Précisons d’emblée que je ne fais pas partie du fan-club de Jean-Luc Mélenchon comme en témoignent plusieurs de mes billets (voir ici, ici, ici, ici et là). Les premiers datent de 2017 et le dernier d’il y a quelques semaines. Je n’en suis que plus à l’aise pour exprimer le sentiment de malaise ressenti à la lecture des déclarations de François Ruffin ces derniers jours.
« On a vécu trois semaines dures parce qu'on a un boulet » expliquait François Ruffin après son résultat médiocre du 1er tour avant d’ajouter : « Vous l'avez entendu. C'est Mélenchon, Mélenchon, Mélenchon, Mélenchon comme obstacle au vote. » Et pourtant, c’est Ruffin François qui publiait sur son tract de 1er tour une photo prise en 2019 dans sa cuisine où il apparaissait tout sourire aux côtés de … Jean-Luc Mélenchon. Avec cette mention : « Face à l’extrême-droite, il nous faut un Front Populaire avec Jean-Luc Mélenchon. » Avec Mélenchon pour les électeurs des quartiers du centre-ville d’Amiens où il arrive en tête, contre Mélenchon dans la périphérie d’Amiens où le RN le dépasse très largement. « En même temps » comme dirait son camarade de lycée.
Dans son tract de 2ème tour, Ruffin nous explique qu'il rompt avec LFI en raison de désaccords avec Mélenchon qu’il a exprimés depuis deux ans. Sur la forme : « Plutôt que le bruit et la fureur, depuis deux ans, j’ai choisi la force tranquille » explique-t-il dans un tract distribué dans l’entre-deux-tours. Le voilà qui se trouve en fort bonne compagnie, celle de Raphaël Glucksmann qui déclare : « On entend la même chose partout, il faut sortir du bruit et de la fureur. » « Le bruit et la fureur », ce n’est pourtant pas une punchline de Mélenchon, c’est une citation de Macbeth : « La vie […] : une fable, racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur et qui ne signifie rien ». Encore faut-il avoir lu.
Comme Ruffin, Glucksmann considère que Mélenchon est « un immense problème pour la gauche française ». Selon le premier, « la France a besoin d’apaisement » et elle doit être gouvernée « avec tendresse » tandis que le second appelle de ses vœux « une gauche qui soit responsable, qui apaise le pays, qui la réconcilie, qui réconcilie les Français entre eux ». Les patrons du CAC40 et les smicards, Auteuil et Aubervilliers, les immigrés et la BAC, les manifestants et la BRAV-M, tous ensemble, tous ensemble, dans « l’apaisement », « la réconciliation » et « la tendresse » ! Adieu la lutte des classes et bienvenue chez les scouts. Quant à « la force tranquille », elle rappellera aux plus anciens quelques souvenirs, ceux de la trahison des classes populaires par Mitterrand et le PS.
S'imaginant avoir « un destin national », François Ruffin s’attache depuis quelque temps à faire le moins de vagues possible. Ainsi, en juin 2022, il expliquait dans un entretien au Monde que l’expression « la police tue » pouvait heurter certains des électeurs de sa circonscription. Pas le fait qu’elle tue, non, mais le fait de le dire. Et pourtant elle tue. Le fait-elle dans les conditions prévues par la loi ? Les policiers qui enfreignent la loi sont-ils poursuivis et condamnés (presque jamais) ? La loi devrait-elle être modifiée sur les refus d’obtempérer ? François Ruffin préfère aller dans le sens du vent pour ne pas braquer les syndicats de police, Alliance et compagnie. Au nom de « l’apaisement » et de « la réconciliation » sans doute. Oublions Zineb Redouane, Steve Caniço, Cédric Chouviat, Nahel Merzouk et tant d’autres car il ne faudrait surtout pas « heurter » les électeurs de François Ruffin.
L’ex-Insoumis nous explique désormais que « [ses] désaccords avec Jean-Luc Mélenchon sont connus, ils sont profonds sur la démocratie ». Que l’absence totale de démocratie et le fonctionnement clanique de LFI soient un problème, c’est l’évidence même (voir La France Insoumise : la caque sent toujours le hareng). Or, il se trouve que ce problème a été soulevé dès juin 2019 par Charlotte Girard, l’une des fondatrices du Parti de Gauche et de LFI. Dans une lettre aux militants leur annonçant qu’elle quittait le mouvement, elle écrivait ceci : « Tant qu’on est d’accord tout va bien. Mais il n’y a pas de moyen de ne pas être d’accord. Or une dynamique politique – surtout révolutionnaire – dépend de la capacité des militants à s’approprier des raisonnements, c’est-à-dire potentiellement à les contester. » Et celà : « [Le mouvement des gilets jaunes] nous a dit beaucoup sur notre organisation, en particulier l’écart que nous n’avons pas comblé entre le monde militant institutionnel et les gens. C’est la seconde raison qui me conduit à penser que l’outil, trop tourné vers l’exercice institutionnel du pouvoir, en l’occurrence l’exploitation du seul contre-pouvoir parlementaire que nous avons encore, n’a pas permis de travailler à réduire cet écart. »
A-t-on alors entendu François Ruffin exprimer publiquement ses « désaccords de fond sur la démocratie »? Nullement. Pas plus d’ailleurs que Raquel Garrido, Alexis Corbière ou Danielle Simonnet, les « purgés » des investitures de LFI aux législatives. Tant qu’ils étaient bien en cour auprès de Mélenchon, ces gens n’avaient aucun problème avec l’absence de démocratie. Ce n’est que lorsqu’ils tombèrent en disgrâce que les courtisans d’hier devinrent les contempteurs d’aujourd’hui. Que faisait d'ailleurs François Ruffin deux mois avant que Charlotte Girard ne dénonce l’organisation et la stratégie de LFI ? Il affichait sa complicité avec Jean-Luc Mélenchon en enregistrant avec lui une longue vidéo dans sa cuisine.
Pour sauver sa boutique, François Ruffin charge désormais LFI et Mélenchon. Si ce sauve-qui-peut désespéré et indigne lui assure sa réélection, on le retrouvera sans doute demain aux côtés des Roussel, Glucksmann, Rabault, Delga et d’autres pour fonder une « nouvelle gauche », celle de « l’apaisement » et de « la réconciliation ». Celle qui finit toujours par trahir ceux qui lui font confiance.
D’autres François ont emprunté le même chemin : ils s’appelaient Mitterrand et Hollande.