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Billet de blog 12 février 2021

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David Geselson publie un choix de ses «Lettres non-écrites»

La Covid et le reste ont brisé net la tournée du spectacle de David Geselson « Lettres non-écrites ». Belle consolation : 50 lettres non écrites par les spectateurs mais écrites par Geselson, sont réunies dans un livre publié aux éditions du Tripode. Pour fêter ça, 50 actrices et acteurs se succèderont le 13 mars à la Maison de la poésie pour lire ces lettres. De 19 à 21h en streaming.

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Tout avait commencé au printemps 2016 lorsque Tiago Rodrigues et sa bande d’actrices et d’acteurs avaient occupé trois mois durant le Théâtre de la Bastille (lire ici et ici et encore ici). L’auteur, acteur et metteur en scène David Geselson faisait partie de la bande. Après En route kaddish (lire ici), il préparait ce qui allait devenir Doreen (lire ici) à partir de la Lettre à D. d’André Gorz. Pendant cette occupation très occupée, chaque membre de la bande apportait des idées, certaines mettant les spectateurs dans le coup.

C’est ainsi que David Geselson proposa un jeu (qui n’en était pas un) aux spectateurs en ces termes : « Si vous avez un jour voulu écrire une lettre à quelqu’un sans jamais le faire, parce que vous n’avez pas osé, pas su, pas pu, ou pas réussi à aller jusqu’au bout, racontez-la moi et je l’écris pour vous. » 35 minutes en tête-à-tête, puis Geselson s’isole pour écrire la lettre. 45 minutes plus tard, il la lit à la personne. Soit cette dernière veut la garder pour elle seule et Geselson lui offre et l’efface de son ordinateur, soit elle accepte que Geselson en fasse « quelque chose au théâtre », la lettre restant bien sûr anonyme comme les autres.

Ainsi est né le spectacle Lettres non-écrites qui allait connaître différentes configurations scéniques et un succès qui n’en finit pas. Qui (Geselson le premier) n’a pas voulu (ne serait-ce qu’en pensée) écrire (papier, ordi) une lettre à un être aimé ou détesté ou disparu, perdu de vue ou mort mais a finalement renoncé, après ou pas un début de brouillon ? La proposition de l’artiste (mieux que l’écoute d’un psychothérapeute) a réveillé ce désir enfoui.

La première eut lieu à Théâtre Ouvert le 31 mai 2017. S’ensuivit une tournée dans différentes villes françaises et une escapade à New York avant de revenir brièvement au Théâtre de la Bastille en janvier 2019. Dans chaque ville, auprès des spectateurs, le processus se répétait et les lettres, non-écrites par les spectateurs mais écrites par Geselson, s’accumulaient. La Covid a brisé net la tournée qui aurait dû passer ces jours-ci par l’Espace 1789 à Saint-Ouen, en tandem avec un autre spectacle, Chœur des amants, un texte écrit et mis en scène par Tiago Rodrigues avec Alma Palacios et David Geselson, spectacles l’un et l’autre annulés.

Magnifique consolation : un livre (qui sort ces jours-ci) réunit un choix de ces lettres ordonnées selon différents thèmes récurrents comme « enfances », « amours », « pour finir ». L’absence, le manque, la perte traversent bien des pages. Tout comme la mort. Qui n’a pas eu envie ou besoin d’écrire à un père, une mère, un enfant morts, un être aimé que la vie a éloigné, un être dont on est sans nouvelles depuis trop longtemps. Mais où poster ces lettres à ces disparu.e.s ? A quelle adresse ? Alors, le plus souvent, on ne les écrit pas. Le stratagème (mot cher au théâtre) de Geselson fait qu’il accouche en douceur de la lettre, après avoir écouté celle ou celui qui ne l’a pas écrite. Puis, en réunissant la brassée du jour à d’autres lettres en stock, il les fait entendre sur la scène du théâtre avec un.e partenaire et un.e invité.e (musique, dessin).

Rares sont les spectateurs qui ne seront pas traversés par l’une de ces lettres. Une phrase suffit, une inflexion. Ces petites choses qui les renverront à leur vie, à leurs amours, leurs remords, leurs non-dits, leurs morts. Ce sont des lettres qui, jusque dans leur colère pour certaines d’entre elles, apaisent, consolent, assouvissent.

La première lettre publiée dans le livre date du printemps 2016 (au moment de l’occupation de la Bastille). Une certaine Raquel (nom modifié comme tous les autres) écrit à « mon amour » : un enfant qu’elle n’a pas, son premier qu’elle espère. Elle dit vouloir garder la lettre pour lui envoyer lorsque l’enfant aura 20 ans. Sauf erreur, c’est la seule lettre écrite à une personne non née. Alors que son livre paraît ces jours-ci, David Geselson vient d’apprendre que Raquel a finalement eu un enfant. Si tout va bien, lorsqu’elle lui enverra la lettre dans presque vingt ans, l’enfant pourra lire ces mots, presque les derniers de la lettre (écrite par Geselson) : « Je dis tout ça, peut-être un peu maladroitement, pour te dire que quel que soit l’état dans lequel le monde se trouve aujourd’hui, si tu es en vie c’est parce que nous avons cru qu’un monde était possiblement vivable, si plutôt que de subir la mort et l’horreur qui nous entourent nous décidions de répondre à l’implacable force du désir pour dire notre certitude que la lumière est plus folle et plus probable que l’obscurité. » Et, plus loin, ces derniers mots :  « Je t’aime./ Je t’aime au-dessus de tout./ Sois heureux./ Raquel ».

David Geselson, Lettres non-écrites, éditions Le Tripode, 196p., 17€.

Lecture des lettres à la Maison de la Poésie le 13 mars de 19h à 22h en direct en streaming (sur le site de la Maison de la poésie). Conception et mise en espace, David Geselson. Une proposition de la Compagnie Lieux-dits et des éditions du Tripode à l’invitation de la Maison de la Poésie. Avec (distribution en cours) : Caroline Arrouas, Audrey Bonnet, Raphaèle Bouchard, Sandra Choquet, Charlotte Corman, Cécile Coustillac, Caroline Darchen, Noémie Develay-Ressiguier, Marie Dompnier, Laetitia Dosch, Valérie Dréville, Victoire Du Bois, Servane Ducorps, Emilie Gavois-Kahn, Adeline Guillot, Emilie Incerti Formentini, Marina Keltchewsky, Laure Mathis, Sara Martins, Shady Nafar, Juliette Navis, Lamya Regragui Muzio, Laetitia Spigarelli, Anne-Laure Tondu, Ruth Vega Fernandez et Samuel Achache, Sharif Andoura, Clément Bresson de la Comédie-Française, Xavier Brossard, Yannick Choirat, Alex Fondja, Vladislav Gallard, Arthur Igual, Loïc Le Roux, Mounir Margoum, Elios Noël, Denis Podalydès de la Comédie-Française, Sébastien Pouderoux de la Comédie-Française, Pascal Sangla, Alexandre Steiger, Thibault Vinçon. Lecture accompagnée par Jérémie Arcache, violoncelle, Martial Pauliat, clavier, Elodie Bouédec, dessin sur sable. Dans une réalisation de Muriel Cravatte.

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