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Billet de blog 15 mars 2022

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Mediapart désapprouve ce message

Madame Livia Garrigue, « coresponsable du club de Mediapart », a récemment consacré un billet en forme de « revue d’articles » sur des appels à voter Jean-Luc Mélenchon émanant de gens issus de la société civile. Elle les oppose à ceux de militants, réels ou supposés. Une manière de procéder que l’on retrouve dans un autre article du journal et qui amène quelques commentaires.

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Illustration 1

Dans « je vais voter Mélenchon, mais... », madame Garrigue met en exergue quatre récents appels à voter Mélenchon rédigés par des personnes présentées par leurs fonctions professionnelles ou militantes : « spécialiste des sciences du langage », « historienne et politiste », « militante féministe » ou encore « économiste » qu’elle estime « plus intéressants que les billets tous droits sortis des fourneaux du parti, lustrés par les relectures des équipes de campagne, les ressorts argumentatifs de ces textes de non-encarté·es font appel à une rhétorique de la sincérité »… Les contributeurs « normaux » votant pour la France Insoumise apprécieront la charge.

Rappelons d’abord que La France Insoumise est un mouvement, pas un parti, lui-même composante de l’Union Populaire. N’étant membre ni de l’un ni de l’autre, il m’est difficile de savoir s’il existe un département de la propagande insoumise relisant chaque message publié sur Internet ou si, plus simplement, ses sympathisants sont plus politisés, plus formés et plus présents sur Mediapart que les autres organisations. Quoi qu’il en soit, leur sincérité et leur capacité à résister à l’embrigadement fanatique sont mis en doute, leur esprit critique dénié a priori.

Les propos de madame Garrigue font écho au billet de messieurs Joseph Confavreux et Fabien Escalona, lesquels semblent estimer, eux aussi, que les quatre « billets (…) faisant appel à une rhétorique de la sincérité » constituent un petit événement : « Plusieurs personnalités du monde associatif et académique, non liées aux Insoumis, mettent en avant ces considérations pour expliquer leur soutien d’aujourd’hui (lire leurs billets dans le Club, ici, , ou ici, ou encore ». « Non liés aux Insoumis », il fallait effectivement le préciser... Néanmoins, cet état de grâce ne devrait pas durer très longtemps, car pour la plupart des gens, mettre un bulletin « Mélenchon » dans l’urne transforme instantanément le coupable en « Mélenchoniste » ou en « Insoumis », Caroline de Haas, Bozo le clown ou Douglas le chien compris.

Pour être parfaitement recevables par les rédacteurs de Mediapart, des appels à voter Jean-Luc Mélenchon devraient donc émaner de gens « non liés aux Insoumis », de préférence des « personnalités » « du monde associatif et académique » pour être labellisés « rhétorique de la sincérité »... Avec une telle logique, Manon Aubry n’est plus l’ancienne porte-parole d’Oxfam France luttant contre la pauvreté, mais une Insoumise ; Aurélie Trouvé n’est plus ingénieure agronome, docteure en sciences économiques, maîtresse de conférences à AgroParisTech, ancienne co-présidente et porte-parole d’Attac, mais « seulement » une Insoumise.

C’est perdre de vue un peu vite que l’essence même d’un mouvement comme la France Insoumise et plus encore de l’Union Populaire est précisément d’agglomérer des gens issus « du monde associatif et académique ». Les propos de mesdames Aubry ou Trouvé seraient donc disqualifiés, car partisans, parce qu’elles ont pris le risque de défendre des idées dissidentes et non majoritaires dans les grands médias à un échelon politique et plus seulement associatif ?

Évidemment, ce ne sont pas les membres du parlement de l’Union Populaire mais bien les « Insoumis » de base, abonnés à Mediapart et contributeurs du « club », qui sont l’objet d’une forme de mépris des journalistes du site. On ne sait d’ailleurs pas précisément qui sont les « Insoumis » sous la plume des employés de M. Plenel. Militants ? Sympathisants ? Simples électeurs ? Comment arrive-t-on à rassembler sous un même vocable un mouvement aussi protéiforme ?

Acceptons toutefois l’étiquette « insoumise », elle n’est nullement infamante. Qu’est-ce qui différencie la pertinence des avis de « personnalités issues du monde associatif et académique » par rapport à ceux des « chômeurs », « étudiantes », « aide-soignantes », « chaudronniers », « techniciens du spectacle » qui se verraient attribuer le label « insoumis » ? Ces derniers seraient-ils moins crédibles parce qu’ils ou elles auraient osé expliciter leurs opinions politiques, le sens de leur vote ou plus simplement un quelconque engagement avec plus d’assurance ou de convictions que les premiers ?

Qu’est-ce qui fait que des gens votent pour le programme de la France Insoumise ou même plus personnellement pour Jean-Luc Mélenchon et qu’ils expriment souvent leurs certitudes avec fièvre, parfois avec outrance ou mauvaise foi ?

Le « tournant de la rigueur » fêtera bientôt ses quarante ans. Quatre décennies sans « gauche de gauche » aux responsabilités, trois à n’avoir comme choix que l’extrême-gauche révolutionnaire ou les « sociaux-démocrates » et comme promesse « votez pour nous parce qu’avec les autres, ce sera pire ». Être de gauche en 2002, c’est devoir trancher entre Olivier Besancenot, issus d’un parti trotskiste n’ayant aucune chance de remporter l'élection et un Lionel Jospin « d’inspiration socialiste » mais avec « un projet qui n’est pas socialiste ». Être de gauche en 2007, c’est hésiter entre Monsieur Besancenot, issu d’un parti trotskiste n’ayant aucune chance de remporter l’élection et madame Royal, bardée de son « ordre juste »… Autrement dit, des élections déjà perdues avant même de se rendre dans l’isoloir... Car la liste des reniements depuis 1983 est longue.

Quatre décennies à courber l’échine... Alors quand Jean-Luc Mélenchon monte le Front de Gauche en 2008, il redonne un peu de sens au mot socialisme et d’espoir à ceux qui s’en réclament. Lorsque quatre ans plus tard, il prononce le discours du Prado à Marseille pendant la campagne des Présidentielles, on a l’impression de voir une petite lumière au bout du tunnel. Qui d’autre que lui lance à une nation pataugeant dans la fange LepenoSarkozyste : « la France n’est pas une nation occidentale… mais une nation universaliste, son socle est dans la Méditerranée... Les peuples du Maghreb sont nos frères et nos sœurs » ? Qui d’autre, à ce moment, ose dire au pays, avec autant de force, qu’on peut tous y vivre ensemble sans déclencher une guerre civile ? Si on ne considère pas cet aspect des choses, on ne comprendra jamais le lien entre Mélenchon et une partie de son électorat.

Manifestement, il paraît difficilement recevable que des gens, touchés de plein fouet par près de quarante années de néolibéralisme et de destructions sociales, ou simplement un peu plus conscients que d’autres des enjeux réels, s’apercevant qu’ils ne sont plus seuls, puissent enfin avoir envie de relever la tête et ne plus tendre l’autre joue. Être en colère contre la société, telle qu’elle est et telle qu’on nous la promet si le chef de l’État était reconduit, a l’air d’être incongru pour certains observateurs ; qu’un mouvement politique soit en mesure de canaliser la révolte afin d’en sortir un projet politique positif, autrement qu’en chargeant les immigrés, les gauchistes, les profiteurs, les assistés, les féministes etc, apparaît suspect.

Les commentateurs déplorent l’abstention, le manque d’enthousiasme des gens pour la politique, et les manifestations de protestation sortant un peu du cadre de l’admissible, mais personne ne note – ou alors à la marge – l’affluence des meetings de la France Insoumise, la forte présence de jeunes gens, l’enthousiasme que le projet politique suscite chez eux, l’espoir qu’il redonne à leurs parents et la manière dont Mélenchon l’incarne… Cet enthousiasme déborde évidemment sur les réseaux, avec une forme militante « 2.0 » sur laquelle le mouvement « insoumis » aurait peut-être un léger ascendant ; mais au lieu de le noter, quitte à en signaler les limites ou les angles morts, Mediapart – et d’autres - le méprisent. Comment pointer du doigt une forme de sectarisme, d’embrigadement, de mauvaise foi et une surreprésentation supposée dans les réseaux sociaux des « Insoumis » sans opposer la place accordée aux tenants du néolibéralisme depuis tant d’années dans absolument tous les médias dominants et contre lesquels certains mènent désormais une guérilla numérique ?

À l’heure où les citoyens ont un choix important à faire pour leur avenir et celui de leurs enfants, après des mois de diversions avec des sujets subalternes, presque personne n’a noté le tapis rouge déroulé par la presse pour Emmanuel Macron et à sa concurrente supposée, personne n’a relevé le silence sur les trois heures d’émission sur le chiffrage du programme de l’Union Populaire1, mais aussi et surtout sur deux affaires gravissimes impliquant le chef de l’État2. Mieux vaut bavasser sur la mauvaise foi du militant insoumis de base.

Autour de la candidature de Jean-Luc Mélenchon, il se passe à peu près la même chose qu’hier avec Jeremy Corbyn au Royaume-Uni ou Bernie Sanders aux États-Unis d’Amérique, c'est-à-dire la remise en cause d’un système et une réaction très puissante des « dominants » pour le maintenir en place : on cherche par tous les moyens à disqualifier personnellement un candidat progressiste et à taire ou à caricaturer ses propositions.

Libre à chacun d’en penser ce qu’il veut. Libre à ceux pouvant se permettre de refaire un quinquennat avec un banquier d’affaires aux manettes de barguigner dans l’isoloir ou même d’aller à la pêche. Tant pis si Médiapart ne fait pas le travail de comparaison avec les exemples anglais ou nord-américain, tant pis si on renonce à « être inégal pour être égal ». Mais qu’on ne reproche pas, en plus, aux « Insoumis » de refuser de se soumettre, fut-ce modestement, dans les colonnes du club de Mediapart.

1 Rendons hommage à Mediapart qui a pondu un article complet et honnête, à comparer avec Libération (0 ligne), Le Monde (0 ligne) et Le Figaro (0 ligne)
2 La vente de la branche énergie Alstom et très récemment la livraison de matériel militaire à la Russie.

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