Je voudrais être bipolaire

À propos du blog
Ce titre est-il fou, quand Claude Dubois s'écriait avec moins d'aplomb, mais plus d'à propos: "Jaurais voulu être un artiste"? Mais sous cette simple accroche, je n'ambitionne que de commenter un1 bel article de Myriam Tchoudak: "Comment la psychiatrie m'a rendu folle". Commentaires | Comment la psychiatrie m’a rendue folle | Comment la psychiatrie m’a rendue folle | Le Club de Mediapart Je reproduis d'abord le commentaire de CHEVAPHIL pour abonder dans son sens et le compléter de mes propres réflexions: "N'oublions pas que les Anglosaxons surnomment les psys de tout poil « headshrinkers » :" réducteurs de tête ! Cela dit, ne jetons pas le bébé psy avec l'eau du bain de la psychiatrie ; les expériences ne sont pas toutes négatives. De plus, l'annonce d'un diagnostic peut être volontairement provocatrice." Je souscris à ce commentaire qui me permet de m'abstenir d'une entrée en matière plus longue pour commenter ce très bon article de Myriam Tchoudak. D'abord une anecdote personnelle: j'ai eu moi-même pour analyste un ancien psychiatre reconverti dans la psychanalyse et dont le nom signifiait extincteur. Il avait été élève de Lacan et était fier de s'être fâché avec le maître, il avait tué le père et il l'imitait, par exemple il fumait en séance. Mais il trouvait ridicule qu'un de ses confrères ait produit ce jeu de mots facile à partir de son nom: "Vous éteignez vos malades." Pourtant, c'était ce qu'il faisait. Il s'endormait en séance et il était éteint, ce qui ne l'empêchait pas d'être parfois pertinent. Un diagnostic peut avoir une visée provocatrice. Mais on peut aussi provoquer la médecine pour qu'elle nous donne un diagnostic en réponse à notre mal-être. On peut vouloir qu'on nous colle une étiquette pour comprendre ce qu'on a ou ce qui nous arrive. Pour ma part, j'aurais bien aimé qu'on me colle l'étiquette de bipolaire ou de dyspraxique. Bipolaire correspond assez bien à mon caractère cyclothymique, à mes "je t'aime, moi non plus" et à mes hausses et mes baisses d'énergie qui ne sont canalisables que par le repos qui me rend souvent non opérationnel, en dehors des efforts que je dois faire pour honorer mes obligations artistiques d'organiste liturgique. Bipolaire, un mot qui désignait autrefois le fait d'être magnaco-dépressif.Le problème est de savoir ce qu'on fait d'une étiquette qu'on nous a collée, parfois à notre demande, quand elle ne nous convient pas, ou si l'on se réduit à l'étiquette qu'on nous a collée. Un autre problème est qu'un diagnostic ne doit pas être une condamnation à vie. "Mon gars, ma fille, tu es schizophrène ou bipolaire pour toujours." C'est une forme de perpétuité incompressible, avec toutes les camisoles chimiques qu'induisent éventuellement ce verdict et cette perpétuité. Se pose alors l'éternelle question de l'évaluation des bénéfices-risques qu'apporte l'étiquette à notre bonheur ou à notre bien-être. Nicolas Demorand a l'air de se résoudre à ce que, diagnostiqué bipolaire, il ne soit jamais heureux. Je ne m'y résoudrais pas, mais je respecte chez lui ce que je vivrais moi comme une résignation.Et puis dernière remarque, la psychiatrie comme discipline médicale donne souvent une réponse chimique à un mal-être existentiel. La psychanalyse va en chercher l'origine dans le passé, mais aussi dans la faculté créative d'opérer une synthèse seconde à partir de ses traumas, précisément grâce à la technique d'association d'idées qui relève de l'écriture, et pas seulement de l'écriture automatique, raison pour laquelle la psychanalyse a été tant prisée par les surréalistes. Il faut sans doute y joindre un peu de chamanisme ou de spiritualité pour que la synthèse soit complète. Mais se soigner ou vouloir aller mieux n'est jamais indolore. Se bercer de cette illusion, ce serait vouloir avoir le beurre, l'argent du beurre et le sourire de la crémière ou moins trivialement les bénéfices conjugués de la lucidité et de l'anesthésie. J'écris cela en précisant que, pour ma part, je préfère le connu de mon mal-être à l'inconnu lancinant de la douleur que pourrait me procurer un consentement plus sérieux et une plus grande assiduité dans le soin que je demande à ce qu'on me prodigue tout en le fuyant comme une anguille quand il me fait trop sortir de ma zone de confort.