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Billet de blog 5 janv. 2023

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La ruinance du marché de l’électricité ou les lois de la gloutonnerie

Transformer les factures électriques en casino, voila le beau résultat de la mise en boursicotage du marché de l’électricité. Quand le marché détruit ceux qui nous font notre pain quotidien, il y a urgence à revenir à un marché régulé et faire de l'énergie un bien commun. Une urgence vitale face aux gloutons car le marché électrique régulé c'est le gloutons-out.

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La ruinance - Les Goguettes (en trio mais à quatre) © Les Goguettes

Transformer les factures électriques en casino, voila le beau résultat de la mise en boursicotage du marché de l’électricité. Cette semaine le prix de l’électricité est nul alors qu'il affichait des sommets il y a un mois. Il y a 30 jours nous importions de l’électricité très cher, nous exportons gratuitement cette semaine. Imaginez si le prix du pain ce fixait ainsi, ou le prix de votre travail ? En fonction de la météo, des problèmes de plomberies de vos concurrents ? La ruinance est au bout du casino énergétique pour la France et l'Europe.

Pour bien comprendre, revenons sur un temps qui semble si lointain tant le système a dérapé : le monde d’avant, la période antérieure à la mise en place du marché européen de l’électricité. D’ailleurs ce nom est juste un outil de com. Il serait plus exact de l’appeler par son but : la mise en place de la spéculation sur l’électricité. Une spéculation sur un pas de temps d’une heure .

Le temps d’avant :

Les prix de l’électricité étaient simples et clairs : des prix annoncés sur un an. Pour les professionnels ils existaient juste cinq tarifs horaires dans l’année (et non 8960 maintenant) :

  • Les 6 mois d’avril à octobre sans chauffage, le prix était cadeau la nuit et pas cher la journée.
  • Les 6 mois froids, le prix n’était pas trop cher la nuit, onéreux la journée et très cher aux heures de pointes de 9hà 11 h et 17-20 h.

Nous avions un marché électrique régulé, ce système français de l’électricité, démantelé par l’Europe, avait de la clarté sur l’avenir et, par conséquent, il fonctionna bien pendant des décennies. On connaissait le montant de sa facture de l'année. Une entreprise savait ces charges Il opérait une péréquation entre les mondes urbain et rural : le réseau coûte cher en campagne et moins en ville, les uns payait pour les autres. La deuxième péréquation était entre les gros consommateurs vers les petits. Les gros industriels payaient pour les petits consommateurs. Dans ce système réglementé il y avait peu d’effets dégressifs comme dans un système libéral où plus je consomme, moins je paie cher mon KWh.

Il avait un gros défaut : pas de variation= pas de spéculation.

Illustration 2

Première loi de la gloutonnerie : une croyance n’est active que si elle est partagée.

Deuxième loi : faire croire à tous qu’il n’y aura que des gagnants…

 « Le marché de l’énergie » fut vendu comme une libéralisation du marché, un progrès, une baisse miraculeuse du prix. Mais la réalité fut différente, ce fut une dérégulation du marché et sa mise en casino. Un transfert de plusieurs milliards des gros consommateurs vers les petits s’opéra en douceur. Cette dérégulation nous a conduits à bien des déboires et nous mène vers le noir et l’accident comme je l’ai déjà écrit.

Illustration 3

Les ayatollahs du marché sont dans la croyance comme un charlatan qui vous vend sa potion miraculeuse. Ils ne sont pas près de reconnaître la réalité, même maintenant, le simple constat que le marché de l’électricité ne marche pas ! Et qu’en cas de surtension, il fait disjoncter notre économie.

Illustration 4

Prix de l’électricité en août et septembre 2022 dans les différents pays européens : quelle est cette courbe base régulière : l’Espagne qui a débranché la spéculation entre le gaz et l’électricité.

 3ème loi de la gloutonnerie : les plus grosses orgies se font dans le silence. 

Illustration 5

Cette croyance du marché a charmé tout le monde. La spéculation se fait en douceur comme la grenouille dans la casserole, la gloutonnerie n’intéresse personne. Il faut un gros coup de chaud pour que l’opinion se réveille.

4ème loi de la gloutonnerie : gloutonner doucement, mais tout le temps et sur tout le monde. La dérégulation du marché a pu se faire sans jamais être dans le radar médiatique. Pourtant en démantelant la péréquation entre les gros consommateurs et les petits, un transfert silencieux de plusieurs milliards s’est réalisé. Mais le scandale ne se mesure pas en milliards mais en potentiel d’émotion et manger du homard est plus dangereux politiquement que braquer un pays.

5ème loi de la gloutonnerie : qui dit gloutonnerie dit gloutons et gloutonné

Pour assurer que la spéculation boursière marche correctement, il fallut un peu tricher avec la bullshit théorie. II a fallu piller le service public, en l’obligeant à revendre un quart de sa production à prix réduit (l’ARENH). Ainsi nous avons pu voir se constituer des fortunes comme Beigbeder, Kretinsky et bien d’autres….Sa dénonciation passa pour du corporatisme, nous avons hurlé dans le vide, le sujet n’intéressait pas un journaliste, pourtant le principe était un vol pur et simple de bien public.nous avons hurlé dans le vide, le sujet n’intéressait pas un journaliste, pourtant le principe était un vol pur et simple de bien public.

6ème loi de la gloutonnerie : face je gagne, pile tu perds

Illustration 6

En effet, il faut régulièrement réguler la dérégulation pour être sûr qu’elle profite aux gros consommateurs et aux spéculateurs. En obligeant EDF à mettre sur le marché une grosse quantité d’énergie à bas coût, cela garantit des prix bas d’achat en période de forte consommation que l’on revend à prix fort ! Devenue obsédée de la rentabilité, investissant partout sauf en France, abandonnant l’esprit service public, dirigé par des banquiers qui ne connaissaient rien à l’électricité, martyrisant les résistants, les lanceurs d’alertes, les vrais syndicalistes, EDF s’est autodétruite, n’a plus entretenu son parc nucléaire. Le management à la Poutine ne fait pas des armées efficaces : corruption, gaspillage, hiérarchie flagornée, copinage patron-syndicat liquidant les contre-pouvoirs, aveuglement technologique, pillage par des cadres qui passent faire fortune dans le privé, gabegie généralisée, restructuration permanente, démoralisation généralisée, errements stratégiques à l’étranger…..la liste est longue, la question n’est pas de comprendre pourquoi EDF s’écroule mais comment ce système a pu tenir aussi autant ?

6èmebis loi de la gloutonnerie : Le glouton bouffe tout jusqu’à l’os.

Les délais de réalisation sont importants dans l’énergie, l’anticipation est obligatoire. Le prix du capital fondamental.  Le parc nucléaire arrivant au bout, il fallait choisir dans les années 2010 si nous le remplacions par d’autres technologies, si nous nous lancions à fond dans les énergies renouvelables : la procrastination fut la principale réponse à ce choix important qui nécessitait un gros endettement dans tout les cas : l’Allemagne trancha en 2011, mais en France, les partisans de chaque camp se neutralisèrent en apparence, mais seulement en apparence car il faut rendre à César ce qui est à César.

Illustration 7

.Si les Pronucléaires empêchèrent le développement d’une filière française industrielle des renouvelables, ils détruisirent eux-mêmes leur filière. Les raisons : leur incompétence, le court-termisme et la corruption. Le scandale Uramin montra son étendue et des milliards furent perdu dans l’achat de mines vides d’uranium, l’EPR fut un chantier calamiteux, sa conception fut ratée, sa réalisation aussi. Il démontre que la corruption, le mépris du savoir-faire technique entraînent l’incompétence et l’enterrement des problèmes sous le tapis. Ils liquidèrent tout contre-pouvoir, en achetant les syndicats, en virant les lanceurs d’alertes (Sureté nucléaire low-cost: le premier qui dit la vérité, il faut le licencier ),. Certes ils financèrent d’excellents gourous médiatiques mais la réalité finit par leur revenir en pleine face. On peut gagner la bataille médiatique mais c’est victoire n’empêche pas la panne car ce n’est pas eu qui vous te faire une bonne soudure. Et quand tu rechigne à payer, t’as a plus de bon soudeurs et d’ouvriers qualifiés à la maintenance.

7ème loi de la gloutonnerie : s’il ne reste plus rien, accusez les autres.

Plus c’est gros, plus ça marche ; Ta gestion a détruit ta filière, accuse les écologistes d’avoir empêché EDF de se développer, de construire de nouvelles centrales nucléaires. C’est leur faire bien des éloges : ils ne pesèrent jamais rien au pouvoir.  Le choix fut un non choix :ne pas entretenir le parc existant ne pas construire de nouvelles centrales ; Un vrai un choix de comptable qui voit la vie sur excel, obnubilé par son taux d’endettement et sa note financière.

Même si le choix de construire des centrales avait été fait début des années 2010, elles ne seraient toujours pas en service, et nous aurions choisi des EPR mal conçu car trop gros comme des gloutons. Les nouvelles centrales lancées maintenant ne le seront pas avant 2040. Si nous avions réalisé les énergies renouvelables comme nous l’avait demandé, sans trop nous forcer, nous passerions un hiver bien plus confortable et des dizaines milliards d’euros seraient engrangés. Mais en Europ nous sommes les derniers de la classe. Si, depuis 10 ans, les logements avaient été isolés, nous économiserions des milliards. Un exemple, Macron ruine depuis 5 ans les HLM en leur taxant 1.3 milliards/an soit l’équivalent de 3.5 semaines de profits de TOTAL. Résultat, plus de budget travaux pour isoler les HLM  (voir articles ici, scandale absolu jamais dénoncer par les médias d’opposition)

Nous avons raté un tournant industriel, il ne reste plus rien au pays qui avait su mettre au point les éoliennes, le photovoltaïque, la chaleur solaire. La malédiction de Mouchot à encore frapper, 150 ans plus tard. La France à de bons ingénieurs mais les lobbies sont au pouvoir.

Mais accuser le choix des politiques est viser à côté. A part la destruction de la filière ENR, ils n’ont en fait pas fait grand-chose, ce n’était plus de leur ressort.

Depuis 2010 les multinationales de l’énergie ont obtenu un privilège laissé jusqu’alors aux seuls banquiers. Les spéculateurs de l’énergie ont obtenu fin 2010 de débrancher le lien entre les choix énergétiques et la démocratie. Ce fut la création d’une soi-disant commission indépendante de régulation de l’énergie (CRE). Les choix énergétiques ne devaient plus dépendre des pressions démocratiques et laissés aux mains des fins connaisseurs, des lobbies gaziers par exemple…On passe des multinationales de l’énergie à la CRE sans soucis.

La filière nucléaire française s’est autodétruite, en détruisant ses compétences, en se battant entre différentes factions (les Pro EPR, les Pro Chinois), en niant la corruption et en croyant à la belle histoire : les centrales nucléaires peuvent durer 100ans ! Le mélange d’arrogance, d’incompétence et de corruption mènent aussi sûrement à la catastrophe que descendre une côte à vélo, sans frein, en fermant les yeux et en lâchant le guidon !


Le nucléaire est un état dans l’état, les politiques ne se sont pas mêlés réellement du débat, ils ont suivi le vent. Depuis une décennie, ils procrastinent, tout le monde s’en foutaient ou débattaient comme si on avait le temps. Tous crurent la belle légende des centrales françaises inusables.

Le nucléaire français est une étoile morte qui continue de briller pour ceux qui sont à des années-lumière de la réalité.

 8ème loi de la gloutonnerie : Si on a tout bouffé, c’est qu’il n’y a en avait pas assez !

Illustration 8

Tout roula pendant quelques années. A chaque problème généré par la dérégulation, comme l’augmentation du problème de pointe, les gloutons (les adorateurs de la secte du marché), décidèrent de rajouter une couche de marché. Quand les dysfonctionnements du communisme éclataient au grand jour, les apparatchiks répondaient : « c’est parce que nous n’avons pas assez fait  le communisme ». Les gloutons disent la même chose. Le capitalisme finira comme le communisme par un effondrement et le chaos.

 9eme loi de la gloutonnerie : le glouton rote souvent, il vomit parfois, nous chie dessus toujours !

Illustration 9

La complexité génère des phénomènes chaotiques, ils sont, par définition, difficilement prévisibles. Le COVID arriva avec son lot de fermetures, la consommation d’énergie baissa, la bourse de l’électricité s’effondra. Les dealers d’électricité réclamèrent alors la fin de l’obligation d’achat à EDF à prix fixe. Bien pratique avant le covid, elle leur faisait maintenant perdre de l’argent. C’était gonflé. Mais le glouton l’est.

 10ème loi de la gloutonnerie : quand il y a 6 zéros après le chiffre, la mauvaise foi tend vers l’infini.

Afin d’éviter d’être embêté par les choix politiques, il avait été décidé de débrancher électricité et démocratie en inventant la CRE, la commission de régulation de l’électricité. Cela marchait tellement bien pour les banquiers avec la BCE, alors pourquoi ne pas le faire avec l’électricité ? Entre connaissances on s’arrange bien plus vite que quand on est invité aux débats, où tous ces gens qui ne comprennent rien.

 11 ème loi de la gloutonnerie : Ne jamais demander leur avis aux dindons de la farce sauf quand ils sont pour.

Les prix de l’électricité devenaient certains jours négatifs, on vous payait pour consommer. (Payer pour consommer de l'électricité, le prix négatif du courant en temps de crise )

Illustration 10

La reprise économique suivit la fin de l’épidémie, les centrales nucléaires s’avèrent en fait être des tas de tuyaux fatigués, corrodés et dangereux. Les travaux de réparation mis sous le coude sont devenus vitaux. Les autorités de sûreté réalisèrent enfin qu’elles étaient dangereuses, capables de ruiner le pays. Faute d’anticipation, elles devaient être mises à l’arrêt pour beaucoup d’entre elles. Guerre ou pas guerre, le problème aurait été le même. Mais ce que l’on pouvait compenser en faisant tourner des usines au gaz russes, bute maintenant sur un imprévu : la guerre en Europe. Sans guerre, le prix de l’électricité aurait flambé. Il est calculé sur le prix du gaz, au grand bonheur des gaziers très influents à Bruxelles et à la CRE (Commission de la Régulation de l’Enrichissement). Le château d’eau nucléaire qu’est la France en Europe, est à l’arrêt pour grave manquement d’entretien et de prévoyance la plus élémentaire.

Mais aux gros soucis des tuyaux fatigués se rajoutent la folie Poutinienne. La dérégulation entraîne une hausse vertigineuse du prix dans un secteur où le stockage n’existe pas par définition (on peut convertir l’électricité, jamais la stocker).

Dans toute guerre, le pouvoir politique prend le pas sur le marché et régule : les prix fixes, les rationnements et les taxes des profits sont la règle. Ce fut vrai en 14-18 et 39-45. Dans cette énième guerre européenne, ce n’est pas le cas ?Le dogme et les gloutons sont plus fort que les conséquences, mais jusqu’à quand? Jusqu’à quel niveau de douleur allons-nous arrêter la gloutonnerie? Spéculator : en temps normal la spéculation vole, en temps de crise elle tue !

12ème loi de la gloutonnerie.  Ne jamais reconnaître l’évidente impasse

Les usines ferment les unes après les autres, les pénuries s’installent et les conséquences vont être dramatiques. Une tempête à Limoges détruit les toitures en tuiles ; plus de tuiles, les fours sont à l’arrêt, les couvreurs posent des bâches.
Le retour de bâton est violent pour ceux qui ont cru gagner dans ce casino : tous les très gros consommateurs qui avaient profité du marché pour avoir des prix bas mais variables sont rattrapés par la flambée et perdent de l’argent à produire. Le prix est délirant : 4 à 20 fois le coût de production !
Les politiques procrastinent, un domaine où leurs capacités sont illimitées de manière impressionnante !

Illustration 11

13ème loi de la gloutonnerie : « Laisser les médias parler des problèmes, les décrier mais ne jamais parler des solutions hors cadre » La démocratie s’est cause toujours ! »

Là où il aurait fallu fixer un prix fixe du Kwh, appliquer un rationnement partagé et lancer d’immenses et grands chantiers d’économies nous fermons les usines qui fabriquent les isolants. (voir propositions en annexes). Nous avons droit à un appel style colibri du gouvernement en clair : de la prière et de la com. Nous lui rappelons que dans la fable du colibri, le colibri meurt et que la forêt brûle. La gauche appelle à taxer les profits sans appeler à débrancher la machine infernale. Il faut viser la source et non les conséquences. Taxer les profiteurs de guerre, même la droite l’avait voté en 14-18.

14ème loi de la gloutonnerie : Sans abondance, la gloutonnerie tue (heureusement, les autres, pas les gloutons …)

Chaque semaine, des usines ferment : une fonderie d’aluminium, une d’acier, une verrerie, les fours à tuiles, nous ne trouverons plus de tuiles à la prochaine tempête hivernale. Si Poutine bombardait nos usines pour limiter notre soutien à la guerre, la réaction serait immédiate, mais il y arrive sans bombe. La dérégulation est plus efficace que les avions. Au lieu de cela, nous finançons la spéculation par de la dette publique et des impôts. Au lieu de fixer un prix stable, nous finançons les factures abusives.

15ème loi de la gloutonnerie : Ne jamais arrêter la goinfrerie sans être aller au bout du bout

Il est vital pour l’avenir de supprimer la CRE et revenir à une régulation et un financement par l’état de l’énergie. C’est un bien commun stratégique. Voilà une revendication peut-être pas trop sexy à porter mais indispensable pour ceux qui souhaitent un avenir.

A nous militants, politiques de gauche, médias oligarchiques a mettre la fin du boursicotage sur l'énergie en tête de nos luttes. Un prix de l'énergie réglementé est nous seulement possible mais la seule véritable solution contre et la ruinance et le blackout électrique,

Marché électrique régulé c'est le gloutons-out.

Version longue de l’article

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