Dossier Stonewall 50 ans après : LGBTQI+ et autisme

Jim Sinclair, 1992
Traduction par lulamae de Personal Definitions of Sexuality
Partie I : mes définitions
- La sexualité est une faim en attente de dévorer mon autonomie. C’est la façon qu’a une personne de me regarder qui me dit que je ne suis pas une personne à connaître, mais seulement une chose à utiliser. C’est la façon dont une personne me touche qui me dit que j’appartiens à quiconque me désire, qu’aucune part de moi ne m’appartient en propre, à moi seul. C’est une déclaration de possession. C’est être piégé, vulnérable, et envahi ; être vidé puis jeté. Ce sont des promesses brisées et une confiance trahie. C’est l’impossible étiquette de prix qu’une personne qui prétend m’aimer accroche sur cet amour. La sexualité est une exploitation.
- La sexualité, c’est quand un étranger séduisant passe à côté, et la personne qui une minute plus tôt était là, se tenait juste à côté de moi, était avec moi, est tout d’un coup sur une autre planète. C’est quand une personne qui paraissait m’apprécier et être mon ami se trouve un nouveau petit ami, ou se réconcilie avec sa femme, ou se trouve une nouvelle occupation qui l’amène à rencontrer de nouvelles personnes, ou qu’elle découvre qu’elle peut effectivement avoir des relations adultes avec de réelles personnes – et il ne reste plus la moindre parcelle de temps à gâcher avec cet étrange petit garçon qui ne grandira jamais. C’est quand une personne qui m’avait promis de revenir ne revient jamais. C’est d’être toujours au second plan derrière une autre personne qui offre quelque chose que je ne pourrai jamais offrir. C’est le fait qu’on me dépasse et qu’on me laisse derrière. La sexualité c’est l’abandon.
- La sexualité c’est quand une personne me dit que je ne suis pas entier, que mon essence individuelle est incomplète, qu’une relation dans laquelle je donne tout ce que j’ai n’est pas « pleine ». C’est d’entendre que parce que je n’ai pas d’émotions sexuelles, je n’ai pas d’émotions du tout ; que parce que je ne ressens pas l’amour dans mon entrejambe, je ne ressens pas l’amour du tout. C’est quand une personne qui ne s’est même pas préoccupée de regarder mon univers l’ignore comme un simple rocher. C’est d’être qualifié d’inférieur à « quelqu’un qui est humain. » C’est le dénigrement de mes expériences, et de mon être. C’est quand mes facultés particulières sont rejetées comme des incapacités irrémédiables. La sexualité c’est le reproche.
Partie II : Les traitements des autres
Mon « défaut » sexuel est venu à la connaissance de membres des professions d’aide vers mes dix ans, et pour les quelques années suivantes, j’ai été soumis aux tentatives d’« Experts » bien intentionnés pour m’aider. Quand j’ai persévéré dans mon refus d’accepter l’attribution du sexe féminin qui aurait rendu ma gestion médicale plus facile pour mes médecins, on a décidé qu’il faudrait m’accompagner dans le choix du genre masculin.
Se présenter de manière convaincante comme un homme peut être chose difficile pour une personne qui mesure 1,57 m, a une voix aigüe, est imberbe, alors qu’elle a dépassé la puberté de plusieurs années. Mais les Experts gardaient confiance dans le fait que ces difficultés pourraient être surmontées par la seule adjonction d’un pénis, ou d’un raisonnable fac-similé de celui-ci. Comme je n’avais pas un tel appendice, les Experts (qui manifestement n’avaient jamais essayé eux-mêmes) ont prescrit le port d’un support à coquille dans lequel on placerait une paire de chaussettes roulées en boule, de manière à créer une bosse à l’endroit stratégique. J’ai passé plusieurs semaines à regarder fixement les gens des deux sexes, et d’après ce que je pouvais voir, il n’y avait pas de différence visible entre les entrejambes des hommes et des femmes qui portaient des dessous et des pantalons correctement ajustés. Il m’est venu à l’idée que j’avais peut-être un déficit de perception qui m’empêchait de remarquer une différence pourtant évidente pour les autres ; je me suis également demandé, si tel était le cas, comment les personnes de mon entourage réagiraient s’il me venait soudain une bosse là où il n’y en avait jamais eu auparavant. Néanmoins, étant une jeune personne de seize ans qui croyait que les Experts savaient réellement de quoi ils parlaient, j’ai essayé – une fois. J’ai découvert les faits pratiques suivants :
Quand vous vous regardez dans le miroir, mettez les chaussettes en place puis regardez à nouveau votre reflet, vous ne voyez aucune différence. Les chaussettes ne se voient pas.
Quand vous vaquez à des activités aussi normales que de vous asseoir, vous lever, marcher, monter et descendre les escaliers, les chaussettes se muent en des formes visibles et d’une apparence manquant singulièrement de naturel.
Quand vous allez en vélo au centre commercial à trois kilomètres, les chaussettes sortent en rampant de la coquille. Une fois arrivé au centre commercial, vous garez votre vélo, et commencez à traverser le parking à pied, alors les chaussettes tombent de votre jambe de pantalon par terre.
Cette expérience m’en a appris autant sur les Experts que sur le port correct des chaussettes.
Plus tard dans cette même année, mon endoctrinement dans le culte de l’obsession du phallus s’est poursuivi, dans une clinique spécialisée à laquelle mon praticien m’avait adressé. Là, j’ai été reçu en consultation par plusieurs Experts qui ont pris pour acquis le fait que, si je ne voulais pas du sexe féminin, je voulais forcément être un homme, et par conséquent, j’étais très désireux d’acquérir un pénis. Ils semblaient avoir pour préoccupation première de me dissuader de subir une phalloplastie (chirurgie plastique consistant à créer un phallus avec de la peau greffée, provenant des cuisses et de l’abdomen), pour me convaincre des bienfaits de recourir à une prothèse de phallus à la place. Aucune de ces deux options ne m’intéressait. J’ai écouté poliment les histoires d’horreur présentant des complications survenues après les phalloplasties, et les descriptions enthousiastes des vertus des prothèses. Après m’avoir montré des pénis prothétiques, et expliqué dans quelles conditions on pouvait m’en faire un proportionnel à ma taille et exactement assorti à la couleur de ma peau, l’Expert qui s’occupait de mon cas m’a demandé si j’avais des questions à lui poser. J’en avais : « A quoi ça sert ? Qu’est-ce que je ferais avec ça ? » L’Expert paraissait plutôt surpris par ces questions.
A l’époque, ma réaction première à tout cela était l’indifférence. Je ne comprenais pas pourquoi mener tout ce tapage. Avoir des relations sexuelles ne m’intéressait pas, et je pensais que si un intérêt de la sorte n’avait pas émergé à seize ans, cela n’arriverait jamais. Ayant expérimenté de nouveaux et différents types de relations depuis, il me semble maintenant que cette insistance sur les phallus prothétiques était outrancière. J’ai découvert, au contraire des affirmations des Experts, que je peux aimer, je peux « être amoureux », je peux rechercher « l’union avec une [autre] personne dans le bonheur et la passion, et la procréation de nouvelles dimensions d’expérience qui élargissent et approfondissent l’être de ces deux personnes » (définition que donne May de l’éros, page 73), sans désirer pour autant un engagement sexuel. Je suis même encore plus sûr aujourd’hui de ne jamais vouloir de relation sexuelle. Mais si vraiment il m’arrive un jour de changer d’avis, j’espère bien que moi, et tout partenaire que j’aurai choisi, serons assez créatifs pour trouver un arrangement mutuel satisfaisant n’impliquant pas la fixation d’un morceau de caoutchouc sans vie sur mon corps ! Le but d’un rapport sexuel est-il de ressentir une profonde, intense communion désinhibée entre deux personnes, ou s’agit-il de la pénétration d’un vagin par un pénis, même si cette opération devait nécessiter d’insérer un dispositif artificiel entre les amants ? Si c’est vraiment la dernière version la plus importante, alors en quoi a-t-on besoin de moi, autrement que comme la personne qui se trouve porter le pénis détachable ? A ce moment, je ferais aussi bien de laisser le pénis chez moi pour que mon prétendu « partenaire » se masturbe avec, pendant que j’irai voir un film. Pourquoi appeler cela une « relation » ?
A dix-huit ans, j’ai été vu en consultation par un autre Expert, qui voulait m’inclure dans un programme global de réorientation du genre. L’entretien initial qu’il a mené avec moi a consisté en cinq questions : « Depuis combien de temps vivez-vous comme un homme ? » « Avez-vous déjà eu un rapport sexuel ? » « Avez-vous une petite amie en ce moment ? » Avez-vous déjà eu un petit ami ? » « Combien de fois par semaine vous masturbez-vous ? » Il s’est fondé sur mes réponses aux quatre dernières questions (non, non, non et « aucune ») pour conclure que mon identité de genre était trop faible, et que j’avais besoin de son aide pour apprendre à avoir un comportement « masculin » plus approprié. Quand je lui ai annoncé que je n’étais pas intéressé par l’apprentissage des comportements qu’il avait mentionnés, il m’a répondu qu’il était nécessaire pour moi de les apprendre, ou je deviendrais une personne misérable et malheureuse. En fait, il a même proposé de parier de l’argent sur le fait que, dans les cinq prochaines années, si je n’avais pas accepté ses préconisations, je serais à coup sûr une personne misérable et malheureuse. C’était il y a sept ans. Je n’ai suivi aucune de ses préconisations, et je me considère comme une personne heureuse et bien-adaptée, avec un sens marqué de mon identité. C’est malgré tout une bonne chose que je n’aie pas accepté ce pari ; je suis sûr qu’il m’aurait été impossible de le convaincre que je n’étais pas misérable et malheureux. Après tout, je n’ai toujours pas eu de rapport sexuel, je n’ai pas de petit ami ou petite amie, et je ne me masturbe pas. En outre, je n’ai même pas pour moi de « vivre comme un homme ».
A vrai dire, je ne vivais plus comme un homme trois ans plus tard, au moment où mon Docteur m’a annoncé que j’avais besoin d’une chirurgie des voies urinaires, et m’a adressé à un autre Expert pour réaliser l’opération. Cet Expert a décidé que, puisqu’après tout il serait dans les parages, il pouvait accomplir une phalloplastie. Comme je l’ai déjà précisé, ces opérations comportent un très haut risque de complications. Même quand il n’y a pas de complications, le phallus créé chirurgicalement ne fait rien de plus que se tenir là, l’air ridicule. Il ne peut servir à uriner, et il ne peut avoir d’érection. Il existe plusieurs solutions possibles à ce dernier problème, telles que l’usage de tiges en plastique ou de pompes hydrauliques incorporées. Je ne vois pas bien la différence avec le recours à une prothèse, sinon qu’en plus c’est plus cher et plus dangereux, et que l’appareillage artificiel est fixé en permanence. Je me souviens d’une discussion au sujet de la phalloplastie, lors de laquelle un Expert a insisté sur le fait que, si les nerfs n’étaient pas trop abîmés durant l’opération de greffe, le nouveau pénis aurait bel et bien de la sensation. Mon père, avec une expression quelque peu abasourdie, a demandé : « Quelle sorte de sensation ? La même sorte que celle que j’ai au coude ? » C’est un point important souvent ignoré des Experts. J’ai le sentiment que les organes génitaux sont importants pour l’expression sexuelle, non en raison de leur emplacement, mais parce qu’ils bénéficient d’une qualité particulière de sensation qui n’est pas présente ou pas aussi forte à d’autres endroits du corps. Mais ce n’est pas en déplaçant de la peau à un autre endroit du corps qu’on lui procurera de nouvelles qualités de sensation ; si tel est le cas, c’est que la sensibilité aura disparu. Cependant, lorsque j’ai exprimé au chirurgien susmentionné que je ne voulais pas de phalloplastie, il m’a prévenu que si je ne choisissais pas entre le fait d’avoir une phalloplastie ou celui d’accepter la réaffectation du genre féminin, j’allais être très déprimé, et peut-être même me suicider. « Vous devez suivre les règles. Vous ne pouvez pas faire les choses à votre façon tout le temps », m’a-t-il réprimandé. Etant donné qu’il s’agissait de mon corps, et que c’était moi qui aurais à vivre avec les conséquences de quelque chirurgie que ce soit pour le restant de ma vie, il m’a semblé que je devais me faire un devoir de m’assurer que les choses soient bien faites à ma façon. J’ai trouvé un autre chirurgien. Et je ne me suis pas encore suicidé.
Ces anecdotes sont toutes exemplaires du traitement de la sexualité comme une question d’« organes sexuels et de la façon dont vous vous en servez et les manipulez ». (May, page 72) Le thème récurrent est l’accent mis sur la poursuite d’un standard de la normalité, sans tenir compte des moyens extrêmes qui pourraient être requis pour parvenir à cette fin. Tous les Experts ne sont pas aussi expansifs sur leurs biais. Il y a ceux qui disent que l’ensemble de la sensualité est compris dans la sexualité, et que la forme que revêt cette expression compte moins que le contenu de ce qui est exprimé. Cela paraît beaucoup plus raisonnable à entendre, toutefois mes expériences dénotent que c’est un piège. Il y a eu des personnes pour reconnaître que mes sentiments étaient valables, et que, si j’aime vraiment quelqu’un, quelle que soit la forme du partage et de la communication, qui naît de cet amour, elle sera aussi valable. Mais si je place cet axiome comme préalable à une conversation (ou à une relation intime), il ne faudra pas longtemps pour découvrir le piège. Mon expression est valable si c’est l’expression d’un amour vrai – mais si cette expression ne correspond pas assez aux expressions les plus populaires de l’intimité par la sexualité, alors c’est que l’amour ne peut pas être vrai. Ceci est une attaque encore plus fondamentale à mon intégrité que l’obsession des parties génitales. Elle aboutit toujours à la conclusion que je dysfonctionne, mais plutôt que d’attribuer ce trouble à un simple échec de matériel, elle suppose de juger mes sentiments et de remettre en question mon humanité. C’est plus qu’inacceptable ; c’est intolérable. Je me définis comme asexuel, parce que, si je suis asexuel, je dispose de tout le matériel dont j’ai besoin. Je définis les expressions de la sensualité, de l’éros, et de l’amour comme non-sexuelles, parce que, si elles sont non-sexuelles, elles ne sont pas invalidées par mon asexualité. Je définis mon amour comme authentique, car je définis mon humanité comme totale et intacte.
Référence : May, R. Love and will. New York: Dell Publishing Co., Inc., 1969.
Source : https://web.archive.org/web/20090206234438/http://web.syr.edu/~jisincla/definitions.htm
Fin des traductions de la page sur l'intersexuation de Jim Sinclair
Jim Sinclair's Articles About Intersexuality
Brief biography (written as a self-introduction to the Intersex Society of North America) Traduction
Longer biography and discussion (written in response to a class assignment to write a personal definition of sexuality) Traduction
If you could choose... (response to questions about what sex and sexual orientation I would have chosen, if I had a choice) Traduction
"How do you pee?" (one of the questions I'm asked most frequently) Traduction
It's all a matter of perspective! (You think you're confused? Try explaining heterosexuality to a snail.) Traduction