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Billet de blog 19 octobre 2024

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Prenez le théâtre à « Contre sens »

Festival intermédiaire entre deux éditions du festival lyonnais Sens interdits, Contre sens nous emmène en Pologne, au Rwanda, en Argentine, au Moyen-Orient, en Europe et ailleurs. Le dernier festival sous la direction de Patrick Penot

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Scène de "Génération 25" © dr

« Mémoires, identités, résistances » c’est ce triple mot d’ordre qui sous-tend le programme du festival de théâtre Sens interdits à Lyon, un festival biennal, relayé désormais, entre deux éditions, par le festival « Contre sens » de dimension plus réduite, c'est le cas cette année. A l’initiative de cette belle, alerte et passionnante aventure, Patrick Penot, un homme aussi fouineur que bourlingueur, aussi intuitif que politique. Après avoir créé Sens Interdits il y a dix ans, Patrick Penot a décidé de passer la main. Nul doute que le conseil d’administration de l’association Sens interdits dont le bureau est présidé par Olivier Neveux, veillera à ce que le Festival continue de plus belle.

Patrick Penot peut partir la tête haute. Du Rwanda au Liban, du Kosovo au Cameroun, du Chili au Mexique, de la Pologne aux pays baltes à la Russie, il aura fait venir à Lyon et en tournée partout en France, bien des aventures artistiques aussi alertes et inventives que résistances, aussi tenaces que fragiles, aussi pugnaces que troublantes. Dès la deuxième édition du Festival en 2011, Patrick Penot qui a peu le cœur polonais (il a été longtemps en poste à Varsovie) avait fait venir de la capitale polonaise Marta Gornicka (avec son Chœur de femmes). Elle revient cette année à Contre sens et au TNP avec Mothers a song for wartime, spectacle qui a déjà bouleversé le public de Strasbourg et du festival Avignon (lire ici).

Lors de cette même seconde édition de Sens Interdits, Penot avait aussi fait venir de l’extrême orient russe, le KnAM teatr, l’une des très rares compagnies de théâtre indépendantes de Russie avec Une guerre personnelle. Le KnAM allait revenir plusieurs fois à Lyon au festival Sens Interdits et au Théâtre des Célestin (par exemple lire ici et ici). Lorsque Poutine déclara la guerre à l’Ukraine, la compagnie indépendante russe, opposée à la guerre et ne le cachant pas, a du prendre le chemin de l’exil et c’est à Lyon qu’elle a trouvé asile grâce aux efforts conjugués du Festival Sens interdits, des théâtres et municipalités de la région lyonnaise.

Au programme de Contre sens cette année, Figurine age un spectacle de danse de la hongroise Boglárka Börcsök et de l’allemande Andreas Bolm, un spectacle lituanien La fête mis en scène par Kamilé Gudmonaité (deux spectacles que je n’ai pas pu voir), Los dias afuera un spectacle argentin de Lola Arias vu à Avignon (lire ici), Berreta 68, un spectacle de femmes prêtes à tout jouer, sorties depuis peu de l’école du TNS (lire ici), Mimoun et Zatopek, un spectacle sur ces deux coureurs de marathon légendaires rivaux et amis (l’un, le tirailleur algérien musulman devenu français et catholique, l’autre le héros tchèque qui courait plus vite que les locomotives), un solo signé Vincent Farasse que je regrette de ne pas pouvoir voir.

Après avoir vu l’extraordinaire et inclassable spectacle qu’était Des caravelles et des batailles (lire ici) , on attendait beaucoup de Par grands vents, le second et nouveau spectacle des Belges Elena Doratiotto et Benoît Piret, trop sans doute. Ce spectacle nous est apparu plus comme une esquisse, un ensemble de séquences fruit d’un premier temps de travail. Une forme qu’il faudrait affermir, mieux articuler et pousser plus avant. Bref un spectacle en devenir. On se trouve devant une source d’eau potable proche des ruines d’un ancien palais aujourd’hui disparu et à proximité d’un emplacement d’une tombe sans cercueil mise en place par une femme dont le mari a été assassiné et dont le corps n’a pas été retrouvé. Bref un lieu inattendu de rencontres et de croisements. Ici un couple, là des êtres solitaires, passent ça et là des fantômes du théâtre puisés dans le fonds de commerce du vieux théâtre grec. On ne sait trop où on va, où ils vont. Il y a un banc, un bouquet de fleurs, un seau... Par grands vents n’a pas encore trouvé son souffle.

Tout autre ambiance et approche au Théâtre de la Renaissance à Oullins qui accueillait, venue du Rwanda, le spectacle Génération 25. Le titre résume le spectacle: en scène une génération qui n’était pas née ou venait à peine de naître lorsque le massacre des Tutsis par les Hutus a changé à jamais le visage et l’ histoire du Rwanda. Plus d’un milion de morts en une petite centaines de jours. Sur scène, actrices et acteurs, danseuses et danseurs, musiciennes et musiciens, des enfants d’hier aujourd’hui adultes dont les parents ont été victimes ou tortionnaires. Eux, filles et fils font bloc, unis, confondus, entremêlés. Leur union fait leur force et celui du spectacle qui enveloppe l’horreur dite dans un linceul de chants et de danses. L’union des arts et des artistes aujourd’hui par delà les haines et les machettes d’hier. Le chant apaise la douleur d’une mère tuée dont le souvenir reste vivace et que le chant, la danse maintiennent en vibrations. La parole et le chant disent l’horreur mais la cloisonne dans l’écrin du plus jamais ça.

Ce spectacle est celui, emblématique, d’une génération, celle de la réconciliation. Texte et mise en scène sont signés par Hope Azeda, fondatrice de la compagnie de théâtre rwandaise Mashirika performing arts and media compagny (productrice du spectacle) et par Yannick Kamanzi qui est aussi un des interprètes de Génération 25 , spectacle créé en avril 2019 et qui toure depuis. A la fin du spectacle, les interprètes chantent des louanges adressées au « Dieu du Rwanda ». Où était il ce Dieu à l’heure du massacre ?

Fesrival Contre sens, suite du programme : Figurine ange au Théâtre de la cité jusqu’au 19 oct. Los dias Afuera au théâtre de la Croix Rousse jusqu’au 19 oct. Par grands vents au Théâtre des Célestins, jusqu’au 20 oct. Génération 25 au théâtre de la Renaissance jusqu’au 19 oct. Beretta 68 au Théâtre des Célestins du 22 au 26 oct. Mothers a song for wartime les 24 et 25 oct au TNP. Grand entretien entre Elias Sanbar et Olivier Neveux au Théâtre des Célestins, le 19 oct. Journées dissidences et résistances le 20 oct. Projection de Rwanda 94 aux Célestins le 19 oct et conversation entre Jacques Delcuvellerie et Olivier Neveux le 21 oct au théâtre Kantor de l’ENS, etc. Programme détaillé sur le site sensinterdits.org.

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