. Business show must go on.
Par ailleurs, il n'est pas difficile à tout gouvernement de rassurer à bon compte en mystifiant les non-spécialistes de sécurité informatique que nous sommes. C'est un aller simple comme le fit l'installation démesurée et dispendieuse des caméras de surveillance qui ont surtout prouvé leur efficacité à déplacer les problèmes dans un autre lieu, installée d'abord pour rassurer la population tenue dans l'ignorance de son inutilité, de son utilisation, de son coût. Avec ces outils de traçage, c'est autrement dangereux. Une fois entré.es dans la trace quotidienne, dans chaque acte de nos vies, de nos rencontres, même si nous nous rendions compte alors massivement avoir fait fausse route, nous ne reviendrions jamais en arrière.
- Oui, introduire de nouveaux dispositifs de surveillance, de contrôle, en banaliser l'usage et amener une tacite ou fataliste acceptation sociale. La banalisation passe, dans un premier temps par un usage limité, restreint, modéré, peu intrusif même s'il l'est déjà plus qu'avant, pour engager quelques pas de plus dans cette même direction.
Des précédents qui éclairent l'avenir
Souvenons-nous de ces fichiers informatiques ouverts pour une "bonne cause", bien vendus par la com pour naïfs avec toutes les garanties de sécurité, de respect, d'éthique, de déontologie qui, après quelques temps se sont gonflés d'autres données, par exemple avec victimes et auteurs mêlés, avec des erreurs, pas mises à jour, (donc pas de suppression de celles-ci) consultés par des policiers devenus sécurité privé. N'avez-vous pas remarqué que le fichier des empreintes génétiques est augmenté systématiquement de manifestant.es simplement convoqué.es en audition libre au commissariat et sommé.es – sauf sanction - d'ouvrir la bouche ! Au départ ce fichier ne concernait que les auteurs de délits et crimes sexuels !
Lisez dans ces colonnes, si vous ne l'avez pas fait, cette terrifiante et sidérante enquête sur la traque des zadistes de Bure (enfouissement des déchets nucléaires), elle montre l'utilisation massive, systématique, justifiée et soutenue par les autorités, des moyens de surveillance, des dispositifs de surveillance mis en place par la loi « Renseignement » et que nous dénoncions en vain. Cette utilisation démontre que toutes nos craintes exprimées, toutes les menaces que nous dénonçons aujourd'hui, comme celles que nous dénoncions hier, sont non seulement fondées mais deviendront réalité si nous ne livrons pas ce combat majeur, essentiel pour ne pas enterrer la démocratie c'est-à-dire la possibilité de changements sur nos vies, sur tout le vivant, sur notre avenir. Lire aussi : « A Bure, la justice a foulé aux pieds les droits de la défense »
Ces données récoltées, permanentes et individualisées, aujourd'hui traitées par des algorithmes insondables donnent la puissance et la fortune. Demandez-vous comment et avec quelles complicités les données personnelles sont captées par les GAFA et un nombre sans cesse croissant de sociétés par leurs applications si ce n'est en faisant de nous des produits, malgré la protection relative du RGPD ? Regardez l'exploitation des données récupérées par les compteurs Linky avant ceux du gaz et bientôt de l'eau !
La Chine nous montre l'extrême où nous ne voulons pas aller mais où nous irions au fil des catastrophes, des exceptions, des urgences qui ne manqueront pas. A nous, sans cesse plus nombreux, de refuser et de convaincre ceux et celles qui n'y voient rien à redire, parfois par fatalisme. Un peu plus de temps, juste un peu plus de temps pour y arriver si nous ne stoppions pas cette dérive technocratique totalitaire.
- Vous pouvez regarder sans tarder l'excellent reportage « Tous surveillés, 7 milliards de suspects » disponible jusqu'au 4 juin sur Replay Arte, reportage sidérant de Sylvain Louvet qui mène en Chine et sa surveillance omniprésente traduite en crédit social.
Surenchère technologique sécuritaire
Quand tant de pays veulent prendre ce chemin, nous pourrions-nous pas comprendre que le nôtre, préservé du contrôle social, de la surveillance généralisée peut être un phare qui éclaire l'avenir (qui commence aujourd'hui), pour ceux qui veulent vivre libres, comme notre pays le fut à la Révolution Française ?
« La crise sanitaire que nous traversons est l’occasion d’une nouvelle vague d’atteintes à l’Etat de droit et à la protection des libertés qui justifie son existence. La veine de ces glissements vers l’extension de pouvoirs bureaucratiques, justifiée par des circonstances exceptionnelles, est séculaire. On s’y habitue donc. Pourtant ce qui se met en place aujourd’hui aggrave la crise démocratique. ». Réinventer la démocratie, cinq volets de Paul Alliès, Président de la Convention pour la 6° République (C6R), d'une remarquable plongée dans l'histoire passée et présente, décryptée sous l'angle de l'état de droit pour en dégager un avenir incertain à ne pas manquer.
La surenchère technologique sécuritaire est au bout du virus, stimulée par ce besoin de se sentir à l'abri, en sécurité seulement réduite à des solutions technologiques aussi dispendieuses qu'intrusives, souvent inefficaces pour l'objectif déclaré, sans recherche la sécurité par l'investissement sur le terrain, dans la prévention, l'éducation, l'activité, le soin, le local, le proche. Cette fuite en avant technologique va de pair avec la surveillance généralisée des populations : Les nazis en avaient rêvé, c'est technologiquement aujourd'hui possible. Que voulons-nous ? Que sommes-nous collectivement et individuellement prêts à investir pour une société enfin plus démocratique et solidaire ?
Le monde d'après est commencé avec ou sans nous
Le monde d'après se construit avec ou sans nous. Le système financier et économique tue, viole, détruit mais rapporte gros à ces individus fortunés qui accaparent les richesses, aveuglés de mépris et d'indifférence aux malheurs du monde. Ceux-là savent utiliser et maîtriser la communication, le mensonge et la corruption pour se parer de vertus et tromper par l'image qui embellit et trompe. Cette pandémie a renversé l'ancien monde. Pour en conserver leurs avantages, ils n'hésiteront pas à le rendre pire et plus odieux.
Celui qui naît sous nos yeux, si difficilement, de façon si incertaine, nous impose d'y prendre part avec intelligence, engagement et créativité pour un combat inévitable dont l'issue, s'il en est une, décide de notre avenir et celle de l'immense majorité de la population mondiale, celui des générations qui viennent.
L'élection présidentielle de 2022, comme les mois qui précèdent, pourrait se dérouler dans une épidémie non encore jugulée avec des mesures et des dispositifs restrictifs capables de peser dans un scrutin au couteau. L'alliance et la mobilisation des organisations politiques, populaires et progressistes serait-elle enfin possible sans se déchirer sur un.e candidat.e plutôt qu'une myriade de candidatures vouée à l'échec ? En cas de victoire, la mobilisation populaire saura-t-elle imposer de tenir le cap et les engagements, saura-t-elle inventer partout des solutions, imposer les transformations pour faire face aux défis climatique, social, économique et de l'emploi, tous liés dans une communauté de destin ?
Laissons à Edgar Morin, infatigable humaniste et penseur nous apporter sa réflexion et son espoir : « En tant que crise civilisationnelle, elle nous pousse à percevoir les carences en solidarité et l’intoxication consumériste qu’a développées notre civilisation, et nous demande de réfléchir pour une politique de civilisation … En tant que crise existentielle, elle nous pousse à nous interroger sur notre mode de vie, sur nos vrais besoins, nos vraies aspirations masquées dans les aliénations de la vie quotidienne... »